Eugène Delacroix (Histoire de la peinture)
Publié le 16/11/2018
Extrait du document
UN ORIENTALISTE TRAGIQUE
Peintre de la stupeur tragique, peintre de la lumière, peintre de l'Orient, Eugène Delacroix s'impose comme un des artisans de la révolution romantique dans l'art avant d'être reconnu comme un maître de son vivant et d'inspirer nombre d'artistes du xx' siècle.
LA NAISSANCE D'UN PEINTRE
Naissance et filiation
• Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix naît le 7 floréal an VI (26 avril 1798) à Charenton-Saint-Maurice.
• Un doute pèse sur l'identité du géniteur. Son père, Charles Delacroix, ministre des Relations extérieures auprès du Directoire, est souvent en déplacement. Il est de plus porteur d'un sarcocèle, une grosse tumeur située près de la prostate, qui le rendrait stérile. Victoire Delacroix, son épouse, est très liée avec Charles Maurice de Talleyrand.
Une certaine ressemblance physique entre ce dernier et Eugène renforce l’hypothèse selon laquelle Charles ne serait pas le père d'Eugène. Ce dernier n'évoquera jamais ce secret dans son Journal et il vouera une immense admiration à son père.
• L'art tient une place importante chez les Delacroix. La double filiation artistique de Victoire y joue peut-être un rôle. Celle-ci est la fille de Jean-François Œben, ébéniste de Louis XV, et belle-fille de Jean-Henri Riesener, maître ébéniste quant à lui de Marie-Antoinette.
• Après la mort de son père en 1805, le jeune Eugène suit sa mère à Paris où il entre au lycée Louis-le-Grand. Il y découvre la littérature antique avec Horace et Virgile, et classique avec Voltaire, Corneille et Racine. Il griffonne déjà beaucoup sur les bancs du lycée et ses cahiers couverts de croquis laissent deviner la vocation future de cet élève ténébreux et solitaire.
• L'apprentissage de l'art commence par la découverte de grands peintres, comme l’Espagnol Francisco Goya dont on lui a ramené d'Espagne des reproductions des Caprices.
Les premiers pas d'autiste
• L'adolescent parfait son éducation au Louvre où il copie les plus grands : Rubens, Titien, Michel-Ange, Le Tintoret. Sa vie durant il étudiera, analysera ces trésors, fruits des conquêtes napoléoniennes.
• Son oncle, Henri Riesener, portraitiste et élève de David, le peintre officiel de l'Empire, l'introduit dans le salon du baron Gérard où Delacroix rencontre Pierre Narcisse Guérin. Ce dernier dirige un atelier très réputé répondant aux principes néoclassiques.
• En 1814, l'Empire s'effondre, les Bourbons font leur retour et la mère de Delacroix décède. En cette période trouble où le doute se substitue aux certitudes, où la jeune génération se renferme sur elle-même faute de perspectives, Delacroix décide d'être peintre : il entre à l'atelier Guérin.
• On y enseigne le style de David. La beauté des statues grecques y est encensée et le dessin prime sur la couleur. L'atelier, lieu d'échanges, fait toutefois place aux idées nouvelles.
• Delacroix s'adonne avec application aux dessins de nus.
Il est subjugué par les fragments anatomiques peints par Théodore Géricault qu'il considère comme novateurs. Il écrit à ce sujet dans ses notes : « L'originalité du peintre n'a pas besoin d'un sujet. » Au salon de 1819, Géricault exposera le Radeau de la méduse, tableau pour lequel Delacroix a posé.
• La passion de la peinture remplace le simple goût que Delacroix avait pour cet art En 1816, il quitte l'atelier Guérin pour perfectionner ses techniques à l'école des Beaux-Arts. L’apprentissage de la lithographie, dont le développement suit celui de la presse, lui permet de subsister. Le premier chef-d'œuvre : La Basque or Dante
• Après une première commande pour l’église d'Orcémont à l'ouest de Paris, réalisée en 1819, Delacroix peint son premier chef-d'œuvre, la Barque de Dante (1822). Influencé par ses lectures du poète italien, il tire son sujet du chant VIII de l'Enfer, tiré de la Divine Comédie.
• Dans ce tableau de grande dimension, l'émotion communiquée l'emporte sur l'événement évoqué. La toile illustre l'opinion de son auteur que l'art ne réside pas tant dans l'imitation froide de la nature que dans l'exaltation des sentiments. Delacroix représente ici une âme tourmentée devant la mort, alors que les eaux des supplices infernaux roulent les corps des damnés.
Au sein de cette mêlée charnelle engluée dans un élément glauque et hostile, le visage des suppliciés illustre le combat de leur âme sujette à des passions extrêmes : l'amertume, la haine, le blasphème...
• Inspirés de Rubens et de Michel-Ange, ces nus non académiques présentent une facture moderne. La touche vibrante devient un moyen d'émotion ; la couleur l'emporte déjà sur le dessin. Dans une composition dynamique où la peinture se donne comme un tout Delacroix quitte les principes néoclassiques. « Je n'aime pas la peinture raisonnable » dira-t-il.
• Au salon de 1822, la Barque de Dante suscite la polémique parmi les critiques, mais remporte un franc succès public. Delacroix fait ainsi son entrée dans la peinture « officielle ». La toile est achetée par l'État
• La Mort de Sardanapale, autre massacre, peint en 1827, déploie une orgie de couleurs.
Le roi impassible au milieu des corps nacrés de ses concubines exécutées sur son ordre retient toute la lumière. Il livre son dernier combat : se retirer du monde et s'abandonner au bûcher qu'il a fait allumer. Héros romantique, le tyran semble, tel un dandy, mourir du mal du siècle - celui de l'artiste, pas le sien -, le spleen. L'érotisme survolté associé au sadisme violent de la scène fait scandale. Delacroix abolit les limites de l'indépendance et de l'originalité face à son rival Ingres, chef de file de l'école néoclassique. Ce dernier peint à la même époque l'Apothéose d'Homère dont les personnages sont figés dans une composition rigide devant une façade de temple grec.
«
•
Théophile Gautier, Gérard de Nerval, de
la réverbération du soleil sur
À propos de J'Odalisque de 1857,
Un autre LES
PEINTURES IEUGIEUSES
Victor Hugo iront puiser dans ces
les maisons peintes en blanc.
Au
Théophile Gautier notera : «Tout est
portrait de
• La peinture religieuse surgit dans
contrées exotiques leur source
sujet de cette lumière, complice de
fondu, moelleux, assoupi.
les couleurs
CH#'Je S.IHI l'œuvre
de
d'inspiration.
Dans les Orientales,
sa création, il parle de la « précieuse
font la sieste comme l'odalisque.
»
et Frédéric
Delacroix
Hugo chante les saveurs incomparables et rare influence du soleil qui donne
Chopin réunis
à la fin de
d'une terre riche de toutes les
à toute chose une vie pénétrante ».
SOUIVDE ET Allmls sur
la même sa
carrière
expériences possibles.
• la richesse de ces carnets tient en
toile, réalisé
avecht
• En 1831, à la suite de l'Intervention
grande partie à la technique employée, DES
SAlONS liU IIIIOIN ET À LA CAMPAGNE
en 1838,
Llltte.
militaire française en Algérie, Paris l'aquarelle, apprise en Angleterre • Après son retour du Maroc,
sera par
JocoblllfK
dépêche une mission auprès du sultan
en 1825.
Permettant une restitution
Delacroix renoue avec la vie parisienne :
la suite
/'tmge{1861).
du Maroc, Moulay Abd al-Rahman, immédiate de l'impression, l'aquarelle
salons littéraires, réceptions, bals ...
découpé en deux, sans doute aprés
Il s'intéresse
afin de le rassurer.
Il en confie la charge s'oppose par là même aux principes l'artiste, qui affiche toutefois un
la séparation entre le musicien
également
au comte de Mornay.
Delacroix fait
académiques de la composition et de tempérament solitaire, exprime de
et la romancière.
à la repré-
partie de la délégation.
la mesure qui freinent l'élan créateur.
plus en plus son besoin de se retirer •
« l'exactitude n'est pas de l'art »,
sentation de la Passion du Christ
du monde, cherchant à s'évader
répète l'artiste.
Dans un portrait,
• Disciple de Voltaire, enfant de la
1.11 RMLAnON DES FEMMES ORIENTIII.fS
de ces mondanités obligées.
ce qui lui importe est de saisir
Révolution, Delacroix n'aborde pas son
• le thème de la femme orientale
• Certes le peintre à succès a besoin
le caractère du modèle, au-delà de
sujet en peintre religieux.
Dans le Christ
s'impose dans l'œuvre de Delacroix de Paris pour réussir totalement
sa ressemblance physique.
le portrait
sur le loc de Génésareth, Jésus apparaît
à l'occasion de ce voyage.
Au Maroc sa carrière, mais c'est au jardin des
esquissé du violoniste Niccolo Paganini
comme un homme seul face à son destin,
le peintre n'a guère observé de femmes Plantes, loin des hommes, que trouve montre, avec une extrême économie
mais ce sont les eaux tumultueuses et
musulmanes.
C'est dans la suite
souvent refuge celui qui évoque de moyens, l'extraordinaire vitalité menaçantes qui retiennent l'attention.
de son voyage, à Alger, que l'artiste
dans son journal « le vide qu'on
du modèle dont on disait que les S'intéressant aux combats des hommes,
visite le harem du Chaouch et qu'il
ne peut combler ».
mains étaient guidées par le Diable.
l'artiste tient les récits de la Bible
a la révélation de la sensualité des
• la caricature, également pratiquée
pour une épopée humaine.
Orientales.
Tout à la fois inaccessible,
par Delacroix, annonce les œuvres
• La Lutte de Jacob avec J'ange, qu'il
• les comrfs dr voyogr que
vulnérable, mystérieuse et sacrée,
expressionnistes.
Il en est ainsi de celle,
réalise pour une chapelle de l'église
Delacroix remplit au Maroc restituent la
femme orientale incarne le désir
réalisée en 1833, de Jenny le Guillou, Saint-Sulpice, illustre son dernier
jour après jour sa vision éblouie et dans
l'imaginaire de l'époque.
sa gouvernante qui sera sa confidente
combat Âgé, malade, Delacroix traduit
pittoresque de l'Orient.
Libérés des jusqu'à
sa mort- « la seule personne ses propres craintes face à la mort.
contraintes stylistiques de la littérature au monde qui fait vibrer son cœur », Une fois de plus, la couleur triomphe
de voyage traditionnelle, ses notes dira-t-il.
Il peint son portrait en 1840.
dans cette toile dont les qualités
et ses croquis se succèdent sans ordre.
formelles
l'emportent sur les valeurs
• La spontanéité et la rapidité
tt.ti·VHJ3Jiit·1:w spirituelles.
Le journal /a Presse compare
caractérisent son Irai� comme si
• 11 y réalise de nombreuses esquisses le
maître à « un grand poète barbare ».
l'artiste était pressé d'enregistrer de
fauves qui, ajoutées aux croquis I.E
TEMPS DES COMMANDES PUIUQUES • Eugène Delacroix meurt de
une réalité qui le surprend à chaque du Maroc, lui serviront de modèle •
Les grandes commandes publiques
tuberculose le 13 aoOt 1863 à Paris.
pas.
Ses carnets deviennent sa pour
Jo Chll ssr ou lioll (1850) et apportent
à Delacroix la reconnaissance
deuxième mémoire dans laquelle d'autres toiles sur le même thème.
qu'il souhaitait plus que tout
il piochera jusqu'à la fin de sa vie.
·
Exposée au Salon de 1834, la toile Le peintre aime comparer les hommes
• En 1833, Adolphe Thiers, alors ministre
DELACROIX ET LA COULEUI
Les scènes croquées au Maroc Frtalfts d'Aigrr dons lrur aux fauves, estimant qu'ils ont en
de l'Intérieur, lui passe commande
serviront d'esquisses pour ces OptHirfrlft
lff est la première grande
commun la force, la cruauté et la violence.
de
la décoration du salon du Roi et
• Une des plus grandes originalités de
grandes compositions à venir comme composition
inspirée à Delacroix par
• Delacroix s'évade aussi de Paris de
la bibliothèque du Palais-Bourbon.
Delacroix est sans aucun doute la couleur.
Nocr juivr ou Moroc présentée son voyage en Afrique du Nord.
Dans pour la campagne.
11 se rend ainsi à
Delacroix montre une fois de plus •
Qualifié par Baudelaire de • plus
en 1841 ou Sultan ou Maroc,
le climat de torpeur qui baigne les Nohan�
chez son amie George Sand, sa maîtrise de la peinture décorative
grand coloriste de notre temps •.
exposé au Salon de 1845.
corps alanguis de ce harem phantasmé, ainsi qu'à Champ rosay où il loue
et fait preuve d'ingéniosité pour
le peintre développe un système
couleurs et formes remplissent la une maison.
Prenant conscience
adapter ses compositions à l'espace
absolu guidé par des combinaisons
totalité de l'espace.
Delacroix y peint
de la beauté de la nature, il y peint architectural contraignant du salon
audacieuses et des contrastes
l'impalpable.
Le contraste des ombres les
fleurs et les arbres, éléments
du Roi.
Travaillant seul, il organise
de couleurs complémentaires.
et des lumières creuse l'espace, mettant naturels qu'il introduira dans ses son décor autour de quatre thèmes :
• Dans le morcellement de la touche,
à distance les personnages en renforçant futures compositions.
L'immense l'agriculture, la justice, l'Industrie
il met en pratique les nouvelles théories
le caractère intimiste de la toile.
chêne dans la Lutte de Jacob avec
et la guerre.
Le style et l'exécution
physiques.
De lo loi du contraste
Baudelaire en fait une interprétation J'ange provient ainsi de croquis
rappellent la peinture italienne.
simultané des couleurs, que le chimiste
mélancolique : ce « petit poème réalisés dans la forêt de Sénart.
Il enchaîne avec le chantier de la
Michel Eugène Chevreul écrit en 1839,
d'intérieur» exhale pour lui un parfum devient
son ouvrage de référence.
de tristesse.
Une nouvelle version aux
Mêlant les observations empiriques
• t:Orient est aussi pour le peintre
tons plus chauds sera présentée en 1848.
aux enseignements de la théorie,
la découverte d'une Antiquité vivante •
la représentation de la femme
Delacroix n'a de cesse de chercher à
et non conventionnelle.
Dans une chez
Delacroix sera à jamais marquée
rehausser la vivacité des teintes : cette
lettre à son ami Armand, il écrit :
par cette image de l'Orientale : le
obsession tient tant au tempérament
« Le pittoresque abonde ici, à chaque
peintre n'aura de cesse de peindre
de Delacroix qu'à la vogue orientaliste.
pas il y a un tableau tout fait »
des beautés sensuelles.
La série des
• Delacroix est aveuglé par l'éclat «
Odalisques » l'Illustrera parfaitement
SAND, BALZAC.
BAUDELAIRE.
__
Celui-ci ne sera achevé qu'en 1848.
• Parmi les relations mondaines de
exploitée par Delacroix dés
Caractérisée par une harmonie
Delacroix figurent les plus grandes les
années 1920, et une copie
de couleurs, la décoration des cinq
personnalités littéraires de son temps.
des Femmes d'Alger dons
coupoles oscille entre l'évocation
• En 1834 débute une amitié complice
leur appartement fréquente
d'un âge d'or paradisiaque et
et séductrice avec la romancière
régulièrement l'atelier de la rue
• Delacroix, qui a déj� prouvé
les horreurs de la guerre.
• Femmes d'Alger dons leur opporternent
George Sand, qui durera toute sa vie.
Notre-Oame-dHorette où il a
son talent de portraitiste avec
• Bien que déjà chargé de la décoration
frappe les critiques par le traitement
• Honoré de Balzac apprécie beaucoup
de longues conversations avec le
son Orp/lel/ne ou dlllrtUrr (1823),
d'une des chapelles de l'église Saint-
des couleurs, et le succés de ,.,.
le travail du peintre dont il partage
peintre.
Son recueil l'Art romantique
immortalise certaines personnes,
SuiJ>ice, Delacroix accepte d'achever
• C.rlwfii.,W ,.,.
cnlsés
les théories picturales et qu'Il cite
(1869) s'appuie largement sur les
proches ou célèbres.
celle de la galerie d'Apollon, au Louvre,
{1840) tient aussi aux effets de contraste
� plusieurs reprises dans ses romans.
théories et la pratique de Delacroix.
• En 1834, François Buloz, directeur
commencée par Le Brun en 1660.
produits par leur juxtaposition.
Ainsi, dans la Fille aux � d'or, Préoccupé
par sa reconnaissance
de la Revue des Deux Mondes, lui
• Il décore ensuite le salon de la Paix
• En poussa nt trés loin l'expéri mentation
l'écrivain évoque un décor inspiré
sociale et sa candidature à 11nstitut,
passe la commande d'un portrait
de l'Hôtel-de-Ville de Paris.
sur les couleurs, en les libérant, Delacroix
directement de la Femme ou perroquet
le peintre ne vient pas en aide au
de George Sand.
Delacroix peint la
• Au cours des vingt dernières années
ouvre la voie à nombre d'artisles.
En 1899
• Chartes Baudelaire encense
poète lorsque celuKi est condamné,
détresse morale de la jeune femme,
de sa vie, Delacroix s'Impose ainsi
Paul Signac rédige D'Eugène Delacroix
également Delacroix.
À eux deux,
en 1847, pour les Fleurs du mol
les cheveux courts et les yeux cernés,
comme l'acteur principal du renouveau
aux néo-imp ressionnistes, otMage dans
ils symbolisent l'union parfaite
En 1863, Baudelaire rendra pourtant
triste à la suite de sa récente rupture
de la peinture monumentale et
lequel il attribue clairement l'origine
entre la littérature et la peinture.
le plus bel hommage à son ami
avec Alfred de Musset La revue refuse
décorative en France.
Le jeune
du divisionnisme et du pointillisme
Baudelaire, qui possède une
qui vient de mourir dans lo V�e
ce portrait peu flatteur et fait appel
artiste romantique à la fougue
au grand maitre.
Vincent Van Gogh
lithographie d'Hom/et.
technique
et l'œuvre d'Eugène Delacroix.
à un autre artiste.
révolutionnaire est bien loin.
revendique également son influence..
»
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