Giovanni Bellini : LE RETABLE DE SAINT JOB - analyse de l'oeuvre)
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
Vierge à !'Enfant avec des
saints
et Frédéric de Montefelt re
(Retable de Brera),
Piero della Francesca, 1472 -1474 (Milan, pinacothèque de Brera).
forme d'ombrelle, accessoire déco ratif alors en
vogue dans les églises; trois jeunes garçons -
des anges, mais sans ailes - jouant chacun
d'un instrument de musique; et six saints de
différentes époques.
Ces 4erruers sont répartis
en deux groupes de trois.
A droite de Marie -
position d'honneur sur
un retable - , on
reconnaît saint François avec sa robe de bure,
Jean-Baptiste tenan t la croix en g~ise de hou
lette de berger et le vieux Job.
A gauche se
tiennent saint Dominique avec l'habit noir et
blanc, Sébastien au corps percé de flèches et
l'évêque francisca in Louis de Toulouse.
Les
deux groupes de saints sont distribués de
façon à construire un triangle, et la pyramide
plus basse et plus large des anges fait écho à
cette figure.
Enfin, !'ensemb le des personnages
constitue, avec la Vierge, un triangle à la base
plus large : leur dis t ribution, apparemment
naturelle, est en fait soigneusement pensée.
«Conversation sacrée»
Ce colloque, qui a lieu dans une chapelle
fei nte, forme ce qu'on appelle une
«Con versation sacrée», la première qui ait
jamais été peinte à Venise et l'une des pre
mières exécutées en Italie.
L'idée est originale
et forte; des saints, qui étaient jusqu'à présent
livrés individuellement à l'adoration du public,
chac u n sur un volet d'une peinture à panneaux
multiples (polyptyque), se trouvent rassemblés
en un espace unique, celui d'un panneau
constituant une œuvre à l'indissociable unité,
et celui, fictif, de la chapelle peinte.
L'invention a une portée spirituelle considé
rable.
Les saints, désormais, ne sont pas entiè
rement distingués des simples chrétiens : ils
sont eux-mêmes des ado rateurs, au lieu de
faire simplement l'obj et d'un culte.
L e tableau
est voué, par-delà Job, à la Vierge .
C'est elle qui
domine l'image, elle à qui sont dédiées les ins
criptions de l'abside : Ave Gratia Piena («Salu t,
pleine de grâce»), sur les médaillons portés par
les anges aux ailes pliées (séraphins ), Ave
Virginis Pos internera te pudoris («Salut, Fleur
intrépide de modestie virginale»), dans le haut
de l'abside.
Les saints sont en prière devant
elle, comme le spectateur doit l'être lui-même.
Au culte de la Vierge s'ajoute une autre adora
tion, celle de la Passion du Christ.
Le martyre
que subira Jésus est suggéré par son geste,
insolite.
Il montre sa poitrine, là où un soldat
romain enfoncera la lance, lorsqu'il sera sur la
croix.
Or, le geste de !'Enfant est répété, de
manière explicite, par François.
Le saint, qui a
reçu de Dieu le privilège de porter sur son
corps les blessures de Jésus, ouvre son habit
pour en montrer les marques (stigmates) .
Un nouvel espace
Qu elques années avant que Bellini ne peigne le
Retable de saint Job, un artiste omb rien, Piero
della Francesca, exécute à Urbino, non loin de
Venise, une Conversation sacrée très similaire.
Son Retable de Brera (du nom du musée où il est
conservé ) montre !'Enfant Jésus endormi et
saint Jean-Baptiste, au premier plan, le dési
gnant au public.
Saint François, là aussi, désigne
ses blessures.
Le sommeil de Jésus anticipe sa
mort future; les saints adorent la Mère et
!'Enfant et convient les spectateurs à les adorer
avec eux, comme dans la peinture bellinienne.
Les deux œuvres ont un autre point commun .
Le retable de Bellini, comme celui de Piero,
éta it placé, à l'origine, à l'intérieur d'un cadre
de marbre qui constituait sur le mur le pro
longement réel de l'architecture peinte sur le
retable.
L'ensemble donnait l'illusion d'une
ouverture
du mur sur un espace véritable,
chape lle de l'église contenant authentique
ment les personnages sacrés : le fidè le, surpris
par ce «trompe -l'œil», pouvait ainsi «en trer »
plus facilement dans la scène sacrée, comme
l'y invitaient les gestes des personnages .
Une lumière d'or qui baigne tout
Mais l'église que peint Giovanni Bellini est
très différente de celle que conçoit Piero della
Fra ncesca.
Cette dernière s'inspire du nou
veau style florentin, mis au point par l'archi
tecte Alberti .
Des pilastres cannelés, une
voûte en forme de coquille rappellent les
motifs de l'architecture classique; les couleurs
claires prédominen t, marbres aux teintes iri
sées inscrits dans la pierre blanche .
Dans le
Retable de saint Job , au contraire, !'architecture
reste fidèle à l'esprit byzantin : elle se réfère
aux voûtes mosaïquées de la basilique Saint
Marc et montre des couleurs chaudes, dorées
et complexes.
Ce choix est symbolique .
Saint -Marc est le
grand monument de la République véni
tienne.
S'en inspi rer est pour Bellini une
marque de patriotisme.
Mais c'est surtout un
cho ix esthétique.
L'église est pénétrée d'une
lumière orangée qui joue sur l'or
de la
mosaïque, donne une couleur de miel aux
marbres des parois et caresse les corps de
chaudes et douces nuances.
Les formes sem
blent naître de cette lumière, plutôt que d'un
dessin.
En haut, les petits carrés de mosaïque
scintillent, taches lumineuses faites d'une
pâte relativement épaisse, au contact les uns
des autres et sans contours précis.
En bas, le
volume des vêtements est rendu par de claires
lumières et des ombres profondes, tandis que
les corps sont traités par d'infimes gradations
de couleur.
L'unité visuelle, l'harmonie belli
nienne de la couleur et de la lumière mar
quent l'acte de naissance de la grande pein
ture vénitienne.
On ne peut leur comparer
que les harmonies monochromes de Léonard
de Vinci et ses tons infiniment nuancés.
Giovanni Bellini
Fils nat urel du peintre Iac opo Be llin i (mort en 1470 ou en 147 1 ), frère d 'un
autr e peintre , Gentile Bellini (1429 -1507), et be au-frère
d '
un troisième (A n dre a
M an tegna ), Giovann i Bellin i, né vers 1430 à Venise , est le véritable fondateur de la peinture vénitienne renaissant e.
Sa carrière se déroul e sur
un e très longue pé riode , du milieu du xv• siècle à sa mort , en 1516 .
Influencé d'abord par les grands novate urs du quat trocen to (les an nées 1400 ), les p ein tres Paolo Ucce llo, Filippo Lippi, Andrea del Castagno, Andrea Mantegna, et le
sc ulpt eur Dona te llo , il app re nd d' eux
le classicisme et la maîtr ise de
l 'es pace .
Mai s son style évolue très vite vers des caractéristiques particu lières , qu i seront celles de la pein ture vénitienne du xv1• siè cle : l 'atta chement à la couleur et à la lumière.
Les c ie u x, les arri èr e
plan s de s ta ble a u x de G iovann i Be llini sont éclairé s pa r d es lumières d'a uro re ou de cré pusc ule qui réc hauffent les nuages , exaltent
l es vert s profonds de la cam pag n e; les cha irs de ses personna ges se dorent d e tons chauds, se pét ris-.
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