Saturne
Saturne
Avant d’être assimilé au dieu grec Cronos, Saturne était chez les Latins un dieu de la vie agricole, à la fois laboureur et vigneron, dont le nom (qu'on le rattache à satur: rassasié, ou à sator: semeur) évoque l’abondance. Chassé du ciel par son fils Jupiter, il s’était caché (lateo) dans la contrée d’Italie nommée depuis le Latium (c’est-à-dire le Refuge) et, par les poètes, la terre de Saturne. Il y avait exercé la souveraineté et y avait fait régner l’âge d’or. S’étant créé une famille — et une conduite — nouvelles, il était devenu père de Picus, ancêtre de Latinus. Les Romains, qui, suivant d’autres traditions, attribuaient à Saturne l’origine même de Rome, lui avaient élevé un temple et un autel à l’entrée du Forum, à la montée du Capitole ; on en imputait la fondation soit à des divinités comme Janus ou Hercule, soit à Romulus.
De peur que le dieu n’abandonnât son poste (sous la République on y entreposait le trésor de l’État), les Romains emprisonnaient sa statue de bandelettes de laine et ne la libéraient qu’au moment des Saturnales!
En effet, ces fêtes populaires, célébrées annuellement autour du solstice d’hiver, prétendaient ressusciter pour un temps la merveilleuse époque où les hommes vivaient sans contrainte, sans distinctions sociales, dans la paix inviolée. C’était une semaine de détente libre et joyeuse, durant laquelle toute activité professionnelle était suspendue — les campagnes militaires même s’interrompaient —, elle était marquée d’interminables repas, pour lesquels le citoyen sacrifiait la toge à la tunique, où les esclaves, déliés de leurs obligations habituelles et servis par leurs maîtres, ne ménageaient pas leur franc-parler. Cela débouchait inévitablement sur des orgies sans frein.
Le culte de Saturne ne s’est pas propagé avec la même ampleur dans l’ensemble du monde romain ; il a été l’objet d’une ferveur exceptionnelle chez les populations d’Afrique. « Dominus Saturnus » représente pour elles le dieu fertilisateur de la terre, et également le soleil et même la lune. Sorte de divinité suprême du ciel, installé souvent en lieu et place de dieux phéniciens, le Saturne africain fut d’abord, comme Moloch, friand de victimes humaines. Ces pratiques cessèrent sous l’Empire et firent place aux libations et aux sacrifices de taureaux et de béliers.
Le samedi (cf. anglais saturdaÿ) est le jour consacré à Saturne.
Le Saturne italique est représenté, sur les monnaies comme sur les peintures pompéiennes — témoignage ambivalent de son activité agraire et de l’identification au castrateur Cronos — la serpette à la main. Un bas-relief du musée du Capitole, réplique d’un modèle grec, le campe en Cronos, assis sur le trône, recevant des mains de son épouse (parfois nommée Ops dans les textes latins) la pierre emmaillotée qu’il prend pour Jupiter nouveau-né.
Le Saturne africain est un homme à barbe courte, coiffé du calathos cher aux divinités agraires ; mais il lui arrive de figurer sur la même stèle sous trois aspects simultanés: dieu barbu à la faucille, jeune dieu solaire à la tête ornée de rayons, jeune dieu lunaire couronné du croissant.