Hogarth : LE MARIAGE A LA MODE
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
Le sens du détail romanesque
Il faut, pour comprendre le sens de l'œ uv r e,
l'exam iner j u sq ue dans ses mo indres dét a ils.
Elle se révèle alors constru ite par l'accumula
tion d'éléments significatifs ou allusifs qui,
t
ous , concourent à la mise en scène du drame
- un dra me q ue H ogarth veut passablement
dériso ire.
Ain si déco uvre-t-o n , en observan t le
mob ilier, que la comtess e, a p rès la mort de
son mari et le scandale , a quitté so n hôtel par
ticulie r somptueux pour une maison plus
modeste ,
celle de sa famille .
Tout y respire
l'avar ice : les meub l es et la déco ration son t
san s r echer ch e ni l uxe, le laquais est un
sim ple d'esp rit vêtu d'u ne livré e trop g rand e
pour lui, le repas se réduit à une tête de porc
qu'un chien très maig re cherche à dérobe r, et
à
un œuf sur une assiette de riz - nourritures
simp les et bon m arc hé.
li y a pire cepe ndan t :
le père, d ans cet te derrùère scè ne, enlève de la
main de la moribonde un e bague qu'il ne
pourra plus ôter quand la m ort aura durci les
artic ulations.
Une vieille servante tend à la
comtesse qui agorùse sa fille , pour un ultime
baiser.
L'en fant, a ux joues tro p rouges, à la
têt e trop gross e , porte, a u x chev illes et le lo ng
des jambes, des mon t ures de métal - m ul
tiples i
ndices de rachitisme.
Tout respire
l 'avarice da
ns cet te scène , et la bassesse
n '
épargne a uc un personnage , pas même l'apo
thicaire, qui, furi eux d 'avo ir été déra ngé p our
r
ien , bouscu le le vale t idiot.
En incit ant le spectateur à décrypte r chaque
détail , en ne peignant rien qui n'ait un sens à
son époq ue, H ogarth fait ainsi de l'œuvre une
fable satirique.
Nul ne peut se méprendre sur
le sens de son histoire : un ma ria~e arrangé
par la varùté et l'inté rêt t ourne n é cessai re m en t
mal.
Immoral dans ses principes , il va, d'étap e
en étape , jusq u'au désastre final, qui accompli t
ce que la scène irùtiale con tenait en germe.
Ainsi conçue, la peinture est à mi-chemin du
roman et du sermon.
Il n'est pas i nd i fféren t
que, dans l'une des toiles, sur le pla n ch er, ait
é té
jeté un exemp lair e de Sopha , le roman de
C rébillon fils publié à Par is en 1742.
Or ,
qu'e st-ce que Sopha ? Un roman libertin , une
chronique ironique des mœurs amoure u ses
parisiennes , en t re galante rie artificie u se,
comp lots mon
dai ns et str at égies soc iales ,
comme la peinture d'Hogarth.
Coïncidence
ou explication , le peintre a séjourné à Paris
au printem ps 174 3 , un an après le succès du
livre de Crébillon fils, un an avan t le
Mar iage à la mode .
Un peintre moraliste
Le peintre, par les procédés qui l ui sont
propres , suit
le modèle de !'é crivain.
Pour
faciliter la diffusion , il procède lui- même à la
g ravure et à l' impress ion ,des eaux-fortes réal i
sées d 'après l es toiles.
A vr ai dire, ces der
niè res ont presq u e moins de valeur que les
planches en n oir et blanc .
Non que Hogarth
ne soit un peint re de quali té : il possède
et appliq ue a vec dex tér i té le métie r d es
Holla nda is du XVII' siècle et i l a fait ses
preuves en m atière de portraits , un genre où
son natu ralisme fait merveille et où il peut
rivaliser
avec les maîtres qu' il admi re, Hals,
Jordaens et Rembrandt.
M a is la techrùque pic-
La M on de la
comt esse,
dernière toile de la sén"e l e Mari age à la m od e, Hogar th ,
1745 (Lond res, Na tiona l Gallery) .
On appelle Mariage à la mo d e une sé rie de six huiles sur toile , de
6 8 ,5 cm d e ha ut s ur 89 c m d e la rge ,
e xéc utée en 1745 .
La sé rie , qu i ne fut jamais disso
ci ée, fut la pro priété du collec tion neur Lane à pa r tir de 175 0, puis
d 'Ang ers tei n en 1797 , qui la céda à l' É ta t angl ais en 1 824.
E lle es t ex po
s ée à la N at ion al Galle r y, à Londr es.
turale , les effets de touche et d e l um ière ,
l'éq u
ilibre des couleurs, la p ers p ective , tout
est
mis a u servi ce du réci t.
D an s la Mon de la
com tesse, le rouge d e l'habi t du père e t le j aune
de la l ivrée n'o n t p as été chois is e n vue de
l '
harmorùe chromatique - à la d iffé rence de
l' ut ilisatio n des couleurs che z d es peintres
français com me Fr agonard ou Bou ch er -,
mais ils ont été e m ployés par sou ci d e fidélité
à la vér ité historique .
La chronique que d resse Hogarth d es mœ u rs
anglaises n'en est que plus authentique.
Jonathan Swi ft, l'auteur des Voyages de G ulliver;
autre esp rit acide et libr e, l' a compri s mie u x
q u'aucun d
es conte mp orains du peintre.
En
1736 , il lui dédi ait cet homma ge en vers, e n
for m e de prog ramme mor al e t d'inv itatio n à
travaille r ense mble, pei ntre-g raveu r et roman
cier associés : •S i toi et moi nous no us conna is
sio ns / Tous l es mo nst res aurai ent le ur
portr ait ;/ Tu exercer ais tes outil s de g raveu r
Sur ce détestab le grou p e de sots /; Tu dess ine
rais les bêtes comme je les déc ris/ Tu e n rep ro
d u
irais les traits tan dis q ue j e le s r aill e [ ..
.]..
»
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