Symbole de la pierre
PIERRE la fixation, la dureté
En raison de sa dureté, de sa permanence, de la majesté de ses formes et parfois de ses dimensions gigantesques, la pierre a profondément impressionné les primitifs qui lui ont voué un culte dont les vestiges sont les dolmens, menhirs, pierres sacrées qui jalonnent le paysage symbolique de l’humanité. • A l’origine, le menhir et la pierre couchée associés ont symbolisé l’instant de la naissance du soleil nouveau ou solstice d’hiver (voir Androgyne) et ont incarné des divinités. Les Druses appelaient la pierre dressée hirmen et la table de pierre couchée saul et leurs divinités Hiram et Salomon (dont les Gaulois firent Irmin Sul) étaient figurés hiéroglyphiquement par un tronc d’arbre et son feuillage (121-112). • Le menhir (symbole du printemps masculin, de la force) associé à une pierre plate (principe féminin, matière), est la plus ancienne illustration de l’androgynie (136-77). Ce symbole, commun à la plupart des civilisations primitives, se retrouve en Inde avec le lingam ou pierre debout. • Les pierres levées et, par extension, lès colonnes, les obélisques, ancêtres des pinacles des églises gothiques sont consacrés au soleil dont par leur forme et par leur nom, ils représentent les rayons (83-63). Peut-on attribuer ce symbolisme aux gigantesques ensembles mégalithiques de pierres levées et de pierres plates de la Préhistoire qui se rencontrent dans toutes les parties du monde, aux milliers de menhirs (pierres levées) et de dolmens (table en breton) disposés en cercle ou en avenue de Carnac (Morbihan), de Stonehenge, de l’Ile de Pâque, de Malte? Certains y voient un gigantesque almanach, un calendrier religieux et un cadran solaire, les pierres étant disposées de manière à capter successivement les rayons du soleil aux équinoxes et aux solstices. D’autres croient qu’ils sont le symbole de l’existence d’un «grand ancêtre» qui a donné au groupe humain son identité et dans lequel le groupe se retrouvait. Certains de ces tombeaux ont été vidés, puis remplis, brûlés parfois, comme pour marquer symboliquement, entre deux utilisations, la fin d’une époque. • Symboles de la présence divine et support d’influences spirituelles, les pierres renferment une force protectrice et fécondante: en Grèce, on plaçait le long des routes, des pierres protectrices, les hermaï, qui devinrent les hermès, image du dieu homonyme ; les cités étaient gardées par un palladium ; l’arche d’Alliance était supportée par une pierre sacrée; l’autel des églises chrétiennes
• Réceptacles d’influx divins et de l’énergie cosmique, elles possèdent une force spirituelle et sont, par conséquent, dotées d’un pouvoir de guérison. D’où leur usage dans les pratiques religieuses et magiques : couteaux de pierre de la circoncision ; silex taillé des embaumeurs égyptiens ; poignards de pierre sacrés des templiers ; la hache préhistorique, outil sacré parfois en matière précieuse (agate, calcédoine, émeraude...); le corail, demeure du dieu polynésien Varuga, maître du bien et du mal, consacré par le chaman, devient vivant et acquiert une puissance surnaturelle ; la pierre de Lune qui, portée sur soi, passe pour favoriser la diurèse, les échanges lymphatiques et le drainage cellulaire; le silex, qui, selon les Mayas, a la vertu de conjurer les maléfices, de faciliter l’accouchement.
• Le culte des pierres blanches et des pierres noires qui fut prati-qué dès l’Antiquité en Orient, par les Arabes, les Romains et les Gaulois, est en relation directe avec celui de la lumière, la séparation des ténèbres et de la lumière et par extension du mal et du. bien. • La pierre noire (noir = féminin-négatif-ténébreux) est généralement l’incarnation d’une déesse personnifiant la Nature éternellement vierge et féconde: l’aérolithe noir identifié à Cybèle, la Magna Mater deum Ida du Mont Palatin, la Ka’ba de la Mecque dont les pèlerins faisaient sept fois le tour, entièrement nus, l'Omphalos de Delphes, emblème de la fécondité... Une pierre noire donne naissance à Mithra au milieu des bergers. • Certaines pierres furent associées à l’eau : la pierre de la porte de Capène à Rome était promenée solennellement pour demander la pluie ; ou à des sacrifices : la pierre noire d’Emèse fut l’objet d’un culte sanglant à Rome. • A cause de sa dureté et de son usage, la pierre (et le rocher) devint le symbole d’un fondement solide et stable, donc de la foi et de la vérité : le Christ nomme Simon Pierre, afin qu’il représente le fondement de l’Eglise. • Au Moyen Age, les pierres qui servent à construire les cathédrales sont vivantes et symbolisent les membres de la communauté chrétienne qui s’intègrent dans l’édifice de la foi. Selon saint Bernard, elles sont unies par la Connaissance et l’Amour. Ces murs de pierre forment une enceinte magique assurant la paix entre les êtres, chacun incarne une vertu indispensable sur le chemin de l’initiation : la Charité qui organise le palais divin, l’Humilité préposée aux trésors célestes, la Patience illumine notre intériorité, la Pureté garantit la nécessaire rectitude. • Certaines pierres sont investies d’un pouvoir générateur, telles les pierres de fertilité et les pierres d’amour le long desquelles les femmes stériles se laissaient glisser pour avoir des enfants ou sur lesquelles les jeunes mariés se frottaient le ventre les premières nuits suivant le mariage. N’oublions pas la pierre noire de Cybèle, symbole de la Terre-Mère, l’éternelle génératrice, la pierre sacrée de certaines tribus océaniennes, qui s’ouvrit pour laisser sortir un arbre qui, à son tour, éclata pour enfanter des hommes. Ces pierres sacrées, pierres d’étoile, de lune, de famine... peuvent agir sur les éléments et provoquer la disette ou même fixer l’âme des ancêtres, comme en Nouvelle-Calédonie où elles sont regardées comme l'esprit pétrifié des ancêtres.
• Dans toutes les traditions, la pierre, solide et fixe, terme normal de la cristallisation des forces magiques, a servi à la divination, à la fabrication des talismans et à la guérison des maladies : des pierres de foudre, que l’on croyait produites par la transformation des nuages en cristal sous l’action du feu et du tonnerre, aux oursins fossiles, qui suent quand il va pleuvoir, en passant par les coraux et bézoards et les pierres précieuses. Formé au plus profond de là matière vivante, le bézoard, (concrétion calcaire qui se forme dans le corps de certains animaux) passait autrefois pour un talisman tout-puissant et un remède contre la soif (la pierre alectorienne du coq chapon), les querelles (la chélidoine de l’hirondelle), les morsures de cobra (issus des serpents et des cent-pieds), l’incrédulité (la rajane de la tête du coq), ou pour un moyen de divination (la chélonite de la tortue). • Les Annamites avalent les concrétions perlières, réduites en poudre, pour attirer la santé et la prospérité. • Ces bézoards servent de support à la magie de sympathie: les indiens Jivaros tracent des dessins sur leur visage avec les concrétions stomacales du toucan (jukka) et du dindon sauvage (misha) avant d’aller à la chasse, parce qu’elles ont le pouvoir d’attirer les oiseaux par la loi magique de sympathie. • En Italie, le corail rouge servait autrefois à faire des amulettes contre le mauvais œil et pour assurer la régularité des menstrues. Les pierres stellaires ou sorcières, madrépores fossiles à la surface tachetée y sont toujours utilisées contre les maléfices, actuellement «christianisées» (chrismes, en croix et figures pieuses). • Le pierre météorique ornait des colliers-talismans médiévaux ou gougad-patereu (en langue celtique, gorgés de grains consacrés) retrouvés en Bretagne. • Objet le plus sacré du monde pour le musulman, la pierre noire de la K-a’ba, ou al hadjar alaswad, est la pierre du pardon. C’est un assemblage de trois grosses pierres de couleur noir-rougeâtre avec des taches rouges et jaunes, rassemblées par un anneau de pierre enchâssé dans un cercle d’argent de 30 cm de diamètre environ.
Blanche à l’origine, lorsqu'Abraham la reçut de Dieu en récompense de sa fermeté devant les démons tentateurs, cette pierre qu’il suffit d’embrasser pour être pardonné de ses péchés, devint noire comme la nuit, chargée au cours des siècles des péchés de millions de croyants. Le jour de la Résurrection, la Main droite de Dieu comme on l’appelle, témoignera en faveur des fidèles qui ont fait le pèlerinage.
• En Chine, la pierre (shi) est un symbole de longévité utilisé par .l’iconographie dans les images offertes aux personnes âgées. On célèbre l’anniversaire de la pierre le 10e jour de l’année, vestige peut-être du culte de la pierre qui a existé en différentes parties de la Chine.
On y voit aussi un symbole de force : le Seigneur-tête-de-pierre était invoqué pour avoir un enfant aussi fort que la pierre.
Investie d’une puissance magique, elle sert à conjurer la peur, à chasser les démons : des pierres sont posées au coin des rues portant l’inscription la pierre ose s’en charge; des lions de pierre sont dressés devant les bâtiments administratifs.
Le 5e jour du 5e mois, avaient lieu des batailles de pierres qui protégeaient des épidémies et favorisaient la fécondité.
• Les concrétions du corps humain (calculs) sont la force Ki cristallisée. La concentration mentale intense provoque la pétrification ; la méditation concrétise l’image de l’être imaginé et on le retrouve gravé en pierre dans le corps du méditant. Une légende raconte qu’après l’incinération d’un bonze parfait, on recueillit son coeur intact dans les cendres : dans le cœur d’un autre qui s’était adonné à la contemplation, on trouva une statuette de la déesse qu’il avait adorée.
Selon une très ancienne tradition, la désobéissance au rituel ou une intense émotion ou la vision d’un fait surnaturel provoquent la pétrification, évoquée dans le récit de la transformation de la femme de Lot en statue de sel.
• L’idéographie alchimique représentait les trois étapes du Grand Œuvre par des symboles qui furent adoptés par la franc-maçonnerie, équivalant aux trois aspects de la pierre. Représentés dans la loge maçonnique, ce sont les joyaux fixes servant de miroir à la nature divine (108-81) :
— Le carré long surmontant une croix (le Tartre, matière dont les philosophes savent extraire leur magistère), représentant la pierre brute que les apprentis maçons doivent dégrossir, symbole des imperfections de l’esprit et du cœur que le Maçon doit s’appliquer à corriger, de l’âme jeune, du mental indiscipliné du candidat, encore plongé dans les ténèbres de l’ignorance.
— L’hexaèdre ou pierre cubique, chef-d’œuvre que chaque apprenti doit réaliser, symbolise l’individu équilibré, en pleine possession de lui-même, bien adapté aux exigences de l’esprit, emblème dé l’âme aspirant à monter à sa source (109-159).
— Le carré surmonté d’une croix ou pierre cubique pyramidale
ou tétraèdre, correspondant à la pierre philosophale (Sel parfaitement purifié, qui coagule le Mercure et le fixe en un Soufre actif), symbole de l’état du Sage parfait, de la perfection intellectuelle et spirituelle que le Compagnon doit s’efforcer de réaliser en lui.
• Par leur forme, les monuments de pierre symbolisent les organes sexuels humains:
— le phallus: colonnes et pierres dressées (cippes), bétyles... symboles de l’énergie masculine créatrice de la nature. En Arcadie, Hermès-Mercure était adoré sous la forme d’un phallus de pierre debout sur un piédestal (19- 254);
— l’utérus : grottes, puits, pierres creuses, pierres percées dotées d’un pouvoir de régénération par l’intermédiaire du principe cosmique féminin...
• L’aspect ambivalent du symbolisme se rencontre chez les Indiens d’Amérique qui considèrent la pierre comme un symbole de destruction en rapport avec les armes en pierre. D’autre part, la tradition indienne établit un lien entre le Vent d’Ouest porteur de tonnerre et de pluie et le Rocher, personnification d’un aspect cosmique de Dieu, car le rocher réunit en lui les mêmes aspects complémentaires que l’orage: l’aspect terrible par sa dureté destructive. .. et l’aspect de Grâce parce qu ’il donne naissance à des sources qui, comme la pluie, abreuvent le pays.
• Dans la Bible et en Egypte, la pierre tendre ou taillée reçut la signification d’erreur et d’impiété et fut attribuée au génie infernal, fondement de toute fausseté (ce signe accompagne toujours l’hiéroglyphe de Seth-Typhon, principe du mal et de l’erreur).