John Constable

« Giotto, en passant par Michel-Ange, Poussin, Courbet, jusqu'à Chirico) que l'art de Constable se réduit au superficiel, à la satisfaction spontanée de certains états d'âme seulement et de cer­ tains besoins élémentaires.

Ses esquisses sont naturelles, probes, exquises, mais, au delà d'un certain point, décevantes.

Constable ct Courbet sont tous deux des artistes du pathos.

Mais chez Coùrbet, l'homme et la nature, l'individuel et l'universel restent plus réellement et durablement présents, en équilibre: dans les verts en demi-teintes d'une forêt, dans la transparence bleu-vert d'un ciel dans lequel s'élèvent des arbres, dans la matière des promontoires calcaires, dans le déroulement vif des vagues.

Même en noir et blanc, cette texture poétique de Courbet, qui en arrive à donner l'im­ pression du monumental, ne disparaît pas.

Tandis que sans la couleur, dans les illustrations d'un livre, comme Constable nous apparaît ordinaire, purement photographique, capable seulement de noter la lumière et les apparences immédiates! La base monumentale de « la réalité » est un des éléments qui donnent à la fois à une toile sa forme et sa composition.

Les formes de Constable ne sont qu'ébauches, comme toute émotion passagère est une ébauche.

Sa composition est une ébauche, comme tout état d'âme, si intense soit-il, n'est qu'une ébauche sans forme ni permanence.

Son inspiration (comme le montrent souvent ses toiles définitives, «terminées») n'était pas assez intime ni assez puissante pour le con­ duire sans qu'il faiblît, à travers ébauches et versions diverses, à un aboutissement qui conservât encore les qualités de l'inspiration.

Blake s'évertuait à chercher ce qu'il appelait « des moments immortels »; Constable fut le premier à chercher des moments passagers, mortels; ce qui était bien une révolution dans la conception de l'art.

Ce que vaut cette révolution sub specie tefernitatis, le savoir est une autre affaire.

Personne ne disputera à Constable la fraîcheur et la probité de sa vision, son indépendance, sa persévérance et sa pureté.

Personne ne discutera le stimulant que fut l'exemple de ses qualités pour la sombre stérilité à laquelle des conceptions plus nobl~s de l'art avaient été réduites en Europe.

Mais il est essentiel, à propos de Constable, de ne pas confondre la substance même de ses ébauches avec leur valeur révolutionnaire dans l'histoire de l'art.

S'il ne faut pas surestimer la substance, il ne faut pas non plus, en déplorant l'évolution de l'histoire, rejeter son m,écontentement sur Con­ stable au point de lui refuser tout mérite.

Néanmoins, dans son propre pays, Constable èst sacra­ saint, sans discussion; on ne critique pas Constable, et pour suivre son exemple, d'été en été, dix mille chevalets se dressent devant dix mille paysages charmants de la campagne anglaise.

Il contribue à maintenir dans l'ombre d'autres bons peintres de l'école anglaise qui ont pourtant plus de vigueur.

Son art si simple, si facilement accessible, d'une telle aisance d'esprit, d'une si honnHe petitesse, tend particulièrement à nous aveugler sur la portée plus considérable, la richesse plus complète, le rayonnement moins fugitif d'un Turner.

Telle est l'attitude du grand public; elle n'a rien à voir avec l'ambition d'artistes anglais plus jeunes qui désirent une peinture plus profonde et plus riche et qui, à une époque qui ne leur est en rien propice, tendent à une pein­ ture pleinement compréhensive de l'expérience humaine.

GEOFFREY GRIGSON. »