La musique romantique

« lution Française - ne pouvait évidemment que déboucher sur un art différent d'avant , au­ tre.

Le classicisme qu'avaient connu les XVII' et XVIII 0 siècles, en réservant la première place à la raison, apparaissait comme un art voué à l'universel, à l'impersonnel « le moi est haïssable » écrivait Pascal.

A travers un style tendant à la litote, comme à travers les gran­ des formes architecturées - tragédies en vers au théâtre, équilibre harmonieux des monu­ ments en architecture , vastes compositions sym­ boliques en peinture, sonates, symphonies ou opéras en musique , - le classicisme trouvait tout naturellement dans l'universel son expres­ sion favorite.

Or cette éthique --· car c'en est finalement une - tend à s'inverser vers le milieu de la se­ conde moitié du XVIII•; timidement d'abord , ré­ solument ensuite .

La mode en vient aux ber­ geries, à la romance, à un retour à la nature dispensatrice de joies pures mais longtemps oubliées.

Un mouvement s'élève, en Allema­ gne et Autriche - le Sturm ünd Drang - avant-garde même du Romantisme qui, en réac­ tion contre l' Aufklarung et les Lumières, s'in­ surge contre la négation classique du drame et du mystère.

Chez Klopstock, et, déjà avant lui, chez Matthias Claudiu s, les thèmes de la nuit, de la forêt ressurgissent.

Le cœur reprend ses droits sur la raison raisonnante et des notions poétiques nouvelles tell es que enfance, inno­ cence, inspiration, natur e, génie se répandent à l'envi.

A ce mou veme nt littéraire , il fallait ses let­ tres de nobl esse : elles lui fur ent apportées par Gœthe - Werther : 1784 - et Schiller, puis toute cette magnifique pléiade de poètes et littérateurs du début du siècle : Heine, Wac­ kenroder, Novalis, Heinrich von Kleist, Jean­ Paul Richter, Schlegel , Hoffmann, Hôlderlin ...

Un monde nouv eau est né qui va désormais marquer profondément tout l'art musical par ses thèmes profondément originaux.

Et déjà par la prééminence du moi qui de­ vient le centre du romantisme = il s'agit de trouv e r au sein de l'univers, l'harmonie des choses et des êtres et, à traver s le ur vie ca­ chée, de révéler leur vraie nature comme leur vrai secret.

Voilà pourquoi, à la lumière du jour, symb ole de logique , d'intelligence, de raison, les Romantiqu e s préfèrent le clair-obs­ cur de l'âme ou de la nature - lorsque les con­ tours ou les sensations deviennent embués - et plus encore la Nuit, soit totale et effrayante de mystère, soit baignée au contraire de la pâle clarté lunaire, « ce beau cygne du ciel » comme écrit si poétiquement Jean-Paul.

Ce voyage mystique à la découverte de l'être profond s'accompagne d'un autre thème : le voyage à la découverte du temps et de l'es­ pace.

Du temps ? Les premiers, les artistes romantiques redonnent au Moyen Age son lus­ tre et sa valeur d'enseignement - goût des formes gothiques, résurgence des vieilles légen­ des deviennent des sources d'inspiration Wagner Moussorgski, Glinka, Dvorak, Berlioz, autant 'd'exemples pris entre cent - Mais voyage dans l'espace aussi Liszt , Berlioz , Wagner, Chopin, Tchaïkovski, tout comme Gœthe, Uhland, Chamisso, Eichendorf, Byron ou Schumann; éternels « Wanderer » parcou­ rant, le plus souvent à pied, leur propre pays ou l'Europe, en quête d 'émotions esthétiques n ouvelles et par là-même de nouvelles possi­ bilités de création.

La Nature reprend ainsi ses droits et les musiciens romantiques chanteront à l'en v i la profondeur des forêts, le chant des oiseaux, la beauté des paysages, les vieux burgs perchés en nids d'aigle, l'enchantement du ciel porte ouverte sur l'infini...

Cet appel d'un perpétuel ailleurs, se double alors d'une nostalgie de l'être, autre dominante de l'esthétique roman­ tique = ce « zal » polonais, « spleen » anglais, « nostalgie » française - si proche du « non­ chaloir » de Charles d'Orléans ! « Sehnsucht » allemande, tous synonymes et pourtant spéci­ fiques d'une ethnie déterminée.

Dans cette exploration des données poéti­ ques, le rêve apparaît bien vite comme un moyen de connaissance primordial; de là cette attirance pour les forces obscures chantées par Baudelaire, Nerval ou Dostoïevski et qu'un Schumann ou un Wagner révèlent de si éton­ nante façon = Tristan, ne sera-ce point la ré­ vélation du « conscient de l'inconscient » ? D'où l'importance accordée à l' inspiration spon­ tanée, à l'improvisation, moment suprême uni­ que et privilégié, car jamais renouvelé de ma­ nière identique; on connaît les soirées de Nohant où Delacroix et George Sand subissent le charme des improvisations de Chopin, mais également celles où brillent Liszt, Schubert, Schumann ou César Franck à sa tribune d'or­ gue de Sainte-Clotilde.

De là encore cette recherche multiple pous­ sée en tous les domaines que s'imposent les compositeurs romantiqu es, tendant vers un être total.

Polyvalence confondante.

Weber s'adonne à la littérature et la lithogravure, Mendels­ sohn se fait peintre, Wagner, Liszt e t Berlioz révèlent d'incomparables talents d'écrivains, Nietzsche compose sonates et lieder, tandis qu'Hoffmann véritable homme orchestre, est tout à la fois conteur, compositeur, peintre, pianiste, violoniste ou Kapellmeister.

Une telle aventure spirituelle, poussée jus­ qu'à ses plus ultimes limites ne va point ce­ pendant sans entraîner de dramatiques consé­ quences pour ceux qui la pour suive nt lucide­ ment et la veulent pleinement assumer.

Nom­ breux furent les artistes romantiques , on le sait, à sombrer dans la psychose, sinon le néant.

On connaît la folie de Schumann.

Elle n'est malheureusement pas isolée : s'y per­ dent également Hôlderlin, Hoffmann, Poe, Nietzsche.

tandis que Heine, Wackenroder, Bruckner sont la proie d'hallucinations, de cri­ ses nerveuses et que Novalis, amoureux d'une jeune morte, se laisse lui-même mourir à vingt-neuf ans.

Pareille « Weltanschauung » - conception du monde - s'accompagne difficilement des règles classiques.

Ainsi s'éclairent les formes. »