Inde, cinq mille ans d'art (Petit Palais)
Publié le 20/12/2011
Extrait du document
Le sourire est divin
L'art indien a ceci de particulier par rapport à l'art occidental qu'il opère une véritable osmose entre l'humain (dans son sens le plus formel et le plus concret), nombre de schémas symboliques (très intellectualisés et des plus rigoureux) et une fonction religieuse fondamentale dont l'objet artistique serait en quelque sorte le support. L'oeuvre d'art peut être ainsi assimilée à une prière, c'est-àdire à un schéma, qui décodé, facilitera l'accession aux sources de la connaissance, vers la voie du salut. Aucun détail n'est gratuit, néanmoins le mystique y est profondément enfoui sous la forme, et se manifeste par ce qui, hormis le symbole, reste le plus abstrait dans l'expression physique : le sourire.
«
salut et de charité, les œuvres qui en sont issues
sont presque toujours empreintes de douceur et
d'intériorité.
Ainsi, même accompagné de ses attri
buts les plus menaçants, lesquels symbolisent son
pouvoir de destruction, Çiva trouve au cœur de sa
dualité profonde
(destruction- recréation) une très
forte concentration intérieure signifiée entre autre
par l'harmonie des formes.
De l'apparence char
meuse de son émanation féminine, Pârvatî (petit
bronze de Jambavânodi- 16-17" siècle ap.
J.-C.),
à la sérénité de Çiva, maître de la sagesse parmi les
sept mères (granit du 10• siècle ap.
J.-C.
de Kâveri
pâkam ou le petit bas-relief en grès du 10• siècle
ap.
J.-C.
d'AIIâhâbâd) -en passant par la dyna
mique
la plus profonde de son pouvoir, si bien exprimée par la danse (petit bronze du 12• siècle
ap.
J.-C.
de Taminâdu) -Çiva farouche n'existe
qu'en contrepoint de Çiva serein.
De l'union de Çiva avec Pârvatî naquit Ganeça,
dieu destructeur des obstacles et protecteur des arts
et des sciences.
Les sculptures de Ganeça, dont la
plus belle est sans doute celle de l'art ancien des
Cola (fin du
10• siècle ap.
J.-C.) sont également présentées dans cette exposition ; et Ganeça dans
sa représentation de Dieu à tête d'éléphant, montre
à quel point, malgré une iconographie parfois très
naturaliste et contraignante, la paix morale et par
suite l'indépendance suprême des Dieux par rap
port aux contingences humaines, est fortement inté
grée par l'esprit indien et restituée en formes artisti
ques.
D'autres divinités sont également présentées
dans cette exposition sous des formes remarqua
bles.
Il faut citer en particulier
le petit Dieu Kârtti
keya Skanda en grès (Inde du nord, 6• siècle ap.
J.
C.), plusieurs Visnu, dont le Visnu sur Garuda,
terre cuite du
s• siècle ap.
J.-C.
probablement origi
naire d'Uttar-Pradesh.
Il y a enfin ces trésors miraculeusement pré
servés dans les sites protohistoriques de la vallée de
l'Indus, petites statuettes en terre cuite comme cet
étonnant petit
bœuf placé sur une sorte de charrette
rendue mobile par quatre roues ; ou encore plus
tardives, ces pièces situées dans la période dite de
transition qui va du début de l'ère chrétienne au IV• siècle.
Inscrite dans un fragment de pierre une
femme accroupie (2• siècle av.
J.-C.
- Période Çunga) la tête sur les genoux, pleure, dort, pense
ou réfléchit mais nous fait rêver ...
comme nous fait
rêver l'ensemble (montant-main courante) d'une
barrière bouddhique
(I"' siècle av.
J.-C.) qui repré
sente bien ce style Çunga de Sârnâth moins bien
connu que celui de l'époque
Gupta qui marqua
l'apogée de ce site.
En présence des motifs décoratifs et surtout des
thèmes fantastiques repris dans ces deux derniers
ouvrages nous ne pouvons nous empêcher de pen
ser au Moyen Age roman en Occident...
Souvent,
en effet, les comparaisons que nous pourrions être
tentés d'établir sont fausses, d'autant que les prémi
ces de tels ouvrages sont à des années-lumières des
fondements de
J'art occidental.
Mais, qui, traver
sant cette exposition, vierge de toute information, pourrait
éviter de penser : humour, tendresse, éro
tisme ? Toutes ces attributions semblent avoir été
réfutées par les spécialistes et auraient été totale
ment absentes des volontés créatrices des artistes
indiens.
Bien
! Mais il n'y a pas lieu de bloquer
pour cela notre sensibilité propre, au contraire.
L'expérience esthétique est universelle ; elle est
assujettie à
ce que N.R.
Banerjee, directeur du
National Museum de New Delhi, définit dans son
introduction au catalogue de l'exposition :
« il n'y a
aucune barrière de langage en art "· Au-delà des
frontières culturelles, tous les visas donnent acèès à
ce qui fait de l'expérience esthétique un élément
d'unification très fort entre les hommes pour les
quels les données fondamentales de vie et de mort
sont communes
et relèvent, sous des conduites diffé rentes, instigatrices de l'originalité inimitable d'une
civilisation par rapport à une autre, des mêmes
préoccupations.
Il n'y a certes ni péripétie individuelle ni
sensiblerie d'aucune sorte dans cet art indien.
Mais
deux données, qui dans l'art européen sont bien
souvent distinguées, religion et
art, y véhiculent des
préoccupations identiques à tous les hommes.
En
tant que mouvement de
l'âme tendant à une com
munication spirituelle, l'art est partoùt dans le monde, même exempt de toute instance religieuse, « prière "· Il faut se féliciter que ~râce aux organisa
teurs des musées et par l'intermédiaire du ministère
des Affaires étrangères soit ainsi établi un enrichis
sant programme d'échanges culturels...
de ces
confrontations naissent les plus stimulantes sour
ces de créations nouvelles.
Ganeça, «celui qui écarte les obstacles».
»
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