LE COURONNEMENT DE POPPEE de Claudio MONTEVERDI

« La personnalité de ce musicien, qui mourut à Venise en 1643, à la fin de la même année que le roi Louis XIII, marqueune évolution profonde dans l'art dramatique musical.

L'avènement de son Orfeo, en 1607, jalonne désormais l'un deces innombrables "tournants de l'histoire" que les imaginations peuvent se représenter, à leur choix, comme unesuite des plus capricieux zigzags, ou bien comme un mouvement giratoire perpétuel.

ORIGINE ET ACCUEIL En 1637 et 1639 s'ouvrirent à Venise les deux premiers théâtres publics et payants destinés à la représentation de«mélodrames».

On les construisit en amphithéâtre, pour concilier perspective et acoustique.

Les loges étaientréservées aux nobles, mais les parterres étaient ouverts à tous : ainsi, un public socialement très mélangé avaitaccès à l'opéra.

Le Couronnement de Poppée, dernier opéra de Monteverdi (qui l'a composé à soixante-quinze ans),fut représenté dans l'un de ces théâtres vénitiens, alors qu'Orfeo avait été conçu pour le public aristocratique deMantoue.

Il obtint un grand succès, et aujourd'hui, il est généralement tenu pour le chef-d'oeuvre de Monteverdi.Busenello est le premier grand librettiste de l'histoire de l'opéra. RESUME tragédie historique : intrigue politico-amoureuse Prologue : Devant la Fortune et la Vertu, l'Amour (sop) affirme qu'il mène le monde. Acte I : Poppée (sop) aime l'empereur Néron (t), mais son amour est calculateur : elle ambitionne de devenir impératrice à la place d'Octavie (ms), la femme de Néron.

Le philosophe Sénèque (b) s'interpose, pour empêcherl'Empereur de répudier son épouse, au nom de la Raison et de la Loi.

Furieux, Néron ordonne de supprimer Sénèque.Othon (bar), l'amant de Poppée, cruellement blessé d'être rejeté, envisage de la tuer.

Il pourrait ensuite se vouer àDrusilla (sop), qui l'aime depuis longtemps. Acte II : Sénèque accepte dignement son destin et se suicide.

Octavie, jalouse, persuade Othon de mener à terme son projet.

Othon emprunte alors à Drusilla ses vêtements pour s'approcher par ruse de Poppée, mais sa tentativede meurtre échoue. Acte III : Drusilla est accusée et condamnée à mort.

Othon intervient et révèle toute l'affaire.

Néron exile alors les deux amants et répudie Octavie.

Poppée peut enfin être couronnée impératrice. ANALYSE une luxuriance baroque et des résonances modernes Le Couronnement de Poppée est le premier grand opéra historique.

Les personnages, ici, ne sont plus des figures mythologiques (sauf le dieu Amour), mais des êtres humains qui ont réellement existé ; loin du monde idylliqued'Orfeo , tout égayé de bergers et de nymphes, cet opéra nous projette dans la Rome impériale, avec son climat d'intrigues, de violence et d'orgies.

Mais l'originalité de Monteverdi ne consiste pas tant à porter sur la scène unsujet historique qu'à présenter une oeuvre où le Mal l'emporte sur le Bien, où un amour illicite et criminel triomphe del'amour légitime.

Ainsi, par son thème et son atmosphère, son dernier opéra est très différent du premier.

Bienqu'animée par le même souci de vie et de vérité humaine, la sublime histoire d'Orfeo s'achève dans les étoiles de l'amour spirituel, tandis que Le Couronnement de Poppée peint la passion la plus charnelle, la plus sordide aussi : Poppée, l'intrigante, n'ensorcelle l'empereur Néron que pour obtenir le pouvoir et monter sur le trône d'impératrice,aux dépens de l'épouse en titre, Octavie, et celui qui ose réprouver cette liaison, le philosophe Sénèque, se voitaussitôt condamné à mort par le tyran.

Cette histoire terrifiante d'ambition et de sexe, véritable tragédie despulsions, étonne par sa modernité. Par sa luxuriance (lieux et actions multiples, jeu de contrastes, mélange des tons), cet opéra obéit à une esthétiquebaroque.

Le style «concitato» (agité) de la musique s'accorde avec cette histoire fertile en rebondissements, l'unitéétant garantie par des refrains qui jouent le rôle de leitmotive.

Les personnages évoluent constamment et l'on passe de l'action à la méditation, du sublime au grotesque, du trivial au tragique.

Ainsi, la célèbre scène de la mort deSénèque, grave et dépouillée, contraste avec la scène effrayante où Néron, en pleine orgie, chante sa joied'apprendre la mort du philosophe : «Horche Seneca è morto, cantiam» (Maintenant que Sénèque est mort,chantons).

Pour mieux suggérer l'exacerbation des sens, le chant s'orne alors d'arabesques vocales, tandis que lesinstruments riva- lisent de couleur et d'éclat.

L'amour est montré sous son versant lascif (Néron et Poppée), sentimental et exalté(Othon et Drusilla), frais et charmant (le page et la demoiselle).

Monteverdi varie les modes de chants : recitar cantando, mais aussi arioso, et toute la gamme des arias, du chant pur au chant ornementé.

Faisant alterner naturalisme et lyrisme, il nous fait entendre tantôt les hurlements de Néron devant Sénèque, tantôt la douceberceuse de la nourrice («Oblivion soave», Que le suave oubli...).

La passion immorale de Poppée et Nérons'épanouit avec une sorte de noblesse dans leur dialogue voluptueux au premier acte, pendant lequel l'enjôleuse. »