BAUDELAIRE VISITE LE SALON - Les débuts d'un critique d'art
Publié le 14/09/2014
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«
Un «guide-ânes» intelligent
En 184 5, le Salo n s'ouvre le 15 ma rs.
2 332 œuv res y sont présen t ées , parmi les
q uelles 1 673 peintu res, accrochées , comme à
l '
habitude , cad r e contre cadre jusqu 'au sommet
des parois .
Il n'est pas de tableau majeu r cette
année-là, pas d 'œuvre scan daleuse qui susci te
les polémiques.
D e gr ands artistes , d' ailleu rs ,
son t abse nts : profond ém e nt affecté par le mau
vais acc u eil d e son Martyre de saint Sympho rien
en 183 4, Ingres, par exemple, n'y expose pas.
Dix a ns ava nt la paru t ion des Fleurs du mal ,
l'explo ration d e ce •Cru • médiocre est l'occa
sion p our Baudela ire de signer son premier
livre.
Son Salon de 1845 - une simple plaquette
- ann once les critiques ultérieures des Salons
d e 1 846 ou d e 1 859, réunies en 1868 sous le
titre de C uri osités esthétiques.
Fidèle à une formu le déjà établie - celle du
•guide-ânes • traditionnel qu'il évoque en intro
duction - , le poè te consacre à chaq u e œuv re
une notice , en regroupant tableaux et statues à
l '
intérieu r de chapitres consacrés aux différents
genres : peinture d'histoire , portraits, pay
sages ...
Il renonce ra par la suite à cette organi
satio n pratique, privilégia nt le débat d 'i d ées Oa
n otion de modernit é en 1846, le pou vo ir de
l'imaginatio n en 1 859) et faisan t de son juge
ment une œ u vre litté raire à p art entière.
L'apologie de la «naïveté»
Dès 1845 , toutefo is , se lit la qualité du critique :
familier dep uis s o n jeune âge de l'atelier de p lu
sieu rs artis tes, do ué l u i-même d'un tale n t dont
attes te nt ses n o m br eux dessi ns, Ba udelair e
impose son «œil» et son goût du risque.
Certa ins en font sévè rement les frais : ains i
H
orace Verne t , dont l'ambit ie u se Prise d e la
smalah d 'Abd el-Kader n 'est qu'un •vaste pano
rama de cabaret • déroulé suivant une
•méthode de feuilletonis te •.
D ' autres artistes , à
l
'inve rse, éme rgent d e l ' ombre grâce au poète.
Baudelaire exal te a insi la Fontaine de jouvence ,
due à un peintre inconnu , William H au sso ulier,
tr
ès influ encé par I n gr es.
L' œ uv re , de coloris
criards ( •voyan t(s)•, écr it Baudelaire ), appa r
tient au style • troubadour • -, elle évoque
avec une fantaisie pleine de nostalgie le mon de
médiéva l.
Baudelaire y goûte une •naïveté •
dont il fera l'apo logie dans d'autres critiques et
qu'il caractérise comme une faculté d 'inve ntion
o rigina le, une spo ntanéi té qui rom pt avec la vir
tuos ité stérile d e !'aca démisme , pro ducte u r de
•m orceaux luisa nts, prop res et indus trieuse
ment astiqués •.
La même •naïveté • , une • p r é
tendue gaucherie • q ue dénoncent à tort des
•demi-savants • lui font aimer le paysage histo
rique de Corot, Homère et les bergers : •A la tête
de l'école moderne du paysage, se trouve
M .
Coro t• , écrit Baudelai re.
Enfin , Chassériau le
séd u it avec le Calife de Con stan tine su ivi de son
escorte, u n m onum ental portrait o rienta liste qui
•rappe lle l'audace naïve des grands maîtres •.
Delacroix plutôt qu'lngres
Mais, si Chassériau s'attire la faveur du
critique, c 'est surtout parce qu'il se situe dans
la lignée d e Delacroix.
Il •cherch ( e) à détrous
ser Del acroix •, écrit B a ude laire avec drôle rie.
Or, dès les prem ières lig n es de son Salon , le
poè t e exp rime son admiration passionnée
pour l'auteur
de la M o rt de Sardanapal e :
•M.
Delacroix est décidémen t le peintre le plus
original des temps anciens et des temps
modernes. • Il est l' a r tiste •aimé des poètes •,
promoteur d 'une manière de peindre nouve lle,
le rom anti sme, c'est-à- dir e • l' expression la
plus réce nte, la plus actue lle du bea u ».
Il sait
suggé re r le «d r ame • par l e mouveme nt et la
couleur , ains i que la •rêverie • par la mé lancolie
et l'aspiration vers l'infini.
L'exaltation de Delacroix a pour contrepartie
une ext rême sévérité à l ' égard d'Ingre s, à qui
Baude laire reconnaît pour seul mérite d'avo ir
respecté l'idéa l an ti que, «auque l il a ajouté les
curiosités et les minuties de l'art mo d erne•.
Dix ans plus tard , à l' occasion de !'Expos ition
universelle de 1855 , Baudelaire consacrera à
Ingres un texte très dur , confessant q ue la pein
ture de cet artiste ne produit sur lui d'autre
impression que •du malaise, de l'ennui et de la
peur •, reprochant à son auteur «une lacune,
une privation, un am oindrissemen t d an s le jeu
des facultés spirit uelles •, fustigeant le caractère
systématique de son dessin et sa préoccupation
•pre sque maladive • du style ...
Intrépide , passionné , le jugement de
Baude laire est ainsi toujours partial.
Il se veut
non l'historien de son siècle , mais son guide
inspi r é - choix qui fait du poè te le précu r
seu r d' un a utr e grand écrivain vis ionna ire de
l'art, a u XX' siècle: An d ré Malra ux.
• Voir aussi : p.
230-231 (La Mort de S ardanapale ).
Ho m ère et
le s bergers, G us tav e Coro t (mu sée d e S aim -L ô).
La critique d' art à l'époque romantique
Év éneme nt art is tique , le Sal on a favo risé au ssi la nai ssanc e d'un ge nre litt é rair e, la critique d'art , que Diderot a
co ntribu é à impo ser au xv111• s ièc le.
La
publ ication par la rev ue /'Art is te d e s on Sal on de 17 59 , au mom ent où s'o uvr e
c elui de 1845 , a s an s do ute i nc ité
B audelaire à s'eng ager dans la mêm e
voie.
Ma is , s i l'œ il et la plum e de
B audelair e res te n t aujourd 'hui encore
s ouverains , d 'a utre s que l ui ont contr ibu é
à fa ire s'épanouir la critique d'art dan s la
pr em ière mo i tié du XIX° sièc le.
Classiques contre rom a nt iqu es.
Étienne -Jean Del écluze, surn omm é à
ca use de sa long évité ..
Je Nes to r a rti s
tiqu e", f a it ain si autorit é.
N é e n 1781, anci en élève de David , il dé fe nd jusqu 'à
sa mort (1863 ), par plu s de mill e art ic le s, le s vale urs esth é tiqu es du classic is me
c
on t r e le s éla n s du rom anti sme .
Th é oph ile Thor é, dit W i lliam Bürg er
(180 7- 1869 ), comba t, lu i, dan s le c amp
oppo sé : d' abord jo urn alis te pol itiqu e,
pro che des id éaux socia lis tes, il est l e
défen seur incond itionne l de Delac roix et
s outi ent son ami Théodor e Rou ssea u.
Th éophile Gautier .
Delé c lu ze et Bürg er so nt des spéc ialistes, des prote s· s io nn els de la critique d'art .
Mai s, aux
cô tés de Baud elaire , plu sieur s éc rivain s
ou poè tes, à l'in star de Mu sse t
ou de
S te ndh al, s' ess a ie nt au ssi à la crit ique
d 'a rt .
L a pa rticipati on la plu s re marqu ab le
re ste to utefoi s celle de Théoph il e Gaut ier ( 1 8 11-1872), qui ass ure la rubrique art is t iqu e de la P resse e ntr e 183 6 et 1853 e t publie a ill e urs de nombr eux c ompte s
rendu s.
L'œ il a igui sé par un e formation
d e
"ra pin • ., l'es pri t ou vert au x aud aces , il
s 'e nthou siasme dans de s a ppr éciation s
c o lor ée
s.
G ra nd voy ageur , il acc ord e un e
a tte nt ion pa rticulière aux orient ali s tes qui
partag ent avec lui l'étran ge no sta lgi e qu 'il
bapt ise «la m aladi e du bleu ...
L 'apog ée de la fin d!cl.
siè cle.
Ce tte
c ritiqu e se nsib le et l ittéraire annonce la
flo ra is on de la seconde m~i tié du siècl e
où les frères Goncourt , Émil e Zola et,
p ar la su ite , la génér a tio n s ymboli ste
( A lbe rt Aurier , Charles Mor ice, le poète
É
mil e Ve rhaeren ) se trouv e nt plein e ment associés aux reno uvellem ent s de
l 'ex press io n art is tiqu e..
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- «Un long avenir se préparait pour (la culture française) du XVIIe (siècle). Même encore au temps du romantisme, les œuvres classiques continuent à bénéficier d'une audience considérable ; l'époque qui les a vu naître bénéficie au premier chef du progrès des études historiques ; l'esprit qui anime ses écrivains, curiosité pour l'homme, goût d'une beauté harmonieuse et rationnelle, continue à inspirer les créatures. Avec cette esthétique une autre ne pourra véritablement entrer en concur
- Paul Valéry, décelant en Baudelaire l'âme d'un classique, écrivait en 1924 (Variété II, Gallimard) : «Classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même et qui l'associe intimement à ses travaux... qu'était-ce après tout que de choisir dans le romantisme et que de discerner en lui un bien et un mal, un faux et un vrai, des faiblesses et des vertus, sinon faire à l'égard des auteurs de la première moitié du XIXe siècle ce que les hommes du temps de Louis XIV ont fait à l'égard d