LA DÉCOUVERTE DU LAOCOON
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
La beauté de l'œuvre suscite l'enthousiasme.
Le réalisme des visages crispés de douleur, la
finesse avec laquelle le grain de la peau est
rendu, l'expression du mouvement, tout cela
porte la signature d'un maître talentueux et
non d'un simple imitateur.
Les Romains
d'alors - et tous les historiens de 11 art jusqu'à
aujourd'hui - s'accordent pour penser que le
Laocoon est une pièce originale et digne du
plus grand intérêt.
Restaurations et copies
Aussitôt acheté par Jules II, le groupe sculpté
vient rejoindre dans la cour du Belvédère , au
Vatican, une autre statue antique célébrée par
Pline et retrouvée au début du xv1• siècle,
l'Apollon.
La statue a peu souffert, en regard du temps
qu'elle a passé sous terre, mais Laocoon a
quand même perdu son bras droit et les deux
enfants leur main droite.
Dans les années
1530, ces pièces manquantes sont remplacées
par de nouveaux fragments sculptés exprès,
tandis que - pudeur chrétienne oblige -l'on
pose sur le sexe des personnages des feu illes
de vigne en marbre afin de les dissimule r.
La statue ainsi restaurée fait l'objet de tous les
commentaires et de toutes les convoitises.
Les
visiteurs multiplient les demandes d'autorisa
tion au pape pour venir voir l'œuvre, et les
princes se disputent le privilège d'acquérir
une copie de la statue célèbre .
En 1510 ,
Bramante, architecte et artiste favori du pape ,
organise un concours entre quatre sculpteurs
renommés de Rome pour copier en cire le
Laocoon .
C'est Raphaël, nouvel arrivé dans la
cité, qui est chargé de juger les résultats.
Le
travail du jeune Jacopo Sansovino est primé,
et l'on décide aussitôt de l'utiliser pour réali
ser une empreinte en plâtre d'après laquelle
est fondue une version en bronze du Laocoon
- envoyée bientôt à Venise.
Treize ans plu s tard, le roi de France Fran çois !"
intervient auprès du pape Léon X pour lui ache
ter la statue.
Le pontife refu se, mais il tient à
ménager le souve rain français.
Sur son ordre,
Baccio Bandinelli exécute alors la première
Laocoon , le Greco , vers 1610-1614 (Washington ,
National
Gallery of An).
Taddeo Zuco copie les statues antiques, dessin de F.
Zuccari (Florence , galerie des Offices , cabinet des dessins).
copie en marbre grandeur nature du Laocoon,
que le pape destine à François I".
Mais des pres
sions diplomatiques agissent pour détourner
loin de la France , même la copie : le Laocoon de
Bandinelli se retrouve, finalement, à la cour de
Florence (il est exposé aujourd'hui aux Offices),
tandis que François ! " reçoit une seconde ver
sion de l' œuvre ...
en bronze (elle est alors ins
tallée à Fontainebleau ).
D'autres copies et varia
tio ns sur le modèle existent encore : des
réductions en bronze ou en marbre, destinées
au plaisir des amateurs , des fontes en bronze
grandeur nature d'un seul des trois personnages
- le plus impressionnant : Laocoon.
La réaction des artistes
Bien entendu, les collectionneurs ne sont pas
les seuls à se pas sionner pour la découverte de
la statue; les artistes aussi vont la voir, et
s'enthousiasment pour ses formes.
Progres
sivement, le Laocoon infléchit ainsi les formes
esthétiques de la Renaissance.
Au premier style
de Raphaël et de Michel-Ange , dont la décou
verte de la statue est à peu près contemporaine,
elle propose une alternative : non pas le canon
d'une beauté idéale figée dans une immobilité
presque totale (comme les figures du Parnasse
de Raphaël, ou les lgnudi peints par Michel
Ange sous la voûte de la Sixtine), mais des
corps nerveux étirés à l'extrême , des figures gri-
maçantes , des muscles noués, des membres
agités par les mouvements les plus violents.
Michel-Ange sculpte ainsi dans les années 1510
des esclaves rebelles, ligotés par des liens qui
ressemblent au serpent du Laocoon , et s'effo r
çant de s'extraire du marbre brut qui empri
sonne encore leur corps, comme le prêtre
troyen se débat pour se débarrasser de la bête
qui enserre ses membres.
Raphaël, dans sa der
nière toile , la Transfiguration , peint un enfant
possédé qui bande aussi ses muscles pour
échapper à ceux qui le retiennent , souvenir pos
sible de la pièce antique longuement regardée .
Plus généralement, les modifications de sty le
qui se produisent chez les artistes, à partir des
années 1520 , ne sont pas sans évoquer les
caractéristiques présentes dans le groupe
sculpté .
L'a llongement
des corps, dans les
œuvres maniéristes, la prédilection des
peintres
pour la rep résenta tion du mouve
ment , le jeu outré des expressions chez les
artistes baroques, tout cela évoque le souveni r
de la statue retrouvée à Rome.
Mais c'est sans doute chez un artiste grec d'ori
gine et passé à Rome en 1570 que l'on ressent
le mieux l'influence du Laocoon : les corps étirés
du Greco, la véhémence des mouvements et
l'e xpressionnisme des attitudes, dans les
œuvres de cet artiste, évoquent irrésistiblement
la statue antique.
Influence avouée, obsédante,
car le Greco, à la fin de sa vie, a représenté trois
fois le thème du Laocoon.
Deux de ces œuvres,
mentionnées dans l'atelier tolédan du peintre
après sa mort , sont perdues; la troisième existe
toujours.
Transposition très libre de la statue,
cette toile étrange montre, sur fond de vue de
Tolède , Laocoon et ses fils en présence de deux
ou trois autres pers onnages , luttant contre les
serpents qui ont déjà jeté à terre le père et l'un
des fils, tandis que le deuxième garçon arque en
vain son corps dressé pour écarter de lui le ser
pent dont la gueu le approche son flanc..
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