Black, brown and beige 1944 Duke Ellington (1899-1974)
Publié le 30/06/2015
Extrait du document
Le jazz en liberté
Il serait erroné de croire que le pavé dans la mare lancé par Ellington ne se limite qu'à un bras d'honneur envers la technique d'enregistrement et de reproduction. Car innovant également dans le domaine de l'orchestration, Black, brown and beige révolutionne le concept même de l'orchestre de jazz.
Terminée l'ère où chaque instrument ronge son frein derrière son chevalet, attendant nerveusement le moment libérateur de son intervention soliste. Ellington entend à présent que chaque instrument, par son timbre et sa personnalité, participe de l'ensemble de l'oeuvre, mieux encore, la marque de son identité propre, la colore d'un cachet indélébile.
«
Black, brown and beige 1 285
Mais plutôt que de se perdre dans une anarchie d'improvisa
tions débridées, Ellington ménage suffisamment
de plages de relâ
che pour que ses partenaires les investissent de leurs interventions
inspirées.
Cette suite possède une qualité peu commune, celle
d'une musique naturelle, basée sur la logique incontournable de
l'émotion instinctive, de l'à-propos éclairé.
De derrière son clavier, Ellington assiste, en démiurge fasciné,
à l'exposition évolutive de ses thèmes par ses partenaires.
II est
alors silmultanément compositeur comblé, complice efficace et
spectateur séduit.
Fusion
Work song qui ouvre la suite permet d'emblée de jauger la cohé
sion de l'orchestre et la qualité des officiants.
Sur l'allègre
rythmi
que du bassiste Alvin Raglin qui perpétue à présent le
bouleversement infligé par son prédécesseur Jimmy Blanton à cet
instrument, les magnifiques chorus d'Harry Carney (saxophone),
Sam Nanton (trombone) et Otto Hardwick (saxophone alto) démul
tiplient un thème qu'ils désincarnent jusqu'à le laisser, pantelant
et étincelant, entre les doigts d'un Ray Nance hilare qui l'exploite
avec une religiosité confondante, dans sa mystique partie de vio
lon
de Come sunday.
Ce qu'en retire Johnny Hodges, sur son saxo
phone alto, est du tout grand jazz.
Harlem ...
The blues, lente mélopée- chantée par Joya Sherrill, est moins con
vaincante.
On y sent Ellington plus embarrassé quand il s'agit de
greffer des vocaux sur ses thèmes ou mieux encore de plier sa
musique aux exigences toutes particulières de la voix humaine.
Three dances dont West Indian dance constitue la première par
tie
ne fait qu'annoncer par le contraste de cet enthousiasme dans
le jeu de l'orchestre, le volcanique
Emancipation celebration qui
déborde d'exubérance.
Tandis que
Sugar Hill penthouse/Creamy
brown,
authentique révélateur de l'air du temps dans un Harlem
idéalisé,
se pose en révérence respectueuse devant ce quartier de
New York qui reconnut en premier les qualités de coeur et d'esprit
du grand Duke.
Ne disait-il pas lui-même que son jazz,
né et sevré
dans ce quartier noir, n'avait d'autre raison d'être que
d'en ren
dre.
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