LE Jazz, DES ADIEUX À LA RELÈVE de 1990 à 1994 : Histoire
Publié le 15/01/2019
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LE
Jazz,
DES ADIEUX À LA RELÈVE
Jazz en régression ou en stagnation ? Jazz en évolution et en ébullition ? Telles sont les questions qui se posent à chaque nouvelle décennie, et plus particulièrement à l’orée du troisième millénaire, puisque l’on s’apprête à célébrer bientôt les cent ans de cette musique devenue l’un des ferments culturels de notre siècle finissant. Les interrogations ont d’autant plus d’acuité que disparaissent ces grands créateurs qui ont marqué de leur génie les cinquante dernières années et que les musiciens de la nouvelle génération semblent bien décidés à prendre la relève dans des directions antinomiques : certains effectuent un retour sur le passé, développant une sorte d’« archéopathie » permanente, d'autres gardent une prise directe sur l’environnement quotidien ; de là cette incroyable diversité musicale qui caractérise aujourd’hui le jazz.
Disparition des « géants »
La liste mortuaire est longue : une cinquantaine de noms y figurent, parmi lesquels ceux de quelques héros de légende, en avance sur toutes les modes, et qui ont fait progresser le jazz, sachant parfois le remettre en question. En 1990, Sarah Vaughan. l’une des trois divas du jazz (avec Billie Holiday et une Ella Fitzgerald perdant la vue), émet son dernier vibrato ; Dextcr Gordon range définitivement son saxophone ténor après avoir obtenu une distinction pour sa performance d'acteur dans le film Autour de minuit ; le Sud-Africain Chris McGregor referme pour toujours le couvercle de son piano, tandis qu’Art Blakey endeuille les Jazz Messengers, démontant une ernière fois sa batterie explosive. En 1991, du 3 au 6 mars, au Café Montmartre de Copenhague, Stan Getz se produit en duo avec le pianiste Kenny Barron. Un double CD paraît peu après, démontrant aux admirateurs de Getz que la maladie n’a pas entamé sa créativité ni altéré son incomparable puissance sonore ; il décède trois mois après, suivi en septembre par un autre artiste déjà mythique de son vivant, Miles Davis. Incarnant toutes les métamorphoses du jazz depuis les années quarante, le trompettiste laisse une trace de sa nouvelle orientation : avec le disque Doo-Bop, enregistré (quelques semaines avant sa disparition) en compagnie de rappers, il ouvrait une fois de plus la voie à d’autres perspectives.
Au cours de l'année suivante disparaissent notamment le vociférant saxophoniste George Adams, les contrebassistes Red Cal-lender et Red Mitchell, le délicat Joe Newman, ex-trompettiste chez Count Basie, le batteur mélodiste Ed Blackwell et Clifford Jordan, saxophoniste expressionniste, ancien compagnon de Charles Mingus dans les années soixante.
«
dernière
fois sa batterie explosive.
En 1991, du 3 au 6 mars, au Café
Montmartre de Copenhague.
Stan Getz se produit en duo avec le
pianiste Kenny Sarron.
Un double CD paraît peu après, démontrant
aux admirateurs de Getz que la maladie n'a pas entamé sa créativité
ni altéré son incomparable puissance sonore ; il décède trois mois
après, suivi en septembre par un autre artiste déjà mythique de son
vivant.
Miles Davis.
incarnant toutes les métamorphoses du jazz
depuis les années quarante, le trompettiste laisse une trace de sa nou
velle orientation: avec le disque Doo-Bop, enregistré (quelques
semaines avant sa disparition) en compagnie de rappers, il ouvrait
une fois de plus la voie à d'autres perspectives.
Au cours de l'année suivante disparaissent notamment le
vociférant saxophoniste George Adams, les contrebassistes Red Cal
lender el Red Mitchell, le délicat Joe Newman, ex-trompettiste chez
Count Basie, le batteur mélodiste Ed Blackwell et Clifford Jordan,
saxophoniste expressionniste.
ancien compagnon de Charles Mingus
dans les années soixante.
D'autres figures symboliques du jazz moderne quittent la
scène en 1993: en premier lieu, Dizzy Gillespie.
Ce trompettiste à
l'incomparable technique, chanteur de scat, showman irrésistible,
mais sérieux innovateur.
chef d'orchestres éphémères, fut l'un des
principaux créateurs du be-bop et parcourut la planète jusqu'à son
(presque) dernier souffle.
Citons ensuite Sun Ra (alias Herman
« Sonny » Blount), poète intergalactique, pionnier de l'électronique
et de l'avant-garde orchestrale, qui associa dans son Arkestra la tra
dition des big-bands de l'ère swing et la liberté d'improvisation col
lective illimitée.
Frank Zappa, authentique génie de la musique ayant
su intégrer des éléments du jazz dans son univers sonore si singulier,
meurt à la fin de l'année.
Quatre trompettistes -Red Rodney, Shorty Rodgers,
Teddy Buckner et le Parisien Philippe Brun (ces deux derniers octo
génaires) -, le guitariste Joe Pass, l'éminent critique Leonard Fea
ther, la chanteuse Carmen McRae et Cab Calloway (chef d'orchestre,
chanteur, danseur.
comédien, figure légendaire du Cotton Club des
années trente et papa des zazous), Connie Kay, batteur du Modern
Jazz Quartet, véritable artiste des sons et silences, et Antonio Carlos
«Tom " Jobim, l'un des grands maîtres de la bossa-nova, mettent fin
à cette longue série nécrologique de l'année 1994.
NouvELLES PERSPEcrivEs
Déjà amorcé au cours de la précédente décennie, le cou
rant dit , ou «néo-hard-bop>>, ne présente pas
d'évidentes caractéristiques innovatrices, mais les musiciens prati
quant ce style issu des années cinquante et soixante prétendent en
offrir' des versions roboratives, sans nostalgie ni concessions trop
mercantiles.
Ainsi, le trompettiste Roy Hardgrove se frotte aux
« ténors (saxes) de notre temps» que sont les anciens, Johnny Grif
fin, Joe Hcnderson, Stanley Thrrentine, et les plus jeunes, Brandford
Marsalis et Joshua Redman (fils de Dewey, lui aussi saxophoniste) ; il
est porté trop rapidement aux nues et sa gloire précoce aura du mal à
résister aux assauts de concurrents encore plus fougueux.
T.S.
Monk
- fils de Tbelonious -.
après avoir fait ses premières armes de batteur
dans le rock.
emprunte sans complexe ni mimétisme le chemin tracé
jadis par les Jazz Messengers.
Les saxophonistes Antonio Hart et le
Portoricain David Sanchez officient dans un registre propre à cette
génération qui reconnaît tout devoir aux illustres aînés.
Wallace Rooney, désigné par Miles Davis lui-même comme
son "dauphin "• reste attaché aux conceptions du légendaire quin
tette que son « Maître " fit triompher dans les années soixante.
Dans
un genre totalement différent, mais dans le même esprit de reviva
lisme, se développe la mode des fanfares (cuivres et tambours, brass
bands), mariant les thèmes des parades de La Nouvelle-Orléans, le
rhythm'n'blues, le be-bop et le jazz moderne, dans le sillage du
groupe le plus représentati( le Dirty Dozen Brass Band.
Autre volonté clairement exprimée : raconter tout le jazz.
·Ce qui est le cas du très médiatique et populaire Wynton Marsalis,
trompettiste virtuose, pédagogue érudit, survolant - à l'exception du
free -toutes les époques du jazz, de Jelly Roll Morton à John Col
trane en passant par Duke Ellington et Charlas Mingus.
En opposi
tion à sa manière très (trop?) déférente d'interpréter l'histoire, le
jeune saxophoniste James Carter n'hésite pas à explorer t
ou tes.
les
contrées, même les plus arides à certaines oreilles ; défilent natur elle- LE
JAZZ, DES ADIEUX
À LA RELÈVE.
Aldo Romano, à la fois
guitariste, cltameur,
compositeur et surtow
batteur, venu du free-jall,
est soucieux de déborder
les frontières
ent re genres musicaux.
© Meploisto LE
JAZZ.
DES ADIEUX
À LA RELÈVE.
Fils d'Ellis et frère de
Bronford, \Vymon Morsolis
est un jeune prodige du jazz
par sa très gronde moftrise
de la rromperre
et sa cotlliOissance
de la plupart des styles.
©Christian Ducasse
ment dans ses doigts tempétueux le jazz d'hier, d'aujourd'hui et celui
qui préfigure la musique de demain ; à suivre, donc ...
Élaborant ses disques Haunted Hean et A/ways Say
Goodby comme un découpage cinématographique, le contrebassiste
Charlie Haden rend (au sein de son «Quarte! West») un hommage
nostalgique, passionné et passionnant aux films noirs de Hollywood
où rôdent les fantômes des personnages de Chandler et de Hammett,
ainsi qu'aux chanteuses qui ont accompagné son adolescence (Billie
Holiday, les voix blanches de Jeri Southern et de Joe Stafford).
Certains artistes, et non des moindres, reprennent à leur
compte, el à leur manière -notamment en Europe -, des tentatives
déjà concrétisées à la fin des années cinquante sous la dénomination
de >, caractérisé par les fian
çailles entre improvisation codée et écriture héritée de la tradition
européenne) et dont beaucoup firent fiasco.
On porte alors une atten
tion particulière au Gershwin revisité par la joyeuse bande que forme
le Willem Breuker Kollektief, au Vienna Art Orchestra de Mathias
Rüegg s'emparant de l'œuvre d'Erik Satie, au Britannique Mike
Westbrook se jouant du Guillaume Tell de Rossini, au trompettiste
italien Enrico Rava rendant un vibrant hommage à l'opéra (notam
ment au chant sublime de Puccini), au saxophoniste norvégien Jan
Garbarek enregistrant en compagnie d'un ensemble de musique
vocale du Moyen Age.
Dans l'Hexagone, et dans un tout autre genre,
le quartette du batteur Aldo Romano redonne de réjouissantes cou
leurs à des mélodies populaires teUes que 0 Sole Mio ou Gelsomina :
le trio de son confrère André Ceccarelli fait « jazzer,.
les chansons
des Beatles et le guitariste Marc Ducret prend comme support sept
rengaines des sixties.
Prix Django-Reinhardt 1992, l'accordéoniste
Richard Galliano relance de superbe manière l'association jazz, java,
swing et musette et, à l'instar du« nouveau tango,.
d'Astor Piazzola,
invente le «new musette "· Le pianiste Michel Petrucciani se produit
en solo, en duo avec l'organiste Eddie Louiss ou accompagné par un
quatuor à cordes.
La tendance la plus symptomatique d'une véritable évolu
tion du jazz provient, une fois de plus, de la mère patrie.
Simple
avatar ou réelle chance de renouvellement, la fusion entre jazz et rap
(après jazz-rock et jazz-funk) se précise nettement après des tenta
tives de rapprochement sensibles dès le début de l'année 1990.
D'au
cuns (des musiciens tels que le batteur Max Roach, un des premiers
boppers dès 1942) reconnaissent volontiers dans le rap -ce langage
parlé-chanté dont le jive,.
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