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Ingres: LE BAIN TURC

Publié le 14/09/2014

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Achevé en 1859, le Bain turc, une huile sur toile, alors de format rec­tangulaire, est acheté par le prince Napoléon.
Mais, dès 1860, l'acquéreur, à la demande de son épouse, la prin­cesse Clotilde, effarouchée par le sujet, obtient d'Ingres l'échange de cette oeuvre contre une autre. Le peintre donne alors au tableau sa forme actuelle — un cercle de 108 cm de diamètre —, supprimant à droite une partie de la scène initiale, l'agrandissant à gauche en ajoutant la femme assise au bord du bassin. Cette modification l'oblige à marou­fler — c'est-à-dire à coller — la toile sur un panneau de bois.
Cette transformation est achevée en 1863, et l'oeuvre est vendue en 1865 à Khalii-Bey, ancien ambassa­deur de l'Empire ottoman à Saint-Pétersbourg, résidant à Paris. Le Bain turc change ensuite plusieurs fois de propriétaire, mais demeure dans des collections privées. De sorte qu'il n'est révélé au public que lors de la «rétrospective Ingres, au Salon de 1905 où exposent également les fauves. Acquis par la Société des Amis du Louvre, le 28 avril 1911, il s'impose désormais comme le chef-d'oeuvre d'Ingres, capable d'inspirer aux peintres du xx• siècle, du cubisme au pop'art, de savantes et multiples variations.

« Orientalismes Si Ingres a pe int l'Orient sans s'y être rendu , il n'e n va pas de même de nombreux autres peintres du x1x- siècle.

Ce qui faisait dire à Courbet, pour qui Ornans valait largement Constanti­ nople : « Ils n 'ont donc pas de pays , ces gens-là? » Un pr éc urseur , D ec a mp s.

L' un des premiers pe intres à cé der à la vogue nou ­ velle du voyage exotique -que la cam ­ pagne d'Égypte , en 1798, avait inaugurée - est Alexandre -Gabr iel Decamp s ( 1803- 1860).

Parti pour représente r en 1827 la victo ire de Navarin en Grèce, il s'ins talle à Smyrne quelques mois ; il en rapporte des scè nes de genre très appréciées , traitées d ans un éclairage contrasté qui rapp e lle Rem brandt , et donne du Levant une vision mystérieuse et romantique .

L'Algé rie de D ela cro ix.

L 'établisse ­ ment des Français en Algérie à partir de 1830 offre aux artistes un lie u d'installa­ tion propice .

Delacroi x, ava nt Eugène Fromentin (1820-1876) et Théodore Chassériau (181 9-1856), s 'y rend en 1832 .

La cha nce qu' il a de pouvoir visi­ ter un bain de femm es lui inspire la pein­ ture des Femme s d'Alger ( 1834 , musée du Louv re).

Une peinture bien documentée Pour concevoir ce paradis de femmes, Ingres a dû se documente r.

Son guide le plus utile est constit ué par la correspondance d' une Anglaise , lady Mary Wortley Montagu.

En 1716, celle-ci a accompagné en Orient son mari , ambassadeur auprès de la Sublime Porte - l'Empire ottoman -, et ses Lettres , publiées par la suite, ont conn u un formidable succès.

Ingres en recop ie ce passage dès 181 9 - plus de quaran t e a ns avant le Bain turc : •Bains de femmes à Andrinop le ...

Il y avait bien là 200 baigneuses [ ...

] Belles femmes nues dans différentes postures, les unes jasant, les autres travaillant , celles-ci prenant du café ou du sorbet, quelques -unes négli ­ gemme nt couc hées sur leurs coussins ...

• Le Bain turc illustre ce récit et l'enrichit de toutes sortes d'accessoires inspirés d'un e docu­ mentation figurée : instruments de mus ique, nature morte du premier plan, coiffure cloutée de pierreries de la femme de droite.

Tous ces éléments sont empruntés à des sources diffi­ ciles à identifier, devant peut-être beaucoup au Magasin pittore sque , revue riche en reportages , bible des artistes sédenta ires, dont Ingres, dans un cahier , recomma nde la lectu re.

L'art «eth nogr aphiqu e ...

Après 1850 , cependant , le goût de l'observation exacte, favorisé par le développement de la photographie , fait tr io mpher un arti moins se nsuel et plus «ethnographique ...

On cherche à préserver par le dessin, la pein ture ou même la scul pture, la pur eté de s typ es ou des costumes en voie de dispar ition.

L e plu s célèb re re présentant d e cette tendan ce est Jean -Léon Gérôme (1824 -1904) , connu pour la perfect ion glacée d e ses portrait s ou de ses scè nes de genre .

L a recherche de l'authen ­ tique .

Enfin , avec la fin du siècle , la qu ête de l'Orient se f a it nostalgique : loin de la civili­ sation occide ntale, le s artistes recherchent une vie plus authenti qu e.

Émile Bernard (18 68-1941) séj ourn e une dizain e d'an nées en Palestine et en Égypte; Étienne D i n et (186 1- 1929), qu i parle couram ­ ment l 'arab e e t se conve rtit à l'islam, c hoi s it Bous saâda , en Algéri e, comm e seco nde patrie .

La synthèse d'une vie d'artiste Point de •bric à brac» pourtant dans le Bain turc: l'œuv r e d'lngres n'a que peu à voir avec le bazar colorié des toiles •orientalistes• qui connaî tront un formidable succès à la fin du siècle.

Le tableau reste fort dépouillé , la nudité étant son véritable sujet.

On retrouve , nuancé d'exotisme , un classicisme qu'Ingres pratiquait déjà dan s /'Âge d'or, peinture murale du châ­ teau de Dampierre de vingt ans antérieure, o ù se rassemblaie nt aussi des figures nues.

D'ailleu rs, b ien d 'autres œuvres d'Ingre s doi­ vent être citées à prop os de ce tableau.

L e peintre, pour l'exécuter , n'a pas travaillé d ' après le modèle vivant : il a repri s d es élé ­ ments épars de son œuvre - dessins ou tableaux - et les a assemblés.

La figure prin ­ cipale, de dos , rappelle la Bai gneu se dite •de Valpinçon •, peinte par Ingres en 1808.

Parce qu'e lle est assise par terre et qu'elle joue d 'un inst rument de musique, e lle évoque aussi l'esclave des Odalisques , qu'il créa en 1839 et en 1842.

La plupart des femmes du tableau rappellent ainsi le souvenir d'une œuvre anté­ rieure.

Ces femmes , ·découpées dans du pain d 'épices •, selon les frères Go ncourt - qui dét estent l'art d' Ingres - , expriment le point Femmes d'Alg er dans leur appa rtement, Eugè n e D elacroix, 1834 (Pari s, musé e du Louvre).

Exceptionnellement , Delacroix put entrer dans un har em , ce qui ne fut jamais le cas pour Ingres.

de vue de l'artiste sur le nu, une conception qui privil égie les cou rbes, les arabesques, résu­ mant un principe inlassab lement répé té p ar le peintr e : «li faut modeler rond.» La forme cir­ culaire du tableau ( •to ndo• ), adop tée après bien des hésit ations , renfor ce ce parti qui concourt à la sensualité de l 'atmosphère.

Une sensualité raffinée À cet égard, il ne faud rait pas occu lter l'éro­ tisme du tableau , voulu par Ingres, qui inter­ p rète librement le texte de lady Montagu, celle-ci n'ayant remarqué dans le bain visité •ni gestes indécents , ni postures lascives •.

Tout l'art du peintre est d e suggérer en évitan t la pesanteur.

La comp ression des volumes défini t un espace resse rré et abstrait , refusant la pers­ pective réaliste.

Les couleurs raffinées dispen ­ sent avec économie les lueurs jaunes o u rouges.

La maîtrise presque géomé triqu e de la composi­ tion, enfin , établissant un quadrill age subtil avec l'angle du bas sin et avec ceux des niches au mur apporte un rigoureux écho aux rotond ités des chairs.

L'ensemble est volup tueux et r affiné, simple comme la nature et savant comme son interprétation par un grand artiste.

-+Voir aussi : p.

274-275 (La cage aux fauves) .. »

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