LA TRAVIATA (La Dévoyée) de Giuseppe VERDI

« ANALYSE un style éloquent et hardi, entre romantisme et vérisme Dernier volet de la «Trilogie» verdienne, La Traviata est plus moderne que Rigoletto et que Le Trouvère. Son originalité tient d'abord au réalisme du sujet.

En choisissant de porter à la scène un dramecontemporain où une prostituée atteinte de tuberculose se hausse à la dignité d'héroïne tragique, Verdifait preuve d'une grande audace.

Au lieu de faire rêver le public avec de grandes fresques historiques, desfantaisies mythologiques ou des aventures de cape et d'épée d'importation anglo-saxonne, il le renvoie àson univers quotidien et lui tend un miroir peu complaisant.

Alfredo et son père incarnent la bourgeoisie dudix-neuvième siècle, avec sa frivolité veule, son moralisme étriqué et cruel.

Par opposition, Violetta, cette«traviata» qui se sacrifie par amour alors qu'elle est condamnée par la maladie et par la société, suscite àla fois la pitié et l'admiration.

Se détournant de l'image aristocratique de l'opéra, La Traviata préfigure le vérisme.

Mais contrairement à Dumas pour qui l'anecdote importe moins que la thèse morale et socialequ'elle illustre, Verdi privilégie le drame humain et l'analyse psychologique. La musique de Verdi, d'une éloquence subtile et concise, nous bouleverse sans pathos ni emphase.

Elletransfigure le mélodrame en une tragédie qui conjugue la démesure romantique et la minutie réaliste, quidécrit des états non seulement psychologiques mais physiques.

Tout en possédant une grande unité deton et de forme, la partition est extrêmement nuancée et mobile.

Dès le prélude, Verdi annonce les troisgrands thèmes de l'oeuvre, du plus grave au plus léger : la mort, l'amour, la vie mondaine.

Il résume ainsiles trois grandes étapes de ce drame qui nous mène de la gaieté factice et bruyante des salons parisiens àl'intimité désolée de la petite chambre où Violetta agonise ; le bonheur est entre les deux, représenté parla maison de campagne, sorte de paradis où s'épanouit l'amour, loin des contraintes et des préjugés.Cette célébration du naturel se retrouve dans l'écriture vocale : même dans les passages les plus lyriques,le chant se présente comme une traduction immédiate du texte.

Soucieux de vérité et d'expressivité,Verdi ne recourt pas aux ornementations du bel canto, mais le récitatif est si élaboré, si riche d'émotion qu'il s'assimile aux airs.

Ainsi, au début, quand Alfredo avoue son amour à Violetta, le passage du récitatifà l'air est imperceptible : «Di quell'amor, quell'amor ch'è palpito» (De cet amour qui est le souffle).

Lesdeux grands airs de Violetta, au premier acte («Sempre libera», Toujours libre), et au troisième acte(«Addio del passato bei sogni ridenti», Adieu, beaux rêves souriants du passé), ne sont pas des arias, mais les soupirs d'une âme qui cherche sa voie, le cri de douleur d'un être humain atteint dans sa chair.

Autroisième acte, le chant se réduit à ces chuchotements hachés et furtifs que l'on entend au chevet desmourants, afin de préparer la scène la plus pathétique de l'opéra : les adieux de Violetta à Alfredo(«Amami, Alfredo», Aime-moi, Alfredo).

Si tous les personnages sont fortement caractérisés (enparticulier, Germont, dont l'air assez conventionnel, au deuxième acte, reflète le conformisme moral),l'opéra reste dominé par l'héroïne.

Le rôle de Violetta exige une grande plasticité vocale et dramatique : àcet égard, l'interprétation vibrante de Maria Callas reste inégalée. Par ses innovations harmoniques, rytbmiques, mélodiques, La Traviata, qui réussit le tour de force d'être une oeuvre à la fois très populaire et très raffinée, annonce les grands chefs-d'oeuvre de la maturité deVerdi : Aïda, Otello, Falstaff.. »