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LA «CAGE AUX FAUVES»

Publié le 14/09/2014

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De crainte d'être accusé de cautionner une manifestation si clairement «révolutionnaire«, le président de la République, Émile Loubet, refuse d'inaugurer le Salon. La critique n'est pas plus favorable. Un journaliste écrit : «Ce qui nous est présenté n'a — à part les matériaux employés — aucun rapport avec la peinture; ce sont des bariolages informes; du bleu, du rouge, du jaune, du vert; des taches de colorations crues juxtaposées au petit bonheur; les jeux barbares et naïfs d'un enfant qui s'exerce avec la 

boîte à couleurs.« Avec plus d'humour, un poète, Paul-Jean Toulet, moque une peinture «obtenue par un mélange de cires à bouteilles et de plumes de perroquet«. Quant à l'écrivain André Gide, qui commente l'exposition dans la Gazette des beaux-arts, il témoigne avoir entendu crier «C'est de la folie!« par les visiteurs.

Exception faite de rares observateurs, le cri­tique Louis Vauxcelles, le peintre Maurice Denis ou André Gide, nul ne veut prendre au sérieux ces peintures stupéfiantes. Pourquoi cette unanimité dans le refus? À cause de la couleur. Dans leurs paysages et dans leurs por­traits, les peintres qui exposent dans la salle 7 prennent d'incroyables libertés avec elle. Ils s'affranchissent d'une règle jusque-là presque immuable, celle du «ton local«, qui veut que la teinte naturelle d'un objet soit reproduite dans la peinture, nuancée seulement par les modifi­cations qu'apportent à sa perception la position

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'~ · fi! Page du ;oumal !'Illustration du 4 no vembre 19 0 5, reproduisant les tableaux accroc hés par les peintres •fauves • au Salon d 'automne 1905.

La critique conspua ces •bariolages informes •.

Le Séchage des voiles , André Derain (Moscou, musée Pou chkine).

V de l'objet dans l'espace et les conditions de son éclairage.

Auparavant, seul Paul Gauguin avait remis en cause cette règle , en peignant des plages roses, des étang s mauve et vert et la prairie vermillon dans la Vision du sermon.

Or, en 1905 , Derain expose des marines où, sous un ciel vert pré et jaune citron, des barques écarlates flottent sur un golfe vert pâle .

Matisse accroche, lui, des portraits de femmes au visage teint de violet et d'orange et l'image d'une Fenêtr e éclaboussée de roses et de rouges hardi­ ment juxtaposés.

Aucun impressionniste n'a eu pareille témérité.

Van Gogh lui-même, dont les couleurs ont été influencées par les peintures japonaises, a respecté le principe du ton local.

Au Salon, des jeunes gens , inconnus pour la plu­ part , osent ainsi une peinture sans précédent : le scandale est immense, à la mesure du sacrilège.

Complicité d 'amis Parmi les indignés et les protestataires , nul ne sait rien des jeunes peintres, ni de leur ambi­ tion.

Seul, Gide, proche du milieu pictural, connaît celle-ci.

Et il écrit à propos du mouve­ ment: •Tout s'y peut déduire , expliquer. • De fait, les œuvres des •fauves • ont un caractère éminemment logique, conforme à l'amour de la raison qui anime les membres les plus importants du groupe , Derain et Matisse.

Quand les deux hommes se rencontrent, durant l'hiver 1904-1905 , Matisse n'est encore qu'un postimpressionniste à la recherche d'un style personnel.

Derain, lui aussi , reste partagé entre des influences opposées : il s'insp ire de Signac , de Cézanne , de Gauguin ...

Mais, en compagnie de Vlaminck , il a déjà expérimenté l'emploi de couleurs pures de tout mélange.

S'il respecte encore la couleur réelle des objets qu'il repro­ duit, du moins exagère-t-il les nuances qui trans­ forment celle-ci selon la lumière et la distance.

Au Salon des indépendants , qui s'est tenu au printemps pré cédant le Salon d'automne , Derain a présenté des paysages de Chatou pré­ figurant les outrances à venir , alors que Matisse exposait des tableaux au traitement des cou­ leurs assez conventionnel.

Mais, pendant l'été, les deux artistes travaillent de concert.

Matisse s'établit à Collioure, au bord de la Méd iter­ ranée , le 16 mai; Derain l'y rejoint le 8 juille t.

là, jusqu'en septembr e, sous le soleil, ils se libèrent peu à peu de toute contrainte natura ­ liste et s'éloignent de la tradition impression­ niste.

Confortés dans leur démarche par les tableaux de Gauguin, qui travaille non loin de là, à L eucate, ils sauten t le pas et introduisent des couleurs résolument non imitatives.

Cependan t, afin de préserver la lisibilité de leurs œuvres, ils contiennent ces couleurs dans les contou r s d' un dessin très ferme - d'autant plus ferme et efficace qu'il assure seul la fonc ­ tion descriptive traditionnelle.

Une barque peut être bleu azur et orange, à condition qu'un cerne fortement tracé indiqu e sa forme et le galbe de ses flancs; il en va de même de la silhouette d'u n marin ou d'un visage.

Une fois l'équilib re trouvé , couleur arbitrairement choisie et armature dessinée définissent une nouvelle peinture , cohé rent e et calculé e.

La formation du groupe En septembre, Matisse et De rain rev iennent à Paris cha rgés de leurs toiles.

Ils les montrent à que lques peintres amis , à Vlamin ck et à Marquet, qui écrit aussitôt à Manguin que ce sont là «des choses épatantes».

Le 23 septembre, D erain signe un contrat avec le marchand Ambroise Vollard , tand is que Matisse s'assure de la bienveillance du comité organisateur du Salon d'automne.

Le 18 octobre enfin, le Salon s'ouvre, et le scandale explose, qui a pour pre­ mier effet de renforcer la solidarité des peintres attaqués : un groupe •fauve • naî t de ce combat.

Le scandal e a égalemen t pour effet d'attirer collectionneurs et peintres.

La rom ancière amé­ ricaine Gertrude S te in achète alors la Femme au chapeau de Matisse.

Peu après , un richissime mécène russe , Serge i Chtchoukine, demande à rencontrer l'artiste.

Au même moment s'ins­ talle au Bateau-Lavo ir - le grand immeuble d'ateliers où résident les peintres à Montmartre - un jeune Néerlandais, Kees Van Dongen .

D'au t res inconnus rejoignent , comme lui, le groupe : les énumérer, c'est résumer une bonne partie de l'histoire de l'art au XX siècle, car ils se nomment Braque, Delaunay et Dufy.

Tou s exposent en mars 1906 au Salon des indépen­ dants.

Une fois de plus, le publi c s'esclaffe.

Peu importe cependant , car un mouvement aussi puissant et novateur que l'impressionnisme quarante ans plus tôt vient de naître.. »

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