James Ensor
Publié le 22/02/2012
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ENSOR
1860-1949
UN carnaval secoué d'ivresse dut oçcuper le firmament à l'heure où en 186o naquit, à Os
tende, James Ensor: dans le Zodiaque en folie, la Balance jette ses plateaux au hasard; les Gé
meaux, squelettes ricaneurs, croisent le Scorpion vêtu en notaire de province et la Vierge deve
nue souvenir à crinoline; lançant ses flèches n'importe où, le Sagittaire sème l'inquiétude dans
la foule hilare, mélange de crevettes, de poissons séchés, d'algues, de poissardes, d'âmes en peine
et de gardiens
d'une paix très compromise.
Le tout caracole en désordre, happé par des ombres
glauques,
s'acheminant vers des lueurs irisées, vers des appels de tons francs.
A
Ostende cependant, la vie du peintre s'écoule, depuis bientôt un siècle, dans le calme,
sans faits
marquants, sans révolte spectaculaire, ni voyages, ni ma~;iage, ni crises, ni coups de
folie.
Lentement, Ensor troque son premier visage, éveillé, sauvage, irascible, entouré de boucles
noires, contre son masque
d'aujourd'hui, lèvres roses et bleutées, cheveux et barbe de neige et de
nacre, l'œil toujours en éveil à l'iris couleur de mer huileuse et transparente.
Jamais, durant
cette longue vie, il n'abandonne sa ville, ni la rampe de Flandre d'où il ne voit la digue et la mer
que de biais.
Tout se passe dans un ~telier exigu, au-dessus d'un magasin de coquillages et de
drôleries balnéaires,
- mais ce qui se passe là est, cette fois, sur le plan de la ·peinture, d'une
animation prodigieuse.
Ensor
naît vingt ans après Renoir, dix ans après Gauguin, mais il est précoce au point
que son Entrée du Christ à Bruxelles, un des sommets de son art et de l'art d'aujourd'hui, se trouve
réalisée
quand Gauguin nous donne son D'où venons-nous? ...
où allons-nous?, quand Renoir exé
cute ses Jeunes filles au piano, Lautrec ses décorations pour la baraque de la Goulue, Van Gogh
ses Berceuses et Seurat sa Parade, - tandis qu'il faudra attendre plus de vingt ans avant que ses
cadets de quelques années soient en pleine maturité, - que Vuillard ait exécuté ses grands pa:n
neaux décoratifs, Matisse sa Danse, Bonnard son Paradis, Rouault son Faubourg des longues peines.
La période créatrice d'Ensor, la seule qui historiquement vaille, celle où, dans son atelier, quelque
chose du sort de la peinture se âécide, va environ de 188o à 1900.
(La suite complète son inter
vention sans y ajouter rien d'essentiel).
Là, durant ces vingt ans, il contribue à forger une des
articulations
de l'art .de peindre, là, quelqu'un assimile, tue, transforme les restes du romantisme,
le réalisme et
jusqu'à l'impressionnisme dont le siècle finissant s'est nourri, et annonce la har
diesse, l'irrévérence vis-à-vis du réel qui colorera le siècle à venir.
Dans
la Dame sombre, le Salon bourgeois, l'Après-midi à Ostende, la Musique russe, toutes les toiles
de 1881,
une main de maître dissout le réalisme dans des lueurs d'incertitude et de.
curiosité.
Virant vers l'impressionnisme, la Rue de Flandre, la Mangeuse d'huîtres, les Toits à Ostende, la Raie,
le dépassent bientôt, en insistant non plus sur les « effets lumineux >>, sur la description du phé
nomène de coloration, mais sur l'insolite, sur la corrosiveté 'de la lumière.
Bientôt, poursuivant
ses démarches, l'esprit du peintre exprime les sensations de "plus en plus vives qui lui viennent
des variations coloristiques,
en créant toute une palette de formes, macabres, rieuses, ébahies,.
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