le Caravage (Histoire de la peinture)
Publié le 16/11/2018
Extrait du document

LA MORT DE LA VIERGE:
UNE «DÉSPIRITUALISATION» ICONOGRAPHIQUE
En 1601, le Caravage passe un contrat avec un grand juriste romain, Laerzio Cherubini, qui lui commande un transita, ce moment transitoire où la Vierge rejoint le Royaume des Cieux. Le tableau, réalisé en 1606, est le dernier de la période romaine. Il doit prendre place dans la chapelle privée du commanditaire, dans l'église Santa Maria della Scala in Trastevere. Réunissant treize figures au total, la Mort de la Vierge est une des toiles les plus imposantes du Caravage. Les onze apôtres sont regroupés autour de la Mère de Dieu étendue dans son lit, pendant que Marie-Madeleine pleure sa mort, la tête plongée sur ses genoux. La lumière, qui provient d'une fenêtre haute éclaire la scène et fait émerger et mieux discerner les formes et les modulations de couleurs.
Mais le tableau est refusé. Plusieurs explications laissent à penser que les contemporains furent particulièrement choqués à la réception de cette œuvre. D'abord, Giulio Mancini, dans ses Considérations sur la peinture (1615-1620), rapporte que le tableau fut retiré, car l'artiste «avait utilisé une courtisane aimée de lui comme modèle pour le visage de la Vierge». Mais c'est surtout le traitement iconographique qui entraîna les réactions virulentes des contemporains. Ici, la mort est traitée de façon très réaliste : la déchéance physique d'un cadavre, la bassine de vinaigre destinée à laver la dépouille. Ici, aucune allusion au miracle de l'Assomption, alors que l'iconographie traditionnelle représente un décès heureux, sans douleur, signe certain du chemin vers le paradis.
UN GÉNIE TEMPÉTUEUX
• Peintre à la réputation tapageuse, le Caravage (1571-1610) a été à la source d'intarissables débats dans les cercles artistiques autant pendant sa période d'activité que dans les siècles qui ont suivi sa mort Sa production picturale s’est en effet réalisée dans le cadre d'une vie dissolue, mêlant buanderies les plus obscures et sombres histoires criminelles.
• Cette dimension biographique ne doit pas faire oublier que le Caravage est avant tout un peintre exceptionnel.
• Très rapidement par le traitement iconographique subversif qu'il impose à ses toiles, par le recours presque systématique à la technique du clair-obscur (Repos à Emmaüs),
i
• Les frasques de sa vie ne manquent pas de se refléter dans son œuvre. Les protagonistes de ses toiles révèlent souvent des traits de personnages populaires, comme dans le Repas à Emmaüs (1601 ), où l'aubergiste paraît tout droit sorti d'une taverne romaine.
• On voit apparaître dans ses premiers tableaux certaines caractéristiques qui définiront par la suite son style. L'intervention de personnages issus des milieux populaires contribue à renforcer ce sentiment de réalisme qui domine son œuvre. La passion des contrastes de couleurs est déjà perceptible. Les personnages, éclairés d'une lumière crue, se détachent d'autant mieux que le fond est opaque et souvent uniforme, comme dans la Madeleine repentie ou la Sainte Catherine d'Alexandrie de 1597.

«
•
le Caravage, par le rejet des
conventions esthétiques du Cinquecento
(XW siècle italien), par l'éviction de sa
palette des coloris maniéristes, impose
rapidement un nouveau style pictural
dans la Rome de la fin du xw siècle.
LA RECONNAISSANCE
DEUX COMMANDES DhiRMINANTIS
• Entre 1599 et 1602, à la faveur de la
réputation qui commence à l'entourer,
le Caravage livre deux commandes
dont l'Importance est primordiale pour
comprendre les inventions qui marquent
cette période.
• Alors que l'autre grand peintre romain,
Carrache, s'attelle à la réalisation de
fresques pour le palais Farnèse, le
Caravage entreprend l'exécution de
plusieurs toiles pour les églises Saint
louis-{jes-Français et Sainte-MariHu
Peuple.
LA CHAPELU CONTAIIEW
• les travaux pour la chapelle latérale
Contarelli, abritée dans l'église Saint
louis-{jes-Français, s'échelonnent entre
les années 1599 et 1602.
Trois tableaux
majeurs y sont présentés autour de la
figure évangélique de saint Matthieu : la
Vocation et le Martyre de saint
MlltthiH, et Saint Matthieu et l'Ange.
Dans ces œuvres longuement travaillées,
à la solennité renforcée par leurs
grandes dimensions, le Caravage affine
toutes les subtilités de son style.
le réalisme se dessine à travers
l'Introduction de cadres contemporains
pour dècrire des scènes bibliques : un
bureau d'octroi accueillant une table de
jeu pour le premier; l'architecture d'une
église romaine pour le second.
Si, dans
la Vocation de saint Mllftlritu,
l'entrée du Christ vient à peine perturber
l'atmosphère calme du lieu, le tumulte
l'emporte dans le Martyre de saint
Matthieu, tableau complexe, où, alors
que certains personnages se débattent
par des mouvements vigoureux, d'autres
assistent au meurtre du saint avec une
étrange impassibilité.
les radiographies
récentes de la toile ont mis en lumière
les tâtonnements de l'artiste quant à la
voie à suivre pour composer la scène.
l'idée de départ fondée sur une
construction rhétorique de cet épisode
fut totalement abandonnée au profit de
cette version aux accents plus
dramatiques.
LA CHAPEUf CEIASI
• la Crucifixion de saint Pierre et la
Conversion de saint Paul, dans la chapelle
Cerasi de Sainte-Marie-du
Peuple, attisèrent les réactions des
détracteurs du Caravage.
Ceux-ci
-et les académies en particulier -lui
reprochèrent une peinture senza
adione et senza storia (sans action et
sans histoire).
Dans la ConvtrsiOII dt
saint Pllul (1601 ), les personnages
n'illustrent pas les moments d'une
histoire, mais bien des êtres qui
surgissent des fonds obscurs dans toute
leur réalité.
En plaçant sur le même
plan la croupe du cheval et la figure de
saint Paul, le Caravage, subversif dans
le traitement iconographique, s'attire de
vives critiques de la part de ses
contemporains, qui insistent sur la
vulgarité de ce réalisme.
LE LUMINISME
• Dans cette série de réalisations, le rôle
de la lumière dans la composition se
fait de plus en plus net.
le recours
presque systématique à la technique du
clair-obscur, qui consiste à établir des
effets de contrastes entre des zones
éclairées et des fonds sombres, a pour
effet de suggérer d'autant mieux les
formes, le relief et la profondeur,
comme dans
Saint
Mtlftlritu et
l'Ange (1602).
Cette lumière,
substance en
elle-même qui
jaillit de
l'extérieur, se
charge de figer
dans un éclair
instantané une
scène qui,
d'un statut
initial narratif, donc transitoire,
s'immobilise et acquiert une dimension
intemporelle.
le halo spirituel des
personnages sacrés, inondés par cette
lumière, s'en trouve immédiatement
amplifié.
la fidélité à ce «luminisme»
ne se démentira plus chez l'artiste.
LA FIN DU SÉJOUR ROMAIN
UN MONDE DE SPIRITUALITt
• À partir des premières années
du XVII' siècle, le Caravage ne traite
presque plus que des scènes
religieuses, s'inscrivant par ce choix
dans l'héritage direct de la Renaissance.
C'est le moment où le réalisme
populaire du Caravage s'intensifie.
Mais
les innovations esthétiques du peintre,
considéré comme l'un des premiers
«réalistes>>, semblent trouver leur
légitimation dans la croyance
théologique en l'Incarnation.
Si le
Christ s'est incarné dans l'humanité
souffrante, alors le sacré peut se
manifester dans l'objet le plus modeste.
Dans cette perspective, le Caravage abolit
les hiérarchies entre sujets nobles
et sujets ordinaires : le sacré peut se
dévoiler dans la simplicité du quotidien.
• C'est ce qu'il fait dans le Repos à
Emmaüs (1601), la Madone des
pèlerins (1604-1606) et la Madone
des palefreniers (1605-1606).
la Vierge
(dans les deux
derniers tableaux) ou
le Christ
d'Emmaüs
sont dépeints
aux côtés de
personnages
aux traits
populaires.
l'idée
nouvelle de représenter, dans la
Madone des pèlerins, la Vierge si
proche des humbles paysans suscite une
sensation émouvante.
Dans la Madone
des palefreniers, c'est sainte Anne qui
emprunte les contours d'une vieille
femme que l'on imagine sortie des bas
fonds romains.
LA FLORAISON DES ŒUVRES
• les trois dernières années romaines
du Caravage sont marquées par une
intense production artistique.
l'artiste
ploie sous le poids des commandes.
Ses plus grandes réalisations, entre
1603 et 1606, sont sans conteste la
Mise au tombeau (terminée en 1604), LE
CARAVAGISME
Paradoxalement alors même que
le Caravage n'a jamais manifesté
l'intention de «faire ècole», qu'il n'a
jamais formé aucun élève, sa mort
ouvre une période importante pour
l'histoire de la peinture européenne :
le caravagisme.
• Ce mouvement complexe,
hétérogène, «transnational•, possède
bien son point de ralliement dans
la volonté d'exploiter les nouvelles
ressources esthétiques apportées par
le Caravage.
Une génération d'artistes
prend conscience de l'apport du
luminisme et du «réalisme» du
Caravage, de la transposition possible
du sacré dans le profane.
• le caravagisme prend d'abord racine
chez des peintres italiens, dans les
villes de Rome et de Naples où l'artiste
a résidé.
Orazio Gentileschi (1563-
1639), Tanzio da Varallo (v.
1575/158(}
v.
1635) ou Bartolomeo Manfredi
(1587-1620) se sont efforcés de
pérenniser l'héritage du maitre, jusqu'à
l'Imitation pure et simple (Manfredi).
• À Naples, c'est José de Ribera (1591-
1652), Massimo Stanzione (1585-
1656) et Giovan Battista Caracciolo
(v.
1570-1637) qui fondent à partir des
inspirations caravagesques un des
premiers mouvements picturaux
significatifs dans l'histoire de la ville.
• la peinture caravagesque se développe
dans un premier temps
à Rome, creuset de la vie artistique
européenne à cette époque, où la
formation d'un artiste passe par «le
voyage en Italie».
C'est donc surtout
à partir de là que le caravagisme
s'exporte.
• Sa diffusion est spectaculaire dans
l'Europe du Nord (les Pays-Bas en
particulier), autour d'Adam Elsheimer
(1578- 1610) à Frandort d'Abraham
Janssens (v.t576-1632) à Anvers ou
du maniériste Abraham Bloemaert
(1564- 1651) à Utrecht.
• Dans ce jeu complexe d'Influences,
de rencontres inattendues, le
caravagisme se teinte d'infinies
variantes.
• Certains Français se réclament
également de la lignée du Caravage.
les séjours à Rome obligent Jean le
Clerc (v.
1585-1632), Nicolas Tournier
(1590-1639 ?) ou Valentin de Boulogne
(1591-1632) à revoir leur manière de
peindre.
Simon Vouet (159Q-1649),
qui demeure quatorze ans à Rome
entre 1613 et 1627, fait de sa peinture
une subtile alliance entre des apports
du Caravage (clair-obscur, réalisme)
et la touche française plus classique.
Nul doute également que dans
l'œuvre de Georges de la Tour (1593-
1652) se reflètent des techniques et
des motifs inspirés par le Caravage.
qui enrichit aujourd'hui les collections
1------------...,.------------
du Vatican, et
la Mort
de la
Vierge
(1601- 1605) que
l'on peut
admirer
au
louvre,
à Paris.
Dans l'élégante Mise au tombeau, un
subtil mouvement partant de la main
pendante du Christ presque déjà dans
la tombe, se prolonge jusqu'aux mains
levées de Marie Cléophas, semblant
annoncer l'épisode de la Résurrection.
• Signalons encore deux Saint Jean
Baptiste (1603-1604) et deux Saint
Jér6me (1605 et 1606) dans lesquels
les contrastes de lumière s'accentuent
de 1606, le rouge extraordinaire du
manteau du Père et Docteur de l'Église
se détache d'une manière éclatante
d'un fond envahi par les ténèbres.
LES ANNÉES ITINÉRANTES
DES MÉSAVENTURES
• En 1603, le Caravage s'était une
nouvelle fois fait remarquer par son
emprisonnement à la suite d'un procès
initié par le peintre Giovanni Baglione
pour des libelles diffamatoires.
Mais,
comme il bénéficiait d'un bon réseau
de relations, les autorités l'avaient
libéré au bout de deux semaines.
·le
28 mai 1606, un incident opposant
le Caravage à un certain Ranuccio
Tomasoni vire au tragique.
Au cours
d'une rixe, le peintre blesse
mortellement son adversaire.
Cet
accident éloigne définitivement le
Caravage de Rome et l'entraîne dans
une série de pérégrinations.
NAPLES l'arrivée du Caravage à Naples à la fin
de l'année 1606 aura un grand
retentissement sur l'histoire de la
peinture napolitaine au XVII' siècle.
Chez
le Caravage, une évolution esthétique
se dessine alors : la recherche accrue
de monochromie, le recours aux demi
teintes s'accompagnant toujours de
cette même dialectique entre l'ombre et
la lumière.
Mais beaucoup de tableaux
de cette époque ont disparu.
Par leur
construction monumentale, les Sept
Œuvres de la Miséricorde et la
Madone au Rosaire de 1607
conservent néanmoins des attributs
stylistiques de la dernière période
romaine.
MALTE ET LA SICilf
• Fin 1607, le Caravage gagne 111e
de Malte, où il se met au service des chevaliers
de l'Ordre.
C'est à cette
occasion qu'il réalise les portraits
d' Adolf de Wignocourt l'un de ses
membres éminents.
• Poursuivant par ailleurs son entreprise
d'illustration de l'histoire sacrée, il livre
une Décollati011 de saint Jean
Baptiste d'une forte intensité
dramatique, où la mort du Précurseur
est figurée par un drap d'un rouge
écarlate qui le couvre telle une traînée
de sang.
• En octob re 1608, ses déambulations
mènent l'artiste en Sicile.
Cette ultime
escale avant sa mort le recentre sur des
créations aux lumières plus feutrées
comme dans le Saint Jean-Baptiste à
la source (1608-1609} ou le Martyre de
sainte Ursule (1610).
Dans ce dernier,
tout se passe comme si le Caravage
portait à son terme un parcours
expressif qui, parti d'un Martyre de
saint Matthieu aux prises avec la
violence extrême de sa mort le conduit
à ce tableau où la sainte parait
totalement détachée de son bourreau
et de la douleur qu'il lui inflige.
• les compositions deviennent ensuite
plus intimes, conciliant une grande
délicatesse et une sobriété attachante
(Funérailles de sainte Lucie et
Résurrection de Lazare).
•le Caravage meurt le 18 juillet 1610
au cours d'un naufrage.
Son corps est
retrouvé sur le sable d'une plage du
latium.
Sa mort ressemble
étrangement à sa vie : singulière et
mouvementée, mystérieuse et romanesque..
»
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