AUGUSTE RENOIR: vie et oeuvre
Publié le 02/05/2019
Extrait du document
Mais pour les yeux, une féerie de couleurs, un amoncellement de merveilles, tableaux terminés, achevant de sécher ou toiles en cours d'exécution. Tout cela piqué au mur par des punaises ou posé à même le plancher sans souci de la présentation. Si parfois un tableau se trouve encadré et accroché d'une façon congrue, c'est par les soins et pour le plaisir de quelqu'un de l'entourage du peintre.
Pas de manteau romain sur sa personne. Il est assis dans son fa uteuil, ses maigres jambes croisées, ses pieds douloureux chaussés de pantoufles de laine, le corps enveloppé de châles, sa tête fine et pâle, coiffé e jusqu'aux oreilles d'une casquette ou d'un chapeau de toile blanche selon la saison, aux doigts une éternelle cigarette qu'il rallume sans cesse.
Il accueille ses amis avec joie. Mais s'il croit qu'on vient le voir comme une curiosité, il se renferme, ne dit plus rien et devient parfaitement désagréable. Dès qu'il a pu se débarrasser des importuns et se retrouve devant son chevalet, il est transfiguré. Il siillote, fr edonne les chansons que lui serinent ses modèles, s'extasie sur des beautés que seul son œil leur découvre.
Ce n'est vraiment qu'à ces moments-là qu'il se laisser aller à dévoiler son esthétique si simple.
Cet homme, qui dans la vie a mis la peinture au-dessus de tout, parle peu de celle qu'il fait.
«Regardez donc la lumière sur les oliviers... ça brille comme du diamant. C'est rose, c'est bleu... Et le ciel qui joue à travers. C'est à vous rendre fou. Et ces montagnes là-bas qui passent avec les nuages... On dirait des fonds de Watteau.
«Ah! ce téton ! Est-ce assez doux et lourd ! Le joli pli qui est dessous avec ce ton doré ... C'est à se mettre à genoux devant.» «D'abord s'il n'y avait pas eu de tétons, je crois que je n'aurais jamais fait de figures. )) [...]
Mon cher Monsieur Durand-Ruel,
Je viens tâcher de vous expliquer pourquoi j'envoie au Salon. Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d'aimer un peintres sans le Salon. Il y en a 80 000 qui n'achèteront même pas un nez si un peintre n'est pas au Salon. Voilà pourquoi j'envoie tous les ans deux portraits, si peu que ce soit. De plus, je ne veux pas tomber dans la manie de croire qu'une chose ou une autre est mauvaise suivant la place. En un mot je ne veux pas perdre mon temps à en vouloir au Salon. Je ne veux même pas en avoir l'air. Je trouve qu'il faut faire la peinture la meilleure possible. Voilà tout. Ah! si l'on m'accusait de négliger mon art, ou par ambition imbécile faire des sacrifices contre mes idées, là je comprendrais les critiques. Mais comme il n'en est rien, l'on a rien à me dire au contraire. Je ne m'occupe dans ce moment, comme toujours, que de faire de bonnes choses. Je veux vous faire de la peinture épatante et que vous vendrez très cher. J'y arriverai dans pas longtemps, j'espère. Je suis resté loin de tous peintres, dans le soleil, pour bien réfléchir. Je crois être au bout et avoir trouvé. Je puis me tromper, cependant ça m'étonnerait beaucoup. Encore un peu de patience et dans peu j'espère vous donner des preuves que l'on peut envoyer au Salon et faire de bonne peinture.
Je vous prie donc de plaider ma cause auprès de mes amis. Mon envoi au Salon est tout commercial. En tout cas, c'est comme de certaines médecines. Si ça ne fait pas de bien ça ne fait pas de mal.
Je crois que je me suis tout à fait retapé. Je vais pouvoir travailler ferme et me rattraper.
Là-dessus je vous souhaite une excellente santé. Et beaucoup d'amateurs riches. Cependant gardez-les pour mon retour. Je resterai encore un mois. Je ne veux pas quitter Alger sans rapporter quelque chose de ce merveilleux pays.
Mes amitiés aux amis et à vous.
Renoir.
Il ne cessait pas de harceler le motif, comme un amoureux harcèle la fille qui se défend avant de céder. Il y avait aussi dans son comportement quelque chose de la chasse. La rapidité anxieuse de ses coups de pinceau, prolongements immédiats, précis, fu lgurants de son regard aigu, me fa isait penser aux zigzags d'une hirondelle attrapant des moucherons. J'emprunte à dessein ma comparaison à l'ornithologie. Le pinceau de Renoir était lié à ses perceptions visuelles aussi directement que le bec de l'hirondelle à l'œil de cet oiseau.
«
AUGUSTE
RENOIR
reproché à Millet de faire des paysages ignobles et grossiers et des
dessins impossibles à pe ndre dans une galerie ? Et que n'a-t-on pas
dit de la pein ture de Corot ? Quant à Manet, la critique ramassa,
en quelque sorte, toutes les injures qu'elle déversait à ses devanciers
pour les lui jeter à la tête, en une seule fois.
Et pourtant, cette critique, depuis, a fa it amende honorable; le
public s'est pris d'admirat ion; mais que de temps et d'ef forts ont
été nécessaires, et comme cela s'est fait peu à peu, péniblement, par
conquêtes successives !
Je vais aujo urd'hui parler d'un peintre, qui a eu sa large part
d'insultes et de moqueries, un peintre absolument exquis pourtant,
d'un tempérament très personnel, d'une maestria éclatante, de
Renoir.
Ce que la femme peut évoquer de grâce, de tendresse, de séduction, de rêve et de coquetter ie; ce qu'elle a de mystérieux et de maladif; l'indéfinissable de son regard, profond comme le vide, et le ray onnement de sa chair, sur laquelle «le pa rfum rôde » ; les suavités de ses dix-huit ans, fleuris de désirs chastes et d'espoirs ; ses mélancolies, quand elle va, doucement, les paupières cernées, sous les ombrages d'un parc qui fait, sur ses robes clair es, trembler et passer l'ombre violette des feuill es; ses abandons quand, les reins cambrés, la poitrine émue, elle penche sa tête frissonnante et toute blonde sur l'épaule d'un valseur, et se laisse emporter ; ses attitudes de recherche savante et de provo cation étudiée, dans la lumière éclatante d'une loge, alors que ses yeux qui voient tout, semblent pe rdus au loin dans le vag ue, que son oreille, qui entend tout, semble inattentive aux paroles qu'on murmure, et que son bras nu repose sur le rebord de velours rouge, un bras délicieux et lourd que les plis du gant recouvrent à demi, et que cercle au poignet, un bracelet d'or brun ; les éclats de rire de ses lèvres allumées par le plaisir et les sonores gaietés de ses libres allures ; les sou ffrances des désillusions trop tôt venues ; les rêveries des idéals qu'on ne peut atteindre ; les inquiétudes des passions qui commencent, et les dégoûts des passions qui finissent ; tout le poème d'amour et de I22. »
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