COMPTE-RENDU DE L’EXPOSITION « ARCHI ET BD » AU PALAIS DE CHAILLOT
Publié le 29/02/2020
Extrait du document
I. Étude des utopies
A. Étude des Cités obscures, du dessinateur belge François Schuiten né le 26 avril 1956 et du scénariste français Benoît Peeters, collection François Schuiten (cf. annexe 1). Dès ses débuts en albums, François Schuiten réussit à « imposer un univers fantasmatique d'une rare cohérence », une varia-tion autour de motifs invariables, comme la construction, le vol, etc., témoignant de « l'impérieuse nécessité d'une oeuvre qui ne doit rien à l'opportu-nisme et qui se développe selon une logique interne plus ou moins consciemment maîtrisée ». L’oeuvre est une illustration pour l’affiche du festival de cinéma « Travelling » de 1999 à Rennes. A l’aube du troisième millénaire, François Schuiten, maître de l’utopie, présente un paysage de « futur anté-rieur » où sont représentés des gratte-ciel intégrés dans des bustes humains vivants : en effet, des fenêtres se trouvent sur ces êtres animés, suggérant ainsi à l’observateur que l’Homme est la ville. L’artiste a également dessiné des mouettes et quelques vaisseaux volants qui semblent remplacer les voitures actuelles. La palette de couleurs employée par le dessinateur reste plutôt étroite, allant du rouge pâle à l’ocre. Dans ce paysage futuriste, François Schuiten laisse toutefois entendre que son « imaginaire est rattaché au réel », avec une référence particulière à Bruxelles, ville natale de Fran-çois Schuiten, capitale de la Belgique et centre de l’Union Européenne depuis 1992. Le caractère futuriste de l’oeuvre montre son caractère utopique ; toutefois l’utopie peut sembler paradoxale avec le titre de l’oeuvre, l’obscurité renvoyant à l’enfer.
B. Étude de House Tower, de l’atelier d’architecture Bow Wow, plan architectural de 2006. L’Atelier Bow Wow est un groupe d’architectes japonais qui travaille collectivement depuis 1992. L’Atelier Bow Wow est composé de Yoshiharu Tsukamoto né en 1965 à Kanagawa et de Momoyo Kaijima né en 1969 à Tokyo. Ces deux artistes déploient collectivement des stratégies artistiques en construisant des structures éphémères, artisanales et très esthétiques qui ont pour but d’encourager des moments de rencontre. Attaché à l’amélioration de la société par l’art, l’atelier Bow Wow explore la question de l’espace, à cheval entre des problématiques liées à l’architecture et les médiums de l’art contemporain. Leurs installations monumentales, souvent inspirées de leurs contextes architecturaux spécifiques, cherchent à stimuler et à renforcer la dimension sociale en mettant à contribution le public. Les architectes ayant réalisé l’oeuvre montrent donc un autre visage de Tokyo, pôle majeur de la Triade, souvent qualifiée comme « l’empire des signes » et la spécialiste de l’art manga. Ces architectes représentent cette mégapole comme un « lien du temps, suspendue au rythme d’une prome-nade souvent improvisée ». A l’ère de l’informatique, le plan architectural, où sont précisées toutes les mesures pour la réalisation du projet, a été imprimé à partir d’un fichier numérique, qui ne contient donc que des traits noirs. Ce plan est une conceptualisation d’une maison de six étages ; le manque d’espace dans la mégalopole japonaise oblige. C’est donc une représentation d’une maison futuriste à la pointe de la modernité, et c’est pour-quoi cette oeuvre est une utopie parfaite.
«
2
Thomas HOSSEN – 2e6
nées 1950.
Juanjo Guarnido a utilisé une palette de couleurs allant du blon d à la terre de sienne et au noir.
Il a dessiné au pre mier plan un chat à l’allure
de détective : il fume, porte un costume et une veste.
Derrière lui se trouve un paysage typique de l’Amérique de l’après -guerre : de nombreuses 2CV ,
deux panneaux publicita ires et quelques gratte -ciel à l’arrière plan.
New York est une « icône » de la bande dessiné depuis sa cré ation, à la fin du XIX e
siècle, dans les journaux du dimanche.
La plupart des auteurs de bandes dessinées ont, jusque dans les années 1970, choisi l’ Amérique comme lieu
« d’activités » pour leurs super -héros et leurs « héros ordinaires ».
Si l’on excepte l’anthropomorphisme des personnages, l’image rendue de New York
est parfaitement réaliste et reflète bien les tran sformations urbaines de l’époque.
B.
Étude de L’Atomium et M.
Hulot , du dessinateur italien Vittorio Giardino né le 24 décembre 1946 , édité en 2008 par Champaka dans la collection
Jean -Marc Théve net .
Après avoir exercé le métier d’ingénieur électronique pendant 10 ans, Vittorio Giardino se l ance dans la bande dess inée en 1978,
où il traite principalement de l’histoire : en 1982, il traite des aventures d’un espion juif français peu avant la Seconde Guerre Mo ndiale dans Orient
Express .
Et dès 1993, dans Jonas Fink , il raconte l’histoire d’un j eune tchéc oslovaque des années 1950 oppressé par le régime communiste. Vittorio
Giardino s’intéresse donc particulièrement aux événements qui se sont déroulés de 1930 à 1960 , une époque marquée par la Seconde Guerre Mondiale
et la Guerre Froide .
Ainsi, dan s L’Atomium et M.
Hulot , il illustre la rencontre entre deux symboles des années 1950 : pour dessiner, Vittorio Giardino
définit des contours noirs très clairs et des aplats de couleurs vives : c’est la mode de la « Ligne claire », qui attendra son apogée dans les a nnées 1980,
une époque particulièrement dynamique pour la bande dessinée européenne.
Sur l’illustration, on peut voir des maisons traditi onnelles bruxelloises et
quelques arbres avec, au premier plan, un homme sur son vélo portant un chapeau et f umant la pipe, suivi de son chien.
À l’arrière plan, on distingue
l’Atomium, monument érigé à l’occasion de l’exposition universelle de 1958 à Bruxelles.
L’Atomium représente neuf atomes de f er, de structure crista l-
line cubique centrée.
L’auteur présente d onc un contraste entre une vision nostalgique de la capitale et une référence à un futur « moderne ».
Seule
l’image futuriste incarnée par l’Atomium peut sembler utopique : cette illustration présente une image tout à fait ré aliste du Bruxelles des années 1950 .
C.
Étude de Persépolis , de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, diffusé en 2007. Depuis une décennie, à l’heure du numérique, la bande de ssinée
de quarante -huit pages couleur a laissé place à d’autres formes de graphismes.
Désormais, la bande dessin ée n’est plus contrainte aux structures cla s-
siques de la narration : l’auteur peut maintenant se permettre des allers -retours entre la bande dessinée et une œuvre cinématographique par
exemple.
L’image gagne ainsi en dynamisme .
Marjane Satrapi est élevée d ans une famille iranienne de Rasht très progressiste , dont de nombreux
membres et amis sont envoyés en prison pour leur soutien au communi sme .
Son père lui donne à lire des bandes dessinées sur l' histoire du marxisme .
Ses parents, des intellectuels très engagés, décident rapidement de se sépar er de leur fille unique et de l’ envoy er en E urope, dès l'âge de 14 ans afin de
lui épargner l'oppression d'un régime islamique alors à son comble.
Elle vit d'abord à Vienn e, Strasbourg puis à Paris .
Dans Persépolis , Marjane Satrapi a
dessiné, de 2000 à 2003, son enfance en Iran.
En 2007, les quatre tomes de la bande dessinée sont adaptés en long -métrage par le cinéaste français
Vincent Paronnaud.
Les deux œuvres racontent, tel un récit autobiographique, les éléments qui ont bouleversé la vie de Marjan e Satrapi, ainsi que les
conséquences de la révolution islamique de 1979, qui a abouti à la chute de l’État impérial du Shah d’=ran.
L’œuvre de Marjane Satrapi est donc une
réflexion sur la crise d’identité et le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais, par extension, une réflexion sur l’=ra n actuel.
L’=ran est aujourd’hui
une dictature qui menace la paix dans le monde à cause de la fabrication illégale d’armes nucléaires.
III.
La ville, un enfer
A.
Étude de l’œuvre Pendant l’orage , de l’illustrateur italien Lorenzo Mattotti né le 24 janvier 1954, édité en 1997 par Les villes illustrées/CCCB dans
la collection Tommaseo Triste (cf.
annexe 3) .
Figure majeure de la bande dessinée, Lorenzo Mattotti est avant tout un illustrateur de talent .
Très tôt, sa
sensibilité le pousse à s'intéresser à l' art et il entame des études d'architecture à Venise avant de se tourner vers le graphisme .
A m esure qu'il découvre
la bande dessinée, sa passion pour ce moyen d'expression très riche grandit.
Désireux de modifier le langage de la bande dess inée, il développe un style
marqué par une étonnante maîtrise de la co uleur et des contrastes en noir et blanc.
Lorenzo Mattotti dessine par ailleurs des affiches et travaille pour
la presse. Son œuvre Pendant l’orage est très atypique : elle est un assemblage de six vignettes qui forment une sorte de tableau.
Le noir est omnipr é-
sent.
La couleur se présent e sous la forme de gribouillis, symbolisant l’orage.
Le spectateur ne peut distinguer à travers ce paysage cha otique qu’un
pont et quelques immeubles.
Seule la cinquième vignette est différente des autres : Lorenzo Mattotti a dessiné une silhouette sur une rambarde, o b-
servant l’orage apocalyptique.
Ce paysage infernal ne peut être attribué à une banlieue définie.
Et pour cause, l’artiste a s ouhaité représenté une ba n-
lieue anonyme, afin de donner l’idée d’une généralisation et d’une identific ation : cette ba nlieue pourrait se trouver dans n’ importe quelle partie du
globe.
Les banlieues ont en effet connu dans les années 1990 un véritable essor, en particulier dans les pays en développemen t, à cause de
l’importance de la croissance urbaine.
B.
Étude de Kebra , du dessinateur français Jano, de son vrai nom Jean Leguay, né le 22 août 1995, édité par Charlie Mensuel en 1979.
De la banlieue
parisienne, dans Kebra , jusqu'à ses carnets de voyage d’Afrique et d’=nde, avec Keubla et Kami , Jano illustre avec comique ses œuvres.
=l traite égal e-
ment le futur, comme dans Gazoline et la planète rouge ou encore le passé, avec Les fab uleuses dérives de la Santa Sardinha .
Il a même écrit quelques
livres pour enfant tel Le Pygmée et les Géants .
C’est avec Kebra que Jano rencontre ra le succès dès les années 1980.
Sur la vignette de Kebra est repr é-
senté au premier plan le héros éponyme Kebra, un petit rat anthropomorphe à la tenue vestimentaire marginale.
Il joue de la g uitare dans un terrain
vague, accompagné d’une bande d’autres r ats qui jouent de la batterie ou du tambour derrière lui.
Dans ce terrain hostile se trouvent de vieilles aut o-
mobiles aux vitres brisées et de nombreuses bouteilles d’alcool vides.
L’arrière plan est constitué de dizaines d’:LM délabrés et de quelques pann eaux
publicitaires.
Cette illustration , en noir et blanc, montre une image chaotique de la banlieue parisienne, à l’heure d’un grand projet d’urbanisation.
En
effet, dès 1965, une politique de création de « villes no uvelles » est décidée.
De 1969 à 1973, d es villes comme Évry ou Marne -la-Vallée sont construites
autour de Paris, à des endroits autrefois peu habités.
À l’origine du projet, ces villes nouvelles devaient répondre à la cro issance démographique impo r-
tante de la région parisienne.
Mais peu à peu, ces villes ont été habitées par « des reclus de la société que la ville ne pouvait pas, ou plus, accepter ».
Ces villes nouvelles sont donc devenues des zones de non -droit, et c’est ce pa ysage infernal que Jano veut présenter au lecteur.
C.
Étude du HLM in fernal , du dessinateur français Jano, de son vrai nom Jean Leguay, né le 22 août 1995, édité par Métal hurlant en 1982 dans la
collection du Musée de la BD, exposée à la Cité internationale de la BD et de l’image d’Angoulême. Pour cette illu stration, Jano a utilisé des aplats de
couleurs vives.
La planche est scindée horizontalement en six vignettes, représentant les six étages du HLM.
Il traite, comme avec Kebra , le thème de la
ville extra -muros, et en particulier la banlieue parisienne.
Les six vignettes présentent des scènes de violence et de débauche.
La première v ignette
montre une coupe de deux appartements, séparés par la cage d’escalier.
Alors que l’appartement de gauche est cambriolé, celui de droite est utilisé
comme studio de radio pour diffuser d u rock, musique considérée comme marginale avant le milieu des années 1980.
La v ignette du dessous montre, à
gauche, une babysitteur « prise en otage » par des enfants déguisés en =ndiens.
À droite est représentée l’appartement du cambrioleur, meublé par l es
biens du ménage du dessus. En dessous, à gauche, une bande d’amis jouent de la m usique ; et à droite est présenté une scène d’adultère.
À l’étage du
dessous , à gauche, une personne tient un fusil pour « calmer » ses voisins du dessus, trop bruyants.
Dan s l’appartement de droite se trouve le cadavre
d’une pe rsonne âgée, ainsi que six chats.
Dans la cage d’escalier sont représentés des policiers.
Au premier étage, dans l’appartement de gauche, deux
hommes r epeignent les murs, alors que dans celui de droite , quatre personnes ivres discutent autour d’une table.
Enfin, dehors, Hano a dessiné une
scène de viol et, à droite, un entassement d’ordures.
L’auteur nous dépein t donc une image catastrophique, infe rnale et repoussante de ces HLM, en
accord avec la condi tion socio politique mondiale : c’est en effet le cœur de la Guerre Froide, avec la reprise des tensions entre le bloc de l’Ouest et celui
de l’Est : cette période , de 1975 à 1991, est appelée la « Guerre Fraîche »..
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