Brancusi: MADEMOISELLE POGANY
Publié le 14/09/2014
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«
Des sculptures comme des galets
Exposées, ces œuv res déconcertent le public ,
jusqu'ici accoutumé à une sculpture essentiel
lement descriptive.
Avant Bran cus i, Rodin a
certes déjà exécuté des têtes qui se détachent
à peine du bloc de marbre , mai s sans aller si
loin dans la simpli f ication.
Pour Brancusi,
c'est cette dernière qui impor te avant tout.
Dès 1910, ses séries de la Muse endormie et du
Prométhée, celles- là même qui intriguèrent si
fort Margit Pogany, l'expérimentent systéma
tiquement.
Ni la Muse ni Prométhée n 'o nt de
corps, pas même d 'épaules et de cou, seule
ment des têtes ovoïdes aux traits à peine .
inci
sés, aux chevelures comme effacées, aux
bouches invisibles.
On dirait des galets roulés
par un torre nt ou par le vent.
Pourquoi ce parti pris d'épuration? Une œuvre
de 1916 le révèle avec force : œuf de marbre
blanc et gris dénué de tout relief , elle s'intitule
le Commencement du monde.
Brancusi ne saurait
être plus explicite : il entend renouveler la
sculpture en la reconduisant à ces principes pre
miers, en revenant aux formes fondamentales.
Or, aucune forme n'est plus fondamentale que
celle de l'œuf, cellule élémentaire de la création.
Un autre marbre , en 1915, a pour titre le
Nouveau-né, et la même idée y est exprimée
d'une autre façon.
C'est véritablement une
sculpture des origines que Brancusi veut
inventer, ou plutôt réinventer , puisque c'est
du retour au point de départ qu'il s'agit.
Ma demois elle Po gan y es t un marbr e de 44 cm d e haut eur.
E xp osée à N ew Yo rk dès 191 4, à la Photo Secession Ga llery , animée
pa r A lfre d Stie gl itz , elle appart ie nt
a ujourd ' hui a ux c oll ectio ns du
mu sée de Ph ilad elp hi e.
Le Comme ncement du monde , Constantin Brancusi, 1916 (Philadelphie , Museum of Art).
Retour aux civilisat ions anc iennes a ussi : la
Muse endormie, comme Mademoiselle Pogany,
ou la Danaide de 1913 empruntent un peu de
leur géométrie aux arts de !'Antiquité, non
point certes à celle du Parthénon ou de l'art
hellénistique,
mais à l ' Antiquité bien plus
ancienne des idoles cycladiques, des
Sumériens, ou même à celle des civilisations
néolithiques et méga lithiques.
Brancusi ne
s'es t-il pas inspi ré de celles-ci quand il a taillé
le Baiser, bloc géométriq u e aux reliefs délibé
rément schématiques? Plus qu e les cubistes,
ses contemporains, il explore les ressou rces
du primitivisme.
Quelques années plus tard , il
taille le bois en hommage à l ' art des Africains
et à celui des Océaniens.
Scandale au Grand Palais
Ce tte démarche va de pair avec la volonté
violemment affirmée de revenir également
aux sentiments et aux pulsions les plus
simples et les plus puissants -à commence r
par le désir sexuel.
Mademoiselle Pogany se
métamorphose en archétype féminin , forme
toute de courbes et de galbes arrondis qui
év'oquent allus i vement son cor ps entier, et
non p as seulement son visage.
L'ovoïde, à
l'évidence, est synonyme de fécondité, alo rs
que l'allongement des mains et l'immensité
des yeux se réfèrent aux canons convention
nels de la beauté féminine.
Quand il reprend et développe le motif de
Mademoiselle Pogany dans les années 20,
Brancusi accentue encore cet t e part symbo
lique.
Sur la n uq ue et le cou, il imagine un
décor de volutes emboîtées les unes dans les
autres dont la spirale redouble le dessin géné
ral de la tête.
Mains et poignets fusionnent en
une sorte de cône légèrement incliné, autre
simplification non moins chargée de sens.
Le
matériau lui-même se fait de plus en plus p ré
cieux et élégant, marb re blanc veiné de gris
La Princesse X, Constantin Brancusi, 1916 (Philadelphie, Mu seu m of Art).
L 'œ uvre fut censurée par la police pour cause d'obscénité.
pâle, bronze doré qui donne à l'œuvre l'appa
rence d 'une idole archaïque.
Margit Pogany
est devenue nymp he ou déesse.
E n 1916, Brancus i entrep rend un aut re por
trai t, celu i de la P rincesse Marie Bonaparte.
D u
buste il ne conserve que les globes des seins,
et de la tête qu'une forme ovale reliée aux
deux sphères par un cou très étiré.
Très vite,
l'allusion phallique devient précise, et la prin
cesse se change étrangement en symbole
explicite
de la virilité.
En 1920, Brancusi
expose l 'œ uvre au Salon des indépendants , au
Grand Palais, sou s le titre mystérieux de la
Princesse X.
À peine le Salon inauguré,· il est
sommé par le commissariat de police de reti
rer son œuvre, sous le motif que la Prin cesse X
est un objet pornographique.
À défaut d 'avoir
compris l' œuvre, le commissaire a été du
moins sensible à l'un des principes de
Brancusi : faire de la sculpture !'expression de
l'essentiel...
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