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CLAUDE MONET: vie et oeuvre

Publié le 02/05/2019

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monet

Claude Monet aime l'eau, c'est son don spécial d'en représenter la mobilité et la transparence, eau de mer ou de rivière, grise et monotone, ou de la couleur du ciel. Je n'ai jamais vu de bateau plus légèrement suspendu sur l'eau que dans ses tableaux, ou gaze plus mobile et plus légère que son atmosphère en mouvement. Sisley fixe les moments fu gitifs de !ajournée, observe un nuage qui passe et semble le peindre en son vol. Sur sa toile, l'air vif se déplace et les fe uilles encore fr issonnent et tremblent. Il aime les peindre surtout au printemps, quand les jeunes fe uilles sur les branches légères poussent à l'envi, quand, rouges, d'or, vert roussi, les dernières tombent en automne, car espace et lumière ne font alors qu'un, et la brise agite le fe uillage, l'empêche de devenir une masse opaque, trop lourde pour donner l'impression d'agitation et de vie. Pissarro, quant à lui, le plus âgé des trois, aime l'ombre profonde des bois, l'été, les terrains verts, et il ne craint pas la pleine pâte qui, parfois, sert à rendre l'air visible ainsi que brume lumineuse, saturée de rayons solaires. Il n'est pas rare que l'un des trois prenne de vitesse Manet, qui, percevant tout à coup le résultat ou l'intention, ramasse toutes leurs idées dans une œuvre magistrale et définitive. À eux plutôt les changements subtils et délicats dans le paysage, toutes les modulations par lesquelles passe un bouquet d'arbres au bord de l'eau, tout au long d'une matinée ou d'un après-midi.

 

Les œuvres les mieux réussies de ces trois peintres se signalent par l'infaillible, quoique merveilleusement rapide, exécution. Malheureusement, le client, même assez intelligent pour discerner dans ces transcriptions de la nature beaucoup plus que la délectable exécution, car dans ces tableaux, instantanés et spontanés, tout est harmonie et une touche en plus ou en moins gâterait tout, est dupe de cette agilité de métier, réelle et apparente, et, bien que

petits flots verdâtres, coupés de lueurs blanches, elle s'étend en mares glauques qu'un souille fait subitement fr issonner, elle allonge les mâts qu'elle reflète en brisant leur image, elle a des teintes blafardes et ternes qui s'illuminent de clartés aiguës. Ce n'est point l'eau fa ctice, cristalline et pure, des peintres de marine en chambre, c'est l'eau dormante des ports étalée par plaques huileuses, c'est la grande eau livide de l'énorme océan qui se vautre en secouant son écume salie.

 

L'autre tableau de Claude Monet, celui que le jury a refusé et qui représentait la jetée du Havre, est peut-être plus caractéristique. La jetée s'avance, longue et étroite, dans la mer grondeuse, élevant sur l'horizon blafard les maigres silhouettes noires d'une file de becs de gaz. Quelques promeneurs se trouvent sur la jetée. Le vent souille du large, âpre, rude, fo uettant les jupes, creusant la merjus-qu'à son lit, brisant contre les blocs de béton des vagues boueuses, jaunies par la vase du fond. Ce sont ces vagues sales, ces poussées d'eau terreuse qui ont dû épouvanter le jury habitué aux petits flots bavards et miroitants des marines en sucre candi.

 

D'ailleurs, il ne fa udrait pas juger Claude Monet d'après ces deux tableaux, sous peine de l'envisager d'une façon très incomplète. Il me répugne d'étudier des œuvres prises à part; je préfère analyser une personnalité, faire l'anatomie d'un tempérament, et c'est pourquoi je vais souvent chercher en dehors du Salon les œuvres qui n'y sont pas et dont l'ensemble seul peut expliquer l'artiste en entier.

 

J'ai vu de Claude Monet des toiles originales qui sont bien sa chair et son sang. L'année dernière, on lui a refusé un tableau de figures, des fe mmes en toilettes claires d'été, cueillant des fleurs dans les allées d'un jardin ; le soleil tombait droit sur les jupes d'une blancheur éclatante ; l'ombre tiède d'un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de fo rce, des étoffes coupées en deux par l'ombre et le soleil, des dames bien mises dans un parterre que le râteau d'un jardinier a soigneusement peigné.

payant ces tableaux un prix mille fois au-dessous de leur valeur réelle, l'arrière-pensée le trouble que de si aisées productions pourraient être multipliées infinitum. Simple malentendu, d'ordre commercial, dont sans aucun doute ces artistes auront encore à pâtir. Manet, plus fo rtuné, vend convenablement ses œuvres. En impressionnistes convaincus, ces peintres (à l'exception de M. Claude Monet qui s'en tire superbement) ne s'attaquent pas à des sujets grandeur nature, non plus qu'ils ne les prennent dans des scènes d'intimité, mais, peintres de paysage avant tout, ils réduisent leur tableau au fo rmat le plus fa cile à tomber sous la vue et à être remémoré les yeux fe rmés.

 

c/s

 

THÉ ODORE DURET Préface Îll Le Peintre Claude Monet, juin 1880

 

Claude Monet est l'artiste qui, depuis Corot, a apporté dans la peinture de paysage le plus d'invention et d'originalité. Si l'on classe les peintres d'après le degré de nouveauté et d'imprévu de leurs œuvres, il faut le mettre sans hésiter au rang des maîtres. Mais comme la foule éprouve d'abord la répulsion instinctive pour tout ce qui, en peinture, est nouveau et original, cette même personnalité, qui devrait suffire à le recommander, est précisément la raison qui, jusqu'à ce jour, a écarté de lui le public et le gros des critiques. Nous prétendons que Claude Monet sera placé, dans l'avenir, parmi les paysagistes à côté de Rousseau, Corot et Courbet, et les observations qui vont suivre ont pour but de justifier cette opinion.

 

Si l'on jette une vue d'ensemble sur les paysagistes modernes, on verra qu'ils ont eu la commune aspiration de pénétrer la nature et d'entrer en rapports de plus en plus intimes avec elle. Aussi leurs efforts accumulés, depuis la rénovation du paysage sous la Restauration, ont-ils amené un perfectionnement des procédés,

monet

« ÉMILE ZOLA Il y a en lui un peint re de marines de premier ordre.

Mais il entend le genre à sa façon, et là encore je trouve son profond amour pour les réalités présentes.

On aperçoit toujours dans ses marines un bout de jetée, un coin de quai, quelque chose qui indique une date et un lieu.

Il paraît avoir un faible pour les bateaux à vapeur.

D'ailleurs il aime l'eau comme une amante, il connaît chaque pièce de la coque d'un navire, il nommer ait les moindres cordages de la mâture.

Cette année, il n'a eu qu'un tableau reçu: Na vires sortant des jetées du Havre.

Un trois-mâts emplit la toile, remorqué par un vapeur.

La coque, noire, monstrueuse, s'élève au-dessus de l'eau verdâtre ; la mer s'enfle et se creuse au premier plan, frémissant encore sous le heurt de la masse énorme qui vient de la couper.

Ce qui m'a frappé dans cette toile, c'est la franchise, la rudesse même de la touche.

L'eau est âcre, l'horizon s'étend avec âpreté; on sent que la haute mer est là, qu'un coup de vent rendrait le ciel noir et les vagues blafardes.

Nous sommes en face de l'oc éan, nous avons devant nous un navire enduit de goudron, nous entendons la voix sourde et haletante du vap eur, qui emplit l'air de sa fumée nauséabonde.

J'ai vu ces tons crus, j'ai respiré ces senteurs salées.

Il est si facile, si tentant de faire de la jolie couleur avec de l'e au, du ciel et du soleil, qu'on doit remercier le peintre qui consent à se pri ver d'un succès certain en peignant les vagues telles qu'il les a vues, glauques et sales, et en posant sur elles un grand coquin de navire, sombre, bâti solidement, sortant des chantiers du port.

Tout le monde connaît ce peint re officiel de marine qui ne peut peind re une vague sans en tirer un feu d'artif ice.

Vous rappe­ le z-vous ces triomphants coups de soleil changeant la mer en gelée de groseille, ces vaisseaux empanachés éclairés par les feux de Be ngale d'un astre de féerie ? Hélas ! Claude Monet n'a pas de ces gentil lesses-là.

Il est un des seuls peintres qui sachent peindre l'eau, sans trans­ parence niaise, sans reflets menteurs.

Chez lui, l'eau est vivante, prof onde, vraie surtout.

Elle clapote autour des barques avec de 9 3. »

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