LA MUSIQUE de 1920 à 1929 : Histoire

Dès 1917, avec son ballet Parade (argument de Jean Cocteau, décors et costumes de Pablo Picasso), Erik Satie avait inauguré une nouvelle esthétique qui tournait résolument le dos à Debussy et à Ravel. De son côté, Igor Stravinski, avec l'Histoire du soldat créée à Lausanne en 1918, avait misé sur l’économie de l'instrumentation, sur la brièveté, sur le recours à des formes simples associant aux modèles classiques le tango et le ragtime. Représentation d’un théâtre forain chez Satie, spectacle conçu dans les conditions du théâtre forain chez Stravinski. Ainsi les deux plus intelligents découvreurs de ces années-là avaient-ils, chacun à sa manière, illustré ce que Jean Cocteau prônait dans un petit livre écrit en 1918 et dédié à Georges Auric, le Coq et l'Arlequin : «Assez de vagues, d'aquariums, d’ondines et de parfums la nuit; il nous faut une musique sur la terre, une musique de tous les jours.» Un autre aphorisme du Coq et l'Arlequin est à retenir : «Le music-hall, le cirque, les orchestres américains de nègres, tout cela féconde un artiste au même titre que la vie.»

En 1920, pour reprendre le titre d’un livre d'Ernest Hemingway, Paris est une fête. On commence à oublier les horreurs de la guerre, on veut s’amuser, l’insouciance devient vertu. De là à fuir le pathétique et le sublime il n’y a qu’un pas. Il reste à dessiner la ligne directrice. Six musiciens vont s’y employer : Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc, Georges Auric, Germaine Tailleferre, Louis Durey.

Le plus âgé (Durey) a trente-deux ans, les plus jeunes (Auric et Poulenc) vingt et un ans. Le groupe s’est constitué sous le signe de l'amitié ; des programmes de concerts et la publication d’un recueil collectif de petites pièces pour piano ont déjà réuni leurs noms, mais l’acte de baptême du groupe c’est un critique musical, Henri Collet, qui l’établit en rapprochant dans un article de Comœdia (le 16 janvier 1920) les «Cinq Russes» (Balakirev, Cui, Borodinc, Moussorgski, Rimski-Korsakov) des «Six Français». La formule fait recette.

Le 21 février 1920, à la Comédie des Champs-Élysées, un spectacle associant Erik Satie (Petites Pièces montées), Francis Poulenc (Cocardes), Georges Auric (Adieu New York) et Darius Milhaud (le Bœuf sur le toit) prend l’allure d'un manifeste. Le Bœuf sur le toit est une farce imaginée par Jean Cocteau et jouée par des clowns, les Fratellini. On ne voit que l’aspect comique mais Darius Milhaud a composé avec sérieux et gaieté (les deux ne sont pas contradictoires) un rondo sur des rythmes brésiliens et le titre fait simplement allusion à une rengaine qu’il a entendue à Rio de Janeiro. Après avoir donné son nom à un bar que fréquente le Tout-Paris des années vingt, le Bœuf sur le toit est demeuré une des œuvres les plus souvent jouées de Darius Milhaud et, chose extraordinaire, n'a rien perdu de son attrait tant la gaieté, l'entrain qui s’y manifestent apparaissent naturels.

L'année suivante, la musique de scène des Mariés de la tour Eiffel réunit Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc, Tailleferre mais, Durey s’étant abstenu, le groupe des Six se trouve réduit à cinq. En 1922, Erik Satie écrit dans les Feuilles libres : «Les Six sont Georges Auric, Darius Milhaud, Francis Poulenc» ce qui, après Durey, exclut Honegger et Tailleferre. Ce jugement n’est pas faux mais les trois élus ne tarderont pas à se déprendre d’une esthétique qui, un moment, les a rassemblés. A cet égard, les Mariés de la tour Eiffel, avec leurs musiques impertinentes, à l'emporte-pièce, représentent, mieux que les œuvres individuelles, les tendances d’un groupe où seule l’amitié ne fut pas éphémère.

Darius milhaud

Darius Milhaud, dont la veine créatrice est intarissable, poursuit ses recherches sur la polytonalité que, dans l'Homme et son désir, créé le 6 juin 1921 par les Ballets suédois, il associe à la poly-