Le maniérisme (Histoire de la peinture)
Publié le 16/11/2018
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LE TERME « MANIÉRISME »
L'épithète « maniériste » apparaît pour la première fois au xviie siècle chez Fréart de Chambray (1662), et le substantif « maniérisme » seulement à la fin du xviiie siècle. Ce terme, issu de l'expression « à la manière de », reflète le jugement très négatif porté sur l'art de cette période, et ce jusqu'au xxe siècle. Vasari, historien de l’art du xvie siècle, qualifie ce mouvement de bella maniera, parce qu'il exige de l'harmonie, de l'imagination et de la fantaisie, mais ne renie pas la supériorité des grands maîtres de la Renaissance. L’idée d'une décadence des artistes se développe en une analyse critique sévère, accusant les maniéristes d'imitation et de répétition de formules anciennes. Ce préjugé perdure jusqu'au siècle dernier, quand les travaux des chercheurs européens permettent de (re)découvrir ces œuvres. De grandes expositions (Naples, 1952, et Paris, 1965) les révèlent alors à un large public, modifiant le regard porté sur elles.
un UNIVERS D'ELEGANCE ET DE FANTAISIE
Le maniérisme est un mouvement artistique qui se développe en Europe entre 1520 et 1620 environ. Il apparaît en Italie après l'apogée de la Renaissance, pour finalement décliner avec les prémices du baroque et du classicisme. Il s'inscrit dans un contexte politique, religieux et économique européen très trouble. En effet le sac de Rome, en 1527, illustre l'effondrement de la politique papale et la nécessité pour l'Église de lutter contre les progrès croissants de la Réforme protestante. Dans ces conditions difficiles, les artistes créent un art « à la manière » des grands maîtres du Cinquecento (xvie siècle). Ainsi, le mouvement maniériste, en rupture avec l’idéal classique, l'harmonie et l'esthétique de la Renaissance, se caractérise principalement par l'exacerbation des émotions, la fantaisie du dessin et le raffinement des couleurs.
• Raphaël, considéré de son vivant comme le plus grand peintre de tous les temps, est admiré pour son habileté à réaliser la synthèse des techniques des deux maîtres précédents. Il assimile le sfumato et les compositions géométriques de Léonard de Vinci, qu'il enveloppe d'une douce luminosité en refusant le clair-obscur. Parallèlement, ses représentations humaines dans les grandes fresques murales des chambres de la Signature et de l'incendie au Vatican (L'École d'Athènes et L'Incendie du Borgo, Vatican, Rome) ont toute la puissance d'expression déjà présente chez Michel-Ange.
LES CARACTÉRISTIQUES STYLISTIQUES
LES SOURCES D'INSPIRATION
Les maniéristes se définissent comme les élèves de trois grands maîtres : Léonard de Vinci (14521519), Michel-Ange (1475-1564) et Raphaël (1483-1520).
• Dans l'œuvre de Léonard, les maniéristes admirent la souplesse du modelé et du contour fondus dans le sfumato (effet de tons vaporeux), le jeu de matière et, surtout, le climat poétique et mystérieux gouverné par le clair-obscur et les dégradés d'ombre et de lumière (Vierge aux rochers, musée du Louvre, Paris).
• Michel-Ange s'impose par sa terribilita, ou puissance pathétique de sa création (Pietà, basilique Saint-Pierre, Rome), et sa monumentalité (David, galerie de l'Académie, Florence). Il a influencé, mais aussi produit, des œuvres maniéristes, certaines étant considérées comme de véritables manifestes en
Le style maniériste se distingue par sa recherche extrême d'expressivité, qui fait éclater l'équilibre et le rationalisme naturaliste de la Renaissance. Dans cette quête, plusieurs procédés sont utilisés, telle l’exacerbation du mouvement, qui peut tendre vers une transformation arbitraire du corps et du réel au service de l'émotion dramatique. L'allongement de l’anatomie des figures est alors une pratique courante dans la peinture comme dans la sculpture. Ce « verticalisme » extrême du dessin illustre une esthétique totalement libérée des exigences du réel.
L'irréalisme spatial, l'absence de perspective traditionnelle et de compositions géométriques équilibrées sont d'autant plus prisés qu'ils apportent une fantaisie et une étrangeté inattendues favorisant l'émotion. L'utilisation de coloris clairs associés à des attitudes précieuses illustre le raffinement caractéristique de ce courant.
LES GRANDS PRÉCURSEURS ITALIENS
la matière (Tondo Doni, galerie des Offices, Florence ; Le Jugement dernier, Rome ; L'Esclave mourant, musée du Louvre, Paris).
Le foyer romain
La production de Raphaël et les premières œuvres de Michel-Ange fournissent aux jeunes artistes d'innombrables motifs d'inspiration, faisant de Rome le premier foyer du maniérisme.
• Jules Romain (1499-1546), élève puis collaborateur de Raphaël, est la première grande figure du maniérisme romain. Il dirige la réalisation des fresques de la chambre de l'incendie du Vatican. Dès 1523, à Mantoue, il donne toute sa mesure au palais du Te.
«
de
cadres majestueux (Les Noces de
Cana, 1562, musée du louvre, Paris ;
Le Re p11s chez Lévi, 1573, galerie
de l'Académie, Venise).
LE MANIÉRISME FRANÇAIS
Un des centres maniéristes les plus
remarquables va se structurer à
Fontainebleau sous l'impulsion de
François 1", qui appelle de nombreux
artistes italiens.
le chateau constitue
alors une " école », qui diffusera son
enseignement au-delà des frontières.
La décoration intérieure et la recherche
ornementale sont les thèmes principaux
de cet art de cour novateur, dont la
sensualité raffinée connaîtra un grand
succès jusqu'au milieu du XVI� siècle.
LA PREMihE tCOLE DE FONTAINEBLEAU
Les trois maitres
Appelé par François 1" en 1530, Rosso
introduit le maniérisme en France
et forme avec Primatice et Nicola
dell'Abate, arrivés en 1532 et 1552,
un véritable courant artistique.
la
première école se rattache à Michel
Ange, Raphaël, Jules Romain, Corrège
et Parmesan, mais aussi à léonard de
Vinci, dont les chefs-d'œuvre sont
conservés à Fontainebleau.
les trois maîtres italiens dominent
successivement l'art de la cour : Rosso
jusqu'à sa mort en 1540, puis Primatice
durant trente années, en collaboration
jusqu'en 1555 avec Nicola dell'Abate.
·la galerie François 1" {1534-1537) est
l'unique œuvre de Rosso conservée à
Fontainebleau.
Il y crée un nouveau
type de décor, mêlant des panneaux
rectangulaires de fresques et des
encadrements grandioses de stuc.
Ses ornements se caractérisent par la
représentation de la figure humaine.
les corps nus, mouvementés en
contraposti violents, sont placés
au cœur de cartouches de cuir et de
guirlandes.
Ces caractéristiques sont
décuplées dans sa puissante Pietà
(musée du louvre, Paris), à la lumière
et aux couleurs étranges.
• Collaborateur de Rosso, Primatice
dirige les chantiers de Fontainebleau
à partir de 1540 (dont celui de la galerie
d'Ulysse, détruite).
Il ne subsiste de son
œuvre décorative que la porte dorée,
la chambre de la duchesse d'Étampes
et la salle de bal.
Son style est empreint
d'équilibre et de finesse.
Il assimile les
schémas de Rosso et développe en stuc
des nus féminins élégants, évoquant
les figures serpentines de Parmesan.
• Dernier venu à Fontainebleau,
Nicola dell'Abate, décorateur toscan
renommé, collabore avec Primatice
à partir de 1552, sur les grands décors de
la salle de bal et de la galerie
d'Ulysse.
Sa production se caractérise
par des coloris et une technique très
libres, mais surtout par des thèmes
nouveaux : scènes de genre et
paysages merveilleux, présentant
des architectures fantastiques en fond
(Enlèvement de Proserpine, musée
du Louvre, Paris ; Eurydice et Aristée,
National Gallery, Londres).
Les autres artistes
Parallèlement à ces trois maîtres, des
artistes italiens et français exercent
également à Fontainebleau.
• l'un des plus importants, luca Penni
(1500-1556), produit aux côtés de
Primatice les décors du pavillon
des Poesies et de la galerie d'Ulysse.
Il représente la tendance " classique »
de l'école de Fontainebleau.
• Parmi les Français, Jean Cousin (1490-
1560), influencé par Nicola dell'Abate,
assimile de façon personnelle les
maîtres de Fontainebleau.
Il produit
avec monumentalité le premier nu
français (Eva Prima Pandora, musée
du Louvre, Paris).
·Antoine Caron (1521-1599) peint
également à Fontainebleau avant de
s'établir à Paris.
Ses œuvres présentent
un dessin " maniéré », au style froid et
recherché, autour de thèmes d'actualité
traités en allégories aux teintes chaudes
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(Le M11ss11cre du triumvirat, musée
du louvre, Paris).
· François Clouet (1510-1572) crée, sous
l'influence bellifontaine, le thème de la
Dame à la toilette (National Gallery of
Art, Washington), imité plus tard dans
de nombreux tableaux anonymes.
Ces portraits de femmes nues ou à
peine voilées, aux couleurs froides,
dégagent un érotisme raffiné illustrant
parfaitement l'art de Fontainebleau.
La sculpture
• La sculpture liée à la première école
de Fontainebleau est représentée
par le Toscan Benvenuto Cellini.
Invité
par François 1", il produit La Nymphe
d'Anet (musée du Louvre, Paris)
et réalise un élément d'orfèvrerie
proche de l'art de la miniature, d'une
technique parfaite et d'une minutie
extrême (S11Iière de Fr11nçois f',
1540, Vienne).
Cette sculpture rappelle
la monumentalité des figures allongées
des tombeaux de Michel-Ange avec
une élégance et un grand raffinement.
Parallèlement, des Français interprètent
également les grands maîtres italiens,
tels Jean Goujon (1510-1566) et Germain
Pilon (1537-1590).
Ces deux
artistes synthétisent les influences
diverses, réalisant un équilibre entre
le maniérisme et le classicisme.
• Formé en Italie, Jean Goujon produit
des œuvres influencées par Parmesan
et par la Pietà de Rosso, conservée
au Louvre.
Ses draperies " mouillées »
révèlent son goût pour les œuvres
hellénistiques.
Son chef-d'œuvre
reste les bas-reliefs de la fontaine des
Innocents (musée du Louvre, Paris).
la spécificité de Goujon réside dans
l'adaptation des figures allongées
à leurs cadres et dans la délicatesse
de leur modelé.
• Germain Pilon présente une
interprétation différente, plus proche
de la sculpture médiévale française.
A
la mort de Henri Il, Primatice lui confie
l'exécution du Monument du cœur
de Henri Il (musée du louvre, Paris).
l'influence classique apparaît dans les
statues des Trois Grâces, qui dérivent
d'un modèle perdu de Raphaël.
L'artiste
est également l'auteur de la majorité
du Tombe11u de Henri Il et de
Clltherine de Médicis (église
abbatiale, Saint-Denis), pour lequel
il crée des figures en mouvement
et s'attache à une reproduction très
personnelle de la physionomie.
LA SECONDE tcOLE DE FONTAINEBLEAU
Sous le règne de Henri IV {1589-1610),
une seconde école de Fontainebleau,
composée d'artistes français, se
distingue par ses influences nordiques
- probablement introduites par les
artistes flamands, tels Dubois ou les
Dhoeys -associées à celles des œuvres
majeures de la première école.
Ce
mouvement admire la couleur et les
innovations de Primatice et de Nicola
dell'Abate, notamment le goût du
paysage et de la scène de genre.
Du point de vue technique, la couleur
froide de la première école est
remplacée par des teintes plus chaudes.
• Formé auprès de Ruggiero de Ruggieri
sur les chantiers de Fontainebleau,
Toussaint Dubreuil (1561-1602) est
un décorateur habile et un paysagiste
de valeur.
Il réalise, à la fin de sa vie,
78 toiles pour le château de Saint
Germain
(Hy11nthe et Climène
à leur toilette,
musée du
Louvre, Paris ;
Cybèle éveillant
Morphée, Fontainebleau),
représentant une synthèse originale
des maîtres Primatice et Rosso, et
annonçant les prémices du classicisme.
• Ambroise Dubois {Ambrosius
Bosschaert, 1543-1614), originaire
d'Anvers, prend la suite des décorations
de Fontainebleau à la mort de Dubreuil.
Il s'inspire de Primatice et de Nicola
dell'Abate, mais aussi du maniérisme
nordique, et notamment de H.
Spranger.
On lui doit l'ancien cabinet de la reine
(actuel salon Louis Xlii), où les peintures
sont entourées de stucs
(Histoire de Théagène et Charic/ée), et
le cabinet de Clorinde, dans la galerie
de Diane.
Il collabore également au
cabinet doré de la reine, au Louvre.
• la mort subite de Toussaint Du breuil
provoque aussi le retour en France
de la troisième grande figure de ce
mouvement, Martin Fréminet (1567-
1619).
Formé à Rome, il est nommé
peintre du roi par Henri IV.
Son chef
d'œuvre est la décoration inachevée
de la chapelle royale de la Trinité,
à Fontainebleau.
Il y reprend le
programme de la première école,
mêlant stucs et fresques avec une
violence et une étrangeté qui préludent
souvent au baroque.
L'EXPANSION EUROPÉENNE
Grâce à la généralisation des voyages
et de la gravure, les œuvres produites
en Italie et en France sont diffusées
dans l'Europe entière.
Chaque pays
assimile de façon différente ces
influences extérieures, créant ainsi
une multitude de maniérismes.
• le plus connu des maniéristes
espagnols est sans conteste Domenikos
Theotokopoulos (1541-1614), dit Greco.
De Venise à Rome, puis à Tolède, Greco
privilégie la traduction de la vie, fondée
sur une manière unique de la forme
et de la couleur.
L'allongement extrême
des personnages, l'indépendance avec
laquelle il adapte ses modèles (Titien,
Tintore� Dürer ou Pontormo), les
couleurs sans dominante harmonique
et les tons livides caractérisent son art
I'Ent"""ment du comte d'Org11z
(église Santo Tomé, Tolède), où
l'irréalisme spatial est total.
• La sculpture maniériste espagnole
est inspirée par la tradition florentine.
le Toscan Leone Leoni (1509-1590) et
son fils Pompeo gagnent le Péninsule,
où ils introduisent cette forme singulière
du maniérisme.
Au service de Charles
Quint, Leoni exécute pour lui des
médailles et des sculptures en ronde
bosse (Charles Quint foulant aux pieds
la Fureur, musée du Prado, Madrid)
illustrant ses influences toscanes.
L'ANGLETERRE
Malgré l'attachement à la tradition
gothique, les conditions historiques et
artistiques de l'Angleterre favorisent un
art de cour.
Les innovations techniques
et thématiques venues d'Italie, de
France et des Flandres sont adoptées.
En matière de décoration, les influences
florentines et romaines sont apportées
par Antonio del Nunziata, dit Toto, et
le style bellifontain par Bartolommeo
Pen ni, frère de Luca Pen ni.
• Nicola da Modena, inspiré par
Primatice et surtout par Rosso à
Fontainebleau, vit en Angleterre de
1537 à 1569, où il exerce une forte
influence.
Ses dessins exécutés pour un
décor de galerie (musée du louvre,
Paris) illustrent une adaptation un peu
sèche de la galerie François 1".
L'EUROPE DU NORD
• Aux Pays-Bas, des artistes de retour
de Rome, tels que Jan Van Score!,
transmettent la connaissance directe
du goût de l'antique, du maniérisme
romain et de Michel-Ange.
Frans Floris
(1516-1570), d'Anvers, synthétise les
innovations de ce dernier, l'influence
de Tintoret et celle de l'école de
Fontainebleau.
A Utrecht, Abraham
Bloemaert (1564-1651) exprime un
maniérisme exacerbé, influencé par
Michel-Ange et très marqué par
une dramatisation des éclairages.
• Dans les pays germaniques, Cranach
l'Ancien (1472-1553) illustre le courant
dans ses compositions mythologiques
élégantes et froides, où le nu tient une
place prépondérante.
Mais le canon des
corps et leur angularité ramènent à la
tradition gothique tardive, que l'artiste
prolonge jusqu'au milieu du XVI' siècle.
• Un peintre italien singu lier , Giuseppe
Arcimboldo (1527-1593), se distingue
également à la cour germanique, où
font fureur ses tableaux fantastiques
représentant des personnages en buste,
de face ou de profil, composés d'un
assemblage de fruits, fleurs, légumes.
Ces ghiribizzi
Oeux caricaturaux)
représentent des allégories
des saisons
(Le Printemps,
musée du louvre,
Paris) ou des
éléments, des
portraits incarnés
par divers attributs de leur métier
(Le Bibliothécaire, collection Eva
Hëkenberg.
Stockholm).
• Au Danemark, le sculpteur flamand
Adrien De Vries exécute pour les grands
d'Europe bustes, groupes, fontaines,
fonts baptismaux, tombeaux ...
Ses œuvres illustrent sa formation
florentine et son goût pour la peinture
par des oppositions violentes d'ombre
et de lumière (Mercure emportant
Psyché, musée du Louvre, Paris).
LE HRME • MANitRISME •
l'épithète « maniériste » apparalt
pour la première fois au XVII' siècle
chez Fréart de Chambray (1662), et le
substantif" maniérisme »seulement
à la fin du XVIII' siècle.
Ce tenme, issu
de l'expression "à la manière de »,
reflète le jugement très négatif porté
sur l'art de cette période, et ce jusqu'au
XX' siècle.
Vasari, historien de l'art
du XVI' siècle, qualifie ce mouvement
de bella maniera, parce qu'il exige
de l'harmonie, de l'imagination et
de la fantaisie, mais ne renie pas la
supériori té des grands maîtres de la
Renaissance.
l'idée d'une dècadence
des artistes se développe en une
analyse critique sévère, accusant les
maniéristes d'Imitation et de répétition
de formules anciennes.
Ce préjugé
perdure jusqu'au siècle dernier, quand
les travaux des chercheurs européens
permettent de (re)découvrir ces
œuvres.
De grandes expositions
(Naples, 1952, et Paris, 1965) les
révèlent alors à un large public,
modifiant le regard porté sur elles..
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