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Antoine-Jean Gros : LA BATAILLE D'EYLAU

Publié le 14/09/2014

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Auréolé du succès des Pestiférés de Jaffa en 1804, puis de la Bataille d'Aboukir en 1806, deux toiles inspirées par la campagne d'Égypte, Antoine-Jean Gros (1771-1835) remporte en 1807, devant vingt-cinq concur­rents, le concours ouvert pour l'exécution d'une oeuvre dont le sujet évoque le lende­main de la bataille livrée le 8 février 1807 contre les Russes en Pologne prussienne.

« Les Funérailles d'Ata la, d'A.

L.

Girodet (Paris, musée du Louvre).

La mort au Salon Ma is le coloris en demi-teinte, séduisant dans ses refle t s nacrés, ne reflète -t -il pas aussi les doutes q ue réservent au héros les lendem ains d e cette bataille ? Eylau est pour Napoléon une victoire indécise et meurtrière, où son t tombés 25 000 solda ts .

Dans son immense tabl e a u , Gros ne les oublie pas : mieux, il place au premie r plan l'envers du décor.

Les specta teurs du Salon, dit-o n, reculent d'effroi devant l'enchevê trement de ces corps désarti­ culés, plus g rands q ue natu re, au q u el leurs yeux sont d'abor d confrontés.

Le sang gelé sur une baïonne tte, une bouche ouverte qui semble encore crier, un sursaut u ltime et dériso ire : sou s la jambe m u sclée de Murat, nerve use au flanc du cheval cab ré, la mort fai t son œuvre.

Les survivants eux­ mêmes vivent enco r e en plein cauchemar : à droite de ce groupe, un soldat russe qui refuse de recevoir des soins roule des yeux terrorisés .

Comme 11un de ses concurrents, Charles Meynier, qui a présenté au premie r plan de son esqu isse d u concours un entassement de corps nus , Gros renonce donc au seul discours héroïq ue pou r m ontrer une histoire ambig uë.

Peut-êt re est-ce là le sentiment qu'exprime déjà l'opinion en 1807.

Mais c'est sur tout le frui t d'une autre approche, d'une autre «manière de sentir», dont se souviendront Géricau lt ou Delacroix.

Gros, vainqueur d'Eylau Avec un argument imposé, Gros risquait d'abou t ir à l'u ne de ces illustr ations labo ­ rieuses qui rempliss ent les Salo n s de l'époque napoléo nienne .

Ma is d'un sujet il fait un tableau .

Dans la plaine glacée, le peintre répa nd une cla rté chaude qui baigne au centre la robe du cheval.

Ponc tuée d'éclats rouges empr u ntés aux uniformes, elle rappelle - dans un cadre qui s'y prê te moins q u e Jaffa Nouvelles tendances Le Salon de 1808 où est exposée l'œuvre de Gros reflète la variété des tendances qui s'expriment alors dans la pe inture.

David reste, certes , le maître incon­ t esté de cet art avec la grande toile du Sacre (musée du Louvre ), alors en voie d'exécu ­ tion .

Mais de nouvelles perspectives s'annoncent en ces années , parallèle­ ment à celle de ce maître.

Orientations inédites : l'exotisme.

La campagne d'Égypte (1798 -1801 ) a ouvert les ho r izons d'un orienta lisme ple in de couleurs.

Même un peintre néo­ classique comme Guérin (1774-1833 ), rival de David , se fait l'écho de cette mode nouvelle en présentant au Salon de 1808 un Bonaparte pardonnant aux révoltés du Caire (musée de Versailles ).

L e prétexte de l' épopée militaire n'est d'ai lleurs pas toujours nécessaire : les a rt istes s'inspi rent aussi de la littérature exotique inaugurée nagu ère par Bernardin de Saint -Pierre dans le roman Pau l et V irginie (1 7 88).

Girodet (1 76 7- 1824) en dessine les palmiers dan s une illustration de 1806 , le P assage du tor- ou Aboukir, qu'il a lui - même pein ts dans d'au t res tab leaux -la voie colo riste q u'il a sui vie très tôt, a ttiré par R u bens.

Ces accents lumineux donnen t à la scène l'éclat de la vie.

Y participe égale ment la libe rté de la touche, cette «facilité de pinceau» dont parle un critique contemporain du peintre, Delécluze, et surtout le dynamisme de la com­ position d'ensemble.

Les deux chevaux presque affrontés au cen tre dans u n mouve­ ment contraire en son t le symbole .

Si les géné­ raux son t cantonnés dans une figuratio n un peu compassée, les autres groupes diversifient les attitudes et rompent la monotonie.

Delacroix, auteur d'un t rès bel hommage au peintre dans la Revue des Deux Mondes en 1848, résume ainsi l'impression du spectateur : «Ce tab leau, formé de cent tableaux, semble appe ­ ler l'œil et l'esprit de tous côtés à la fois .» Voilà malmenée l'unité d'action chè r e aux néoclas­ siques, irrévérence dont se souviendra, par la suite, l'auteur de Sardanapale.

Monumentale et sublime, la Bataille d 'Eylau n'est pourtant pas une mosaïq ue d'anecdotes.

Le cadre, qui est ici un vrai paysage et non u n décor artificiellement plaqué, vient unifier la scène : le ciel noir, la plaine gelée où se dresse rent , ava nt de s'orienter vers l'évocat io n de l'Amériq u e p rimi t ive chè re à C hateaub riand , en peigna nt d'après cet écriv ain l es Funéra illes d'Ata la (musée du Louvre) , présentées au Sa lon de 18 0 8.

Thèmes préromantiques l'influence d 'Ossian.

À cette époque l 'œuvre littéraire la plus app r é ci ée des peintres reste cepe ndant celle du barde Ossian, prétendument du 111• siècle, dont les poèmes gaé liques ont été en réalité to t aleme nt inventés par un instituteur écossa is du xv111•, Macp herson.

François Gérard ( 1770 -1837 ), plu s con nu pour ses portrai ts - «le pe intre des rois et le roi des peintres ..

-, s'inspire avec Girodet des poèmes de l'«Homère du Nord ..

pour décorer la Ma lmaison.

Dans son Oss ian évoque les fa ntô mes de 180 1 f i gurent l' atmosphère me naçante et la «po ésie lunai re ..

chères à la sensi­ bilité préromantique .

On les retrou v e dans la tragique a llégor ie de Pierre Pau l Prud'hon (1 7 58-1823 ), la J ust ic e et la Vengeance divin e pou r suivant le C ri me (mus ée du Louv re ), elle aussi présente a u S alon d e 18 08.

La Justice et la Vengeance div ine pou rsuivant le Crime, de Pierre Paul Prud 'hon (Paris, musée du Louvre).

l'église d'Eylau et où se devine l'activité des armées renaissantes, accompagnen t cet épi ­ sode de l'histoire humaine où se côtoient grandeur et mort.

Un même paysage tragique , celui des hive rs de Lorraine, constitue le tom­ beau de Charles le Tém éraire, que Delacroix, qui se souvient encore d 'Eylau , peint en 1831 dans la Bataill e de Nancy.. »

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