Hugo Van der Goes : L'ADORATION DES BERGERS
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
une convention que les peintres contempo
rains de Hugo Van der Goes ont abandonnée
depuis longtemps et que le Brugeois respecte
par scrupule religieux , sans doute , et parce que
le retable tire de cet effet un air d'étrangeté
impressionnant.
Une peinture «cinématographique»
Si les donateurs se tiennent sur les côtés alors
que la scène religieuse se trouve au milieu,
l'uni té des trois parties de la peinture n'en est
pas moins très forte .
Cette unité est ass urée par
le paysage qui se développe à l ' arrière-plan et
qui laisse voir, comme une préface et une
conclusion au moment principal représenté
dans l'œuvre -l' adoration des bergers - deux
autres scènes religieuses : Marie et Joseph se
rendant au lieu du recensement, sur le volet de
gauche; les mages faisant route vers Bethléem,
sur celui de droite .
Ces deux petites scènes sont chargées d'émo
tion l'une et l' autre : derrière les donateurs ,
Marie, désormais incapable de chevaucher ,
s'appuie sur Joseph pour continuer à marcher ;
La gerb e de blé et les
deu x vase s, détail de !'Ad orati o n d es bergers.
Hugo Van der Goes
N é à Goes , e n Zélande , entre 1435 et 1445 , Hu go Van der Goes
exerce son activité de peintre à Gand à partir de 1467 , et devient rapidement célèbre .
Sa réussite professionnelle ne satisfait pas ce tempérament inquiet.
Vers 1478 , soucieux de trouver un secours spirituel, il entre comme frère lai (laïque ) auprès des moines du couven t de Rouge-Clo i tre.
Ce qui
ne l'empêche pas de continuer à
peindre ni même de voyager .
Vers 1481 , au cours d' un d e ses voyages en direction de Cologne , il
est pris d'un accès de folle : il ne recouv re pas la raison et meurt un
an plus tard.
en arrière des femmes , un cavalier , éclaireur des
mages, demande son chemin à un paysan qui ,
saisi par la magnificence de l'homme, tombe à
genoux pour répondre .
La même intensité de sentiments caractérise
la scène centrale.
Le sujet principal en est la
représenta tion des bergers.
Pour la première
fois dans l'histoire de la pein ture (exception
faite des expé riences de Masaccio dans l e
Miracle de l'ombre de saint Pierre , à la cha
pelle Brancacci) , un peintre livre d'un évé
nement une version que l'on qualifierait
volontiers de •cinéma tographique •, ana lysant
en différents plans les instants successifs de
l'action et restituant les mouvements
qu'accomplissent
les personnages.
Dans le
fond de l'image , à dro ite, un ange annonce
aux bergers la nouvelle de la naissance
divine : devant l'apparition, l
es pâtres,
inquiets , cherchent à s'abriter
puis s'age
nouillent.
À mi-distance , toujours sur la droite
du panneau central, un berger arrive en vue
de l'étable et s 'apprête à retirer son chapeau.
Enfin , trois bergers , représentant chacun trois
âges différents , se tiennent dans l'arc d ' enca
drement de la crèche : l'un, qui arrive tout
juste , tient encore son chapeau appliqué
contre son corps et tâche d'apercevoir l'enfant
par-dessus l'épaule des deux autres; un
deuxième entreprend de s'incliner en même
temps que ses mains s'écartent de surprise au
spectacle qu'il découvre ; enfin , un troisième ,
agenouillé, les mains jointes , a déjà entrepris
d'adorer Jésus .
Le symbole et la forme
Les gestes des bergers sont d'autant plus sai
sissants que ces hommes sont peints avec un
réalisme extrême, qui souligne l'origine
modeste de ces gens simples, avertis brusque
ment d u miracle qui se produi t près d'eux.
Le
même réalisme, neuf dans la peinture de ce
temps, inspire la représentation du nouveau
né, qui n'est pas un bébé de convention mais
l'image frappante de l'être le plus fragile, le
plus abandonné qui soit - un petit enfant
neuf ,
nu encore et malhabile à agiter ses
membres , exposé à même le sol, simplement
sur un peu de paille .
D'autres éléments de l'œuvre sont peints avec
la même scrupuleuse attention à reproduire la
réalité , même s 'ils sont, en plus, chargés d 'un
sens symbolique .
Ainsi, au premier plan du
cercle formé par les personnages entouran t le
corps de Jésus, au milieu de la peinture dans le
sens de la largeur , l'artiste a peint une admi
rable nature morte composée d'une gerbe de
blé et de deux vases de fleurs : un pot de céra
mique blanc et bleu décoré d'entre lacs de
feuilles de vigne et de grappes, conte nant des
Les berger s arrivant dan s la créche, détail de !'Ad o ra tio n d es berge rs.
lis rouges et trois iris ; et un verre garni de tiges
d'ancolies.
La signification des fleurs et des
motifs est claire : le lis rouge symbolise le sang
de la Passion, l'iris est le glaive qui transpercera
le cœur de Marie lorsque son fils sera mis en
croix.
La gerbe de blé fait allusion au lieu de
naissance du Sauveur , Bethléem, qui en hébreu
signifie •la maison du pain •.
Elle évoque aussi
les mots prononcés plus tard par Jésus : •Je suis
le pain qui est descendu du ciel • Gean , VI, 41) ,
et symbolise donc l'Incarnation rappelée lors
de la messe par la célébration eucharistique.
Mais la gerbe e t les vases son t aussi de purs
objets, des •choses • humbl es que l'artiste
reproduit
avec délectation.
Hugo Van der
Goes fait sen tir l a frag ilité d'un brun de paille,
en montrant la tige brisée de quelques épis.
Il
rend sensible le con tact rêche des gra ins de
blé et la douceur de leurs barbules.
Surtout, il
peint à merveille le jeu de la lumi ère sur le
vase de céramique lisse et vernissé, et, à tra
vers le verre transparent aux trois quarts rem
pli d'eau , il restitue la différence des ombres :
dense et sombre, les contours nettement des
sinés, pour le vase ; plus légère , au contraire ,
avec des limites indécises , pour le verre.
Le
Flamand donne ainsi une admirable leçon de
peinture, où le sens du sacré et l'observation
aiguë de la beauté des choses terrestres se
conjuguent.
• Voir au ssi : p.
88-8 9 (La chapelle Brancacc i) ..
»
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