Géricault : LE RADEAU DE LA MÉDUSE
Publié le 14/09/2014
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«
L'artis te vit à ce moment dans un atelier de la
via Gregor ian a, o ù le p ein tre Jean Ala ux le
r e p résentera en
compagnie de sa premiè re
épouse en 1818 .
Il a déjà signé plusieurs por
traits remarquables : ceux de la famille Rivière
(Paris, musée du Louvre ), achevé s avant son
départ pour Rome en 1806 , ou celui de son
ami le peintre Granet (Aix-en-Provence , musée
Granet ), plu s romantique avec la lumière ora
geuse q ui baigne le palais d u Quirinal.
Mais un tournant s'é la b ore avec le portrait de
Madame d e Senonnes , mené à son terme en
deux ans : Ingres esquisse un mode de repré
sentation de la femme de son temps qu 'il
reprendra dans des compositions ultérieu res.
C'est cette rencontre entre un artiste parvenu à
la matu rité de son talent et une femme au som
met de son éclat que nous propose le tab leau.
Treize bagues
Des dessins prépa ra toires conservé s au musée
de Montauban indiquen t que le peintre , tout
d 'abo rd , a songé donner à son modèle une
pose inspirée du célèbre portrai t de Madame
Récamier de Dav id , qui représente le modèle à
demi allongé sur un divan (Paris, musée du
Lou vre).
Ce tte insp ir ation n'est pas fortuite :
les portraits d 'Ingr es, en effet , se s ituent dans
la tradition de Davi d .
Le peintre s'y mon tre
soucieux de restituer la vérité d u personnage ,
d '
en d onner une image exacte .
Et la précision ,
ici, est en effet impeccable.
Le mod èle est pré
senté dans l'environnement cossu d'un salon
du début du XIX' s iècle , où des m urs ten dus d e
soie jaune et u n ca napé d e même coule ur
ménagent un confo rt él égant et douillet.
Ce jaune forme u n écrin éclatant pou r une
femme qui est elle-même mise en valeur par
le velours lie-de-vin de sa robe .
Un tel tableau
dément l'indifférence à la couleur qu'o n attri
bue souven t à Ingres et qui a fait dire à un cri
tique : •Il n'y a de gris que le gris et Monsieur
Ingres e st son prophète •.
D 'a u tant plus que
cett e exaltat io n des t ons n'est pas
acc identelle : dou ze ans plus tard , le pein tre
réutilise
le jau ne d 'or des coussins pour
peindre le portrait de Madam e Marc otte de
S
aint e-Marie (Paris , musée du Louvre ), modè l e
qu'il pare enco r e d ' une robe rouge sombre .
Ce jeu sur les contrastes de couleurs est sans
doute une manière de célébrer la beauté de
ma dame d e Senonnes.
Les ato urs de cette
femme séduisa nte son t reproduit s dans les
plus infimes détails.
Les trois rangs de den
telle autour du cou sont c iselés avec une pré
cision de miniaturiste, comme les bijoux ,
nombreux : on ne relève pas moins de treize
bagues aux mains du modèle! L e r ose et le
vert de leu rs pierres, repris en écho par les
motifs d u châle indie n , brillen t d ' un éclat vif .
Insaisissable modèle
Pourtant , en dépit de cette opul ence qui ren d
sa présence si sens ible , madame de Senonnes
a un regard loin tain et semble elle-même
insaisissable , autant qu'une vision .
Une extrême langueur se lit dan s s a pose :
Ingres n'inven te pas
ici de vertèbres -
comme il le fait à la même époque dans la
Grande Odal isque d u Lo uvre - , mais le bras
droit, très long, prolonge en l'accen tuant l'arc
des épaules.
La souplesse des doigts , annon
çant la main •en étoile de mer • d'un portrait
plus tardif, celui de Madam e Moit essie r (1856,
Londres , National Gallery ), renforce cette sen
sation de dou ceur idéa le.
Le peintre renonce à
l'exactitude ana tom iq ue, ou plutôt soumet la
rep résentatio n d u corps aux seules lois de l a
coh ér ence visuelle en insistant sur le jeu
express if d es cou rbes.
De cette distance obse rvée par le peintre à
l '
égard de la réalité , le reflet dans le miroir est
comme le symbole : dan s l ' espace nu de la
glace , dép ouillé du flamboiement de couleurs
et occupant près de la moitié du tableau , le
profil perdu de madame de Senonnes est u ne
vision idéale et lointain e, imp récise et pou r
tout
dire abst raite.
Avec ce por trai t , Ingres
explore les possibilités de •déréalisation • qu'il
reprendra dans la Comtes se d'Hau sso nvil/ e
(1845, New York, Frick Collection ), ce
•s phinx du XIX' siècle •, ou dans Madam e
M o
itessie r.
Occupant !'•aut re • part ie de l' œuvre, le
reflet renvoie à l ' image du pre mier plan et
f
erme l 'espace.
L a toile ne s'ou v re pas sur
d'autres perspectives , l'accent est mis sur la
surface comme l'indique le bras droit,
presque parallèle au plan du tableau.
Il n'est
pas étonnant que les œuvres d 'lngres aient
séduit les maît res de l'abstraction contem
poraine et I ' Américain Barnett Newman ,
l '
un d'entre eux, p o u rrai t s' écrie r ici, com m e
au Louv re deva n t la Grande Odalisque : •Ce
type- là était un pei ntre abstrait : l'idée d 'uti
liser le tableau comme une surface plane.
Il
regardait la toile plus souvent que le
modèle. •
_.
Voir aussi : p.
246-2 4 7 (Le Bain turc).
Jean-Auguste-Dominique Ingres
N é à Montauban en 1780 , Ingr es entr e dan s l'atelier de Dav id avant d 'obt enir le grand prix de Rome en 1801 .
Il poursuit en Italie un e carrière de
portrait ist e i nauguré e à Paris, pe int des tablea u x d 'histoir e e t d es nu s où s'affirme une interprétation per sonn elle d e la natur e, vo lonti ers ar chaï sant e.
L a c ommande offi ciell e du Vœu de
Louis XIII , hommag e à Raphaël , pré sentée triomphalem ent au Sa lon de
18 24 , apparaît bientôt comme le mani feste de la tradition face au x auda ces
r om ant iques des Ma ssac res de S cio de Del acroix .
Avec /'Apoth éose d'H omère e n 18 27, Ingre s confirme sa d éfe n se du class ic is m e con tre les outranc es du Sa rdanapale , du mêm e arti ste .
Sa car rière offi cielle alors brill a nt e ne lui évite
p as l 'éc he c du Mart y re de sa int Sympho rien au Salon d e 18 34, qui le déto urn e définiti vement d'y ex pose r.
Apr ès avoi r dir ig é l'A ca d é m ie de Fran ce à Rom e ( 1835 -1841 ), Ingre s exécute à Pari s des portraits très appréciés (la Comte sse d'H auss on ville, 1845) et entreprend d 'impor
tantes décorations monumentales (/'Âg e d 'Or, château de D a mpierre ,
In gres et son épouse à R o m e, dérail d'un tableau de jean Afaux , 18 18 (M o ntauban ,
mu sée Ingr es).
1842 -1849 ).
Le Bain turc (1859 -1863 )
re ste le c hef- d 'œu vre d es derni ère s
anné es..
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