EXTRAITS D'UNE CRITIQUE SUR BRUEGHEL PUBLIÉE PEU APRÈS SA MORT

Brueghel travailla beaucoup à la manière de Jérôme Bosch, et comme lui, traita de nombreux sujets étranges et comiques, ce qui le fit surnommer Pierre Le Drôle. En fait, rares sont ses tableaux que l'on peut regarder sans rire, et même celui qui est grave et sérieux ne peut s'empêcher de pouffer ou de sourire. En voyage, Brueghel fit beaucoup de croquis d'après nature ; en fait, on raconte que lorsqu'il visita les Alpes, il avala toutes les montagnes et tous les rochers, et de retour chez lui, les rejeta sur ses toiles et ses panneaux ; il comprenait si bien la nature, à tous les points de vue Brueghel allait souvent à la campagne pour voir les paysans et assister à leurs foires et à leurs mariages ; il aimait s'habiller en paysan, et leur apporter des cadeaux, exactement comme s'il avait fait partie de leur classe ou de leur famille. Il se plaisait alors à observer ses hôtes dans leur façon de manger, de boire, de danser, de sauter, de s'aimer, et de s'amuser ; tout cela il le mit en peinture avec beaucoup d'adresse et de gaieté, en employant la .peinture à l'huile ou l'aquarelle avec une habileté remarquable. Il savait rendre ces hommes et ces femmes de la Campine avec leurs costumes, et il savait décrire à la perfection leurs danses paysannes et gauches aussi bien que leurs démarches ou leurs poses. Il était un grand maître de la composition, et avait un trait de plume extrêmement net et précis. Il fit de nombreux croquis d'après nature. Brueghel était un homme très calme et réservé, il parlait peu mais savait être gai en société, de temps à autre ; il faisait peur aux gens, et même à ses élèves, avec quelque spectre qu'il faisait apparaître ou avec des bruits de chaînes mystérieux qu'il produisait on ne sait comment «

(D'après Karel van Mander, Het Schilder-Boeck, Haarlem, 1604, fol. 233).