Fonction de l'art et création symptomatique : Le Body Art d'ORLAN
Publié le 13/11/2013
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Dans le contexte actuel d'une société en plein remaniement technologique et médical, ORLAN, artiste de renommée internationale, touche à l'essence même de l'être humain : l'image, le corps, l'identité et ses limites. En m'appuyant sur son ?uvre précurseur des questions sur le post-humain je décrirai premièrement son axe de travail, et commenterai son choix du support du corps, du corps comme matière, médium, et langage. Puis en deuxième point le statut du corps qu'elle propose, ce rapport singulier qu'elle a avec lui. Quelle fonction accorde-t-elle à son art ? Ce qu'elle dénonce par ses modifications personnelles. Dans une troisième partie j'aborderai les enjeux imaginaires et psychiques de l'hybridation. Et pour conclure j'évoquerai le devenir humain qu'elle nous suggère par les notions de corps et d'identités d'aujourd'hui. ORLAN semble naitre avec son ?uvre intitulée ORLAN accouche d'elle-même (ou d'elle-m'aime), photographie de 1964 où elle accouche d'un mannequin. Elle nous montre un corps mutant ; un corps augmenté pour une réalité augmentée. Cette ?uvre est particulièrement signifiante au regard des opérations-chirurgicales-performances où l'artiste, d'une autre manière, accouche également d'elle-même. Ici, le corps de l'artiste apparaît déjà au centre de sa future réflexion, il devient sculpture et matériau de base. Elle est à la fois le clone, l'altérité, le dédoublement, l'accouchement de soi-même, elle focalise déjà énormément de choses qui ressurgiront dans son travail plus tard. Notamment les questions de la représentation, de l'incarnation et de l'appropriation du corps. « Je suis d'une génération où en tant que femme, j'ai dû me battre, avec bien d'autres, pour acquérir un peu de liberté, pour pouvoir avoir une sexualité, pour que mon corps m'appartienne un peu il fallait se battre pour tout, pour la mixité, pour la contraception, pour l'avortement? L'époque où faire qqch de son corps et par le corps dans l'art paraissait extrêmement politique. » Ce qui l'intéresse appartient à la résistance. L'Art doit bousculer nos a priori, bouleverser nos pensées, il est hors normes, il est hors la loi. Il n'est pas là pour nous bercer, il doit prendre des risques, il est déviant et il est lui-même un projet de société. Il ne s'agit pas de faire du beau, de la décoration, de l'esthétiquement correct. Les artistes qui attendent qu'on leur dise c'est beau n'ont pour elle pas d'intérêt. Ils sont comme l'enfant à qui la mère demande de faire dans le pot et lui dit : « C'est beau ». « Je ne conçois pas l'?uvre comme une production, une excrétion. L'?uvre doit être travaillée, construite, articulée, c'est-à-dire pensée. Il me faut l'ossature d'une pensée. » Son travail devient alors une sorte de projet de société lucide, conscient et libre. Et c'est l'acte par le corps qui se révèle le plus efficace. En effet, dès que le corps arrive, cela perturbe, cela inquiète et dérange. Tout peut arriver, la sexualité, la mort, l'ouverture du corps, tout ce qui est tabou peut être mis en place. Elle aborde ainsi la question de l'auto engendrement, de la sexualité, de l'identité féminine, de l'identité nomade, de la dialectique réelle et virtuelle, de la figuration et de la représentation. Son corps est la matière première de son ?uvre, qu'il soit objet de mesure (« l'ORLAN-corps » pour ses « mesurages »), objet du sacré (Sainte ORLAN), objet de la chirurgie ou encore de l'hybridation numérique. C'est le corps qui devient langage dans sa matérialité même d'où l'articulation de la chair et du verbe au sein de ses ?uvres (opération chirurgicales, reliquaires). La cohérence logique de son ?uvre est structurée comme un langage, il est difficile d'en saisir l'essentiel si on ne l'appréhende pas comme un système langagier, si on prend les éléments comme des images et non comme des signifiants. Elle s'inscrit dans un contexte politico-social doublé des grandes avancées technoscientifiques du siècle. Elle nous met devant les yeux une figure support de nouvelles images où tout est à voir, transformation, mutation du corps, de la chair, du visage. « Mon idée a toujours été de montrer ce qui est caché. On montre toujours l'avant et l'après. Moi ce qui est important, c'était le processus. » ORLAN fait de son corps la matière première de son ?uvre et devient une ?uvre vivante, brouillant les limites du privé/public, du réel/imaginaire, de l'intérieur/extérieur. Pour elle, « c'est le corps qui devient langage dans sa matérialité même ». Ce qui frappe l'?il, est l'ouverture de son corps en « direct live ». Entre révolte et résistance, son travail nous pousse à « sortir du cadre », autre expression fédératrice de son ?uvre, à as...
«
elle, « c’est le corps qui devient langage dans sa matérialité même ».
Ce qui frappe l’œil, est l’ouverture
de son corps en « direct live ».
Entre révolte et résistance, son travail nous pousse à « sortir du
cadre », autre expression fédératrice de son œuvre, à assumer notre corps comme « corps
plaisir », loin des carcans de la souffrance.
Son Art Charnel se réclame d’être féministe et
innovant résonnant avec l’émancipation de la femme et les découvertes médicales et
technologiques.
Elle définit son Art comme « un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des
moyens technologiques qui sont ceux de son temps.
Il oscille entre défiguration et refiguration» .
Il s’agit bien là
de sa figure qu’elle « gâte », altère, dénature, et elle en perd ainsi sa première forme soumise
aux aléas de la génétique afin de se refigurer, de se donner un nouveau visage.
Il y a
également dans ce refigurer, une notion du « encore », quelque chose qui ne s’arrête pas, qui
insiste.
Ses sculptures, performances, photographies, poèmes et manifestes, hybridations
numériques, films et expérimentations biotechnologiques dessinent un autoportrait anti-
formaliste, où se campe fièrement une féminité sur-mesure, à l’identité nomade, mutante,
mouvante.
Le corps devient un «ready-made modifié» car il n'est plus ce ready-made idéal
qu'il suffit de signer.
« Contrairement au «Body Art» dont il se distingue, l'Art Charnel ne désire pas la douleur.
»
L'Art Charnel ne s'intéresse pas au résultat plastique final, mais à l'opération-
chirurgicale-performance et au corps modifié, devenu lieu de débat public.
L'Art Charnel n'est
pas contre la chirurgie esthétique, mais contre les standards qu'elle véhicule et qui s'inscrivent
particulièrement dans les chairs féminines, mais aussi masculines.
En effet au sein de notre société, le corps subit différentes pressions politiques
religieuses et sociales qui s’impriment dans ses chairs.
L’illustration de cette idée se retrouve
dans une série de madones, des strip-teases avec les draps du trousseau, Strip-tease
occasionnel à l’aide des draps du trousseau se présente comme une suite de photos qui
décline les temps successifs du strip-tease.
L’avant dernière représente ORLAN nue le drap
retombé.
Mais la série ne s’arrête pas sur la nudité, qui est la dernière image que l’on
attendrait d’un strip-tease.
Et c’est là la force de cette œuvre : il y en a une en plus où elle a
disparu, le corps a disparu, il ne reste que le drap au sol.
Cette figuration du vide, de
l’absence, est extrêmement forte et même bouleversante.
C’est l’idée qu’on ne peut jamais se
déshabiller complètement, il reste toujours quelque chose, nous sommes habillés d’images qui
nous précèdent (« l’héritage du passé » de P.
Bourdieu), qui nous enveloppent, qui font écran.
Il n’y a donc jamais une nudité possible.
« La dernière photo est une sculpture de plis mais au sol, comme une chrysalide donc on ne sait pas quel
corps va naître.
»
Modifier son corps, c'est revendiquer le droit de refuser l’héritage, les déterminations
préalables : «Mon travail est en lutte contre l'inné, l'inexorable, le programmé, la nature, l'A.D.N.
».
L’identité
nouvelle passe par une désappropriation de l’ancienne.
L’objectif d’Orlan est de remettre en
question non seulement le statut du corps, mais aussi les conceptions traditionnelles de
l’identité personnelle, elle emploie tous les moyens techniques dont elle dispose pour faire de
son corps son œuvre la plus importante, une œuvre qu’elle construit en se soumettant en
public à une série d’opérations chirurgicales visant à « refigurer » son visage.
Ce qui intéresse
Orlan est moins d’arriver à un produit fini, le résultat, que de mettre en scène le processus qui
conduit à ce produit, la performance; moins de mettre en scène le sacrifice du corps – comme
certains artistes du body art – que de réinscrire sur sa peau l’image intérieure qu’elle a d’elle-
même.
Elle « présente » son corps comme l’image même de l’identité et de l’altérité, de
l’unicité et du dédoublement.
Elle revendique une apparence « non conforme » et « déroutante
», un corps capable non seulement de s’opposer aux modèles proposés, mais aussi de montrer
à tout le monde la « véritable identité » d’Orlan.
De ce point de vue, l’artiste est en quête d’un
corps qui lui permette d’effacer l’écart entre l’être et le paraître, d’une image qui l’éloigne de
son ancienne apparence.
Par son corps-œuvre elle cherche à montrer comment tout un chacun.
»
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