Joseph Haydn
Publié le 02/03/2010
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La gaieté, est-ce un sentiment noble ? Et ce Joseph Haydn qui, sa vie durant, l'a exprimée sans mesure, cette marionnette en perruque à queue, en frac bleu clair à boutons d'argent, ce maître de chapelle à l'âme de bureaucrate guilleret, peut-on honnêtement le placer au rang des grands musiciens ? Pourquoi non ? La gaieté manque, paraît-il, de profondeur. Mais quel besoin que la musique soit toujours profonde ? N'a-t-elle pas été d'abord créée pour le plaisir de l'oreille et des sens ? Ce sont les Romantiques et, après eux, tous les autres, qui ont compliqué le problème. Ou qui plutôt ont transformé en problème ce qui ne servait qu'à charmer et à divertir. Écoutons Haydn comme il convient qu'on l'entende. Il est un maître, assurément, et des plus grands. Il n'est pas toute la musique ; mais il en illustre l'aspect riant, le côté pimpant. Et il porte le signe de l'éternelle jeunesse. C'est un Croate, assurent les érudits. Ils ont trouvé cela parce qu'il faut toujours découvrir le détail piquant, le trait de nature propre à favoriser les débats à base d'appareil critique. En fait l'influence slave n'apparaît que tardivement et de façon tout accessoire dans son Oeuvre. Rohrau, village de la Basse-Autriche où il naît, est situé tout près de la frontière hongroise ; mais Vienne n'est pas loin, et c'est l'esprit viennois que, dès le temps de ses débuts, reflétera l'art du futur compositeur des Saisons. Au cOeur de la monarchie bicéphale où tant d'afflux ethniques se heurtent et se neutralisent, Vienne joue un rôle providentiel : elle opère la synthèse des apports et fond le disparate des caractères dans cette intense "douceur de vie" qu'exprime si éloquemment l'art de ses grands musiciens (venus l'un de l'Est, l'autre de Salzbourg, sans parler du Rhénan Beethoven). Quand Joseph Haydn, fils de charron, prend le chemin de la grande ville, il est peut-être encore ignorant de son vrai destin, mais Vienne aura tôt fait de le lui révéler. Pour un "Sepperl" qui n'a envie que de chanter, toute autorité sera bonne, qui le gouvernera selon son cOeur. Et jamais apprenti ne sera plus dispos et docile, plus naïf et neuf devant une tradition dont il éprouvera d'instinct l'ordre et les lois, mais que son esprit, rebelle à l'analyse, ne se souciera jamais de pénétrer par l'intelligence, même quand il en sera devenu le chantre et l'ambassadeur officiel.
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de chapelle une production incessante autant que varice ? Qu'à cela ne tienne : puisque aussi bien on le paie,maître Haydn est apte à toutes les besognes.
Loin de le rebuter, les commandes les moins nobles lui agréent, même-et surtout peut-être les partitions pour théâtre de marionnettes.
Que tout cela est facile et gai ! Avoir à sadisposition un orchestre habillé de linge blanc, de bas blancs et de beaux souliers à boucles, avec de magnifiquesperruques à queues toutes identiques, quelle aubaine ! Et il y a le parc, où l'on a la permission de se promener àheures fixes, sans parler des visites à la cuisine où les bons morceaux du relief princier ne font pas défaut.
Pour uneâme paisible et qui n'a d'autre souci que de fournir régulièrement ariettes et menuets, vraiment Esterhaz est unparadis au cOeur de ce plus grand paradis qu'est l'Autriche familiale et débonnaire.
Pour se résoudre à quitter ceséjour aimable, il faudrait un acte de décision qui ne saurait venir que d'autrui ; il faudrait la mort du très nobleprince Nicolas et qu'en ces lieux si harmonieusement accordés à son climat, la musique fût devenueinconcevablement importune...
Tout arrive.
Même les princes s'en vont.
Et leurs héritiers peuvent n'être que des Béotiens, pressés de liquiderchapelle et musiciens.
A soixante ans voilà Joseph Haydn rendu à cette liberté dont il n'a que faire, et voici s'ouvrirle troisième volet du triptyque.
Rien de tragique ici non plus.
Dans la cage dorée d'Esterhaz le bon Haydn a composétant de musique, et de si jolie, que les oreilles des familiers du prince n'ont pas été seules à y prendre agrément.Vienne, si elle n'a souci de le chansonner ce qui serait la vraie gloire le chantonne tout au moins.
Un roi, le roi deNaples en personne, ne demande qu'à l'emmener en carrosse dans ses États.
Mais, plus prompt à l'attaque, unimpresario du nom de Salomon lui fait signer un engagement pour vingt concerts à Londres.
Et voilà (nouveau sujetde gravure dans le goût de l'époque) en vue des falaises de Douvres, un Haydn avantageux qui nargue le mal de meret fait risette à la tempête.
Cette période londonienne en deux parties (1790-1792 et 1794-1795), c'est le temps de la moisson.
Car tout vient àpoint à qui sait attendre, surtout quand on a travaillé sans ambition.
L'engouement, l'amitié du public anglais, ladéférence de la Cour, il y aurait là de quoi tourner une tête moins sage ; mais Haydn, dont l'imagination n'a jamaisété la qualité maîtresse, se contente de témoigner sa reconnaissance à sa manière, c'est-à-dire en produisant unesérie de symphonies qui sont parmi ses plus belles.
Ce qui, d'ailleurs, ne va pas sans fatigue.
Deux ans plus tard,nouvelle traversée du Channel, même cérémonie, même faste.
Mais après 1795, le bon maître déclare close l'ère desgrandes aventures.
Il n'aspire plus qu'au repos laborieux et, tant pour se mettre en règle avec le Ciel qu'en accordavec lui-même, il laisse mûrir doucement les beaux fruits de sa vieillesse, la Création et les Saisons.
Le sièclenouveau ayant commencé sa course, il cessera de composer et n'apparaîtra plus qu'occasionnellement en public.
LaRévolution, la guerre, ces grands mouvements convulsionnaires le dépassent.
Il a été l'homme du temps de lapolitesse, le chantre du plaisir de vivre.
Le premier coup de canon tiré sur Vienne, le 10 mai 1809, le convaincra, parl'ébranlement qu'il provoque en lui, que son destin terrestre achève de s'accomplir.
Il voit encore, comme en unrêve, sa porte s'ouvrir, un officier de l'armée de l'invasion s'asseoir au piano, lui chanter l'air d'Uriel, de la Création.Dernière douceur de cette vie, dernier hommage rendu par les temps qui viennent aux temps qui s'effacent.
JosephHaydn peut ouvrir les yeux à une autre lumière.
Ainsi a-t-il passé sur cette terre, plus sereinement, plus modestement que d'autres.
Parmi les grandes figures del'art, je n'en sache guère qu'il soit plus réconfortant d'évoquer, aux jours de désarroi où nous sommes.
Et aucunedont le chant comble d'autant de paix et de confiance.
On l'a longtemps tenu pour une sorte de maître à danser, unfaquin adroit et malicieux.
Et puis l'étendue de son Oeuvre s'est peu à peu révélée et, avec elle, sa diversité.Certes, il a fallu lui retirer ce surnom de "Père de la Symphonie" qui lui allait si bien pour le rendre à Stamitz (à moinsque ce ne soit à F.-X.
Richter), mais ce qu'on a découvert de précieux en son Oeuvre assure sa gloire de façonautrement plus durable.
Car s'il n'a rien inventé, s'il s'est accommodé des cadres traditionnels, et parfois même pourles faire plus menus encore, il a animé de la flamme de son esprit tout ce qu'il a touché et donné la couleur de la vieaux formes d'art dont il a usé.
S'il fallait définir d'un mot la qualité de son génie, c'est en effet l'esprit qu'il faudraitnommer.
Et non pas en rapetissant ce vocable à la mesure du lieu, en parlant d'esprit viennois comme on parled'esprit parisien, mais bien en lui donnant sa valeur totale la pleine valeur spirituelle.
Qui pourrait douter de cetteévidence en écoutant se développer et progresser si souverainement tel andante des grandes symphonieslondoniennes ? Qui se refuserait à penser qu'il fut béni des plus beaux dons de l'âme et du cOeur, l'homme qui peignitla tendre fresque des Saisons et qui, dans la Création, fit, sur l'accord tout blanc d'ut majeur, éclater simajestueusement la lumière ? Il est vrai que, jusqu'au début du XXe siècle, on l'ignorait plutôt qu'on ne leméconnaissait.
Il a fallu que la musique devînt ce fond sonore sur lequel se déroule la trame de nos existences, cetintarissable fredonnement sans lequel, paraît-il, nous ne saurions plus respirer, pour que de grandes parties de cetteOeuvre immense et délicieuse resurgissent de l'oubli.
Elle est maintenant provende quotidienne, et le chapelier à quila mévente laisse des loisirs, le papetier que le jazz commence à toucher de nausée, se revigorent et s'émoustillentà ses rythmes pimpants.
Car elle est "peuple" en son fond, beaucoup plus que n'est "peuple" aucun maître classique,beaucoup plus même que Schubert excepté ne l'a été aucun des Romantiques et c'est bien cela surtout qui lasépare de Mozart.
Mais, sur ce fond de grosse santé joviale et naïve, tous les raffinements de l'art de cour jouent àse mêler délicieusement.
Politesse acquise ? non point.
Ce n'est pas à je ne sais quelle élégance d'habit brodé sur lachair saine qu'il convient de penser.
Haydn est le moins artificieux, le moins déguisé de tous les musiciens ; mêmequand son art devient anguleux et sec (cela arrive), même quand il dévide imperturbablement ses ritournelles enéchos de boîte à musique et que son rossignol semble l'oiseau mécanique de l'Empereur de Chine, c'est encore lui,sans feinte ni rouerie, qui nous parle : seulement, il est distrait, il cède à la routine, et le jeu se poursuit sans quesa vivacité l'aiguillonne.
Pourquoi la distinction ne s'allierait-elle pas tout naturellement à la candeur, l'élégance à labonhomie ? Pour être né de petites gens, on peut avoir reçu un naturel de cette sorte, du moins au cOeur de cetteAutriche de miracle et en ce suprême âge pré-révolutionnaire qui voit s'épanouir la fleur exquise de la politesse et dugoût.
Mais aussi, être né "peuple", c'est le gage d'une réalité robuste que l'avenir honorera, c'est la présence voilée.
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