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René DESCARTES 1596-1650 Le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences

René DESCARTES
1596-1650
Le Discours de la méthode
pour bien conduire sa raison
et chercher la vérité
dans les sciences

La fin d'un monde

Au début du XVIIe siècle, la révolution galiléenne bat son plein : la vision classique du monde est bouleversée, au rythme des découvertes scientifiques incessantes. Il devient urgent pour la philosophie de donner sens à ces transformations, c'est-à-dire d'élaborer un système de pensée cohérent, intégrant les nouvelles données scientifiques. Plus fondamentalement, il s'agit de sauver l'homme nouveau de la tentation de scepticisme qui le guette, depuis que ses anciennes certitudes théologiques sont battues en brèche par la science. La recherche d'une source d'évidences autre que la foi religieuse est ce qui guide Descartes dans la rédaction de son Discours (1637).

A la recherche d'un fondement inébranlable

Descartes a vingt-trois ans lorsqu'il décide de ne plus porter crédit à l'enseignement de ses maîtres. Non qu'il soit sceptique ou cynique : au contraire, c'est la soif de certitudes, dans ce monde de l'équivoque, qui le dirige. Non pas davantage que la sagesse de ses maîtres soit toujours fausse : il est même hautement probable qu'elle soit souvent très vraie. Mais il n'y a, dans tout cela, pas la moindre certitude. Tout le savoir n'est fondé que sur l'exemple et la coutume, c'est-à-dire sur du sable mouvant. Il s'agit donc moins, dans le projet de Descartes, de remplacer les vieilles idées par des idées neuves, que de substituer aux vieux fondements du savoir un fondement nouveau. Ce fondement, Descartes le découvre dans sa célèbre formule : "Je pense, donc je suis". Si je pousse en effet jusqu'à son terme l'expérience du doute de toutes mes opinions, je me heurte à un élément indubitable : le fait que je doute, c'est-à-dire, que j'existe. Le nouveau fondement de toute connaissance sera ce Je, qui existe en tant que chose pensante. A partir de cette certitude première de sa propre existence, Descartes élabore sa fameuse méthode, constituée de quatre règles simples. Le "Je pense", guidé par cette méthode, distinguera opinions justes et opinions fausses avec un discernement tel que ces quatre règles restent, aujourd'hui encore, à la base même de la recherche scientifique.

 
L'initiateur de la philosophie moderne

Descartes marque une étape importante dans l'histoire de la philosophie. Comme l'a exprimé Hegel, dans ses Leçons sur l'histoire de la philosophie, il a été de fait :
...le véritable initiateur de la philosophie moderne, en tant qu'il a pris le penser pour principe. On ne saurait se représenter dans toute son ampleur l'influence que cet homme a exercée sur son époque et sur les temps modernes. Il est ainsi un héros qui a repris les choses entièrement par le commencement, et a constitué à nouveau le sol de la philosophie, sur lequel elle est enfin retournée après que mille années se soient écoulées. »
Reste à déterminer quel est le texte déterminant dans l'oeuvre de Descartes. Nous avons hésité quelque temps entre le Discours. de la méthode (1637) et les Méditations métaphysiques (1641). Il s'agit de deux ouvrages essentiels dans l'histoire de la philosophie. De plus, ils s'inscrivent l'un et l'autre dans le même projet de l'auteur : fonder la pensée sur de nouvelles bases solides. Nous avons opté, après hésitation, pour le Discours de la méthode qui a le mérite de l'antériorité. Si les Méditations sont plus développées, c'est qu'elles veulent se poser comme une explicitation des thèses du Discours qui ne fut pas très bien accueilli par le monde des philosophes auquel s'adressait Descartes.
En effet, Descartes n'a pas rencontré l'unanimité parmi ses lecteurs. Né en Touraine (La Haye), après des études au collège des jésuites de La Flèche, il passe une licence en droit à Poitiers, puis, après quelques voyages, s'engage dans l'armée hollandaise du prince Maurice de Nassau. Il s'intéresse alors aux sciences appliquées. La rencontre d'Isaac Beeckman, un jeune savant hollandais, le ramène à la physique, aux mathématiques et à la géométrie. Il tente de concevoir une méthode permettant de résoudre tous les problèmes de géométrie quels qu'ils fussent (novembre 1619). De là, il se pose la question d'une méthode plus générale qui puisse résoudre tous les problèmes que l'esprit humain peut se poser, dans quelque ordre de recherches que ce soit. A cette époque, il perçoit que les sciences sont comme les branches d'un seul arbre, constituant toutes ensembles un seul corps. Il fait un songe dont il déduit qu'il a une mission divine de rénover toutes les sciences. Il s'attaque tout d'abord à la géométrie. En 1628, il élabore les idées métaphysiques qui seront contenues dans les Méditations. Mais à cette époque, c'est sa physique qu'il met en forme (Le Monde) Lorsqu'il apprend que l'Inquisition vient de condamner Galilée, il s'abstient de publier cet ouvrage (1633). Il publie la Dioptrique, les Météores et la Géométrie pour montrer l'intérêt de sa méthode. Il conçoit le Discours de la méthode comme une sorte de préface à tous ces livres.
Mais l'ouvrage ne recevant pas l'accueil attendu, il décide de le réorganiser, de le restructurer selon un autre plan. Ce furent les Méditations, qui ne furent pas mieux reçues. Il reprend alors ses grands principes dans un ouvrage de forme scolaire : les Principes de philosophie (1644), en espérant que le grand public (« les honnêtes gens ») lui fera meilleur accueil : ce qui convient à ces esprits cultivés, c'est une philosophie qui soit d'abord une Sagesse, c'est-à-dire un moyen de cultiver son intelligence et de régler ses moeurs. Il écrit alors une importante préface à la traduction française des Principes (1647). Il entretient, sur les questions morales, une longue correspondance avec Elisabeth de Bohême dont il va tirer le contenu de son dernier ouvrage : Les Passions de l'âme (Paris, 1649).
Fatigué, il s'installe chez la reine Christine de Suède où il meurt le 11 février 1650.

Résumé

Dans une très courte introduction, Descartes annonce le découpage en six parties de son Discours.

1. Diverses considérations touchant les sciences

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » S'il existe une diversité d'opinions parmi les hommes, ce n'est pas que certains soient capables de connaître le vrai et d'autres non, mais que certains conduisent bien leur raison (leur « bon sens ») tandis que d'autres la conduisent mal. Descartes explique qu'il veut parler de la méthode qu'il a eu la chance de trouver.
Il commence par raconter ses études au collège de La Flèche où il découvrit, au contact d'excellents enseignants, les humanités, la philosophie et les mathématiques. Plus tard, il étudia le droit et un peu la médecine. Cependant cette étude ne lui donna pas la connaissance « claire et assurée » qu'il en attendait de tout ce qui est utile à la conduite de la vie. C'est pourquoi, renonçant à ne chercher la science que dans les livres, il se mit à voyager et à observer le monde. Pourtant, il trouva autant de diversité dans les moeurs des hommes que dans les opinions des philosophes. Il se décida alors à ne chercher la vérité qu'en lui-même.

2. Principales règles de la méthode

Descartes, ayant trouvé refuge dans un endroit où il ne pouvait être dérangé, réfléchit sur le fait que, dans tous les domaines, les ouvrages qui lui ont semblé intellectuellement satisfaisants étaient toujours l'oeuvre d'un seul auteur. Il renonce donc à toutes les opinions qu'il a reçues, parce qu'elles viennent de divers horizons, pour ne se consacrer qu'à celles que lui dictera sa seule raison.
Il prend la précaution de dire que ce qu'il tente, il ne veut en aucune manière en faire une règle pour tout le monde. Il ne veut pas, par ailleurs, remettre en cause l'intérêt qu'il peut y avoir à enseigner la tradition, car dans ce qu'il va tenter, peu d'esprits sont capables de l'imiter. De tout ce qu'il a appris auparavant, il ne voit que la logique, la géométrie et l'algèbre qui résistent à la critique. Il tire d'une réflexion sur ces trois disciplines quatre préceptes qui semblent au fondement de la pensée rigoureuse :

• Il ne faut jamais recevoir pour vraie une chose que l'on ne connaisse évidemment être telle. Il ne faut accepter que ce que le jugement fait apparaître clairement et distinctement à l'esprit et qu'aucun doute ne peut remettre en cause.

• Lorsqu'un problème apparaît trop complexe, il faut le décomposer en autant de parties élémentaires qu'en nécessite une résolution simple.

• Il faut conduire sa pensée en partant des objets les plus simples pour monter peu à peu vers les connaissances les plus composées. Même lorsque des problèmes ne s'enchaînent pas spontanément, il faut supposer un ordre naturel de l'un à l'autre.

• Il faut faire partout « des dénombrements si entiers, et des revues si générales » que l'on soit assuré de ne rien omettre.

Ayant ainsi dégagé ces préceptes, il lui fallait les appliquer à l'objet de tous le plus simple : les mathématiques. Trouvant la géométrie asservie à l'imagination et le calcul algébrique stérile, il se décida à appliquer le calcul algébrique à la solution des problèmes géométriques, ce qui lui permit de résoudre des problèmes jusqu'alors non résolus et de concevoir les moyens de résoudre ceux restés jusque-là sans solution. Il conçut ensuite la possibilité d'appliquer cette méthode à la philosophie et aux autres sciences, mais s'estimant encore trop jeune pour se lancer dans cette entreprise, il remit à plus tard ce projet.

3. Règles de la morale tirées de cette méthode

Dans l'ordre des sciences, la morale arrive la dernière. Elle suppose que toutes les autres sciences soient constituées. Pourtant, la vie n'attend pas. Elle oblige le philosophe à agir avant même qu'il ait conçu cette morale. Descartes adopte alors quelques règles pratiques, à titre provisoire. Il ne les a pas posées comme vraies, mais comme utiles pour être heureux en attendant d'en connaître de meilleures :

• La première règle consiste à obéir aux lois et coutumes de son pays, conservant la religion de son enfance et suivant les opinions les plus modérées des hommes les plus sensés avec lesquels on a à vivre.

• La seconde est de suivre les opinions les plus douteuses comme si elles étaient assurées une fois que l'on s'y est déterminé.

• La troisième est de se vaincre plutôt que de vaincre la fortune. Il faut mieux changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde.

Descartes examine toutes les occupations des hommes. Il fait choix de la meilleure : philosopher. Il a résolu de s'y consacrer. Pendant neuf ans, il voyage et tente de se perfectionner dans la pratique de sa méthode.

4. Raisons qui prouvent l'existence de Dieu et de l'âme humaine (fondements de sa métaphysique)

Descartes aborde la métaphysique une fois qu'il se sent suffisamment assuré de lui-même. Il ne veut admettre que ce qui est « clair et distinct ». Aussi, il met le reste en doute. Mais pour penser que tout est faux, il faut qu'il pense. Il faut que lui qui pense existe. « Je pense, donc je suis » sera donc le premier principe de la métaphysique. S'il sait qu'il existe, qu'est-il ? Une pensée qui existe indépendamment de toute substance matérielle. La pensée (l'âme) est distincte du corps. De ce premier principe, il déduit que cette évidence existe parce qu'elle est claire et distincte. D'où il conclut que la clarté et la distinction des idées sont le critère qui permet d'identifier la vérité.
Ce raisonnement l'amène à penser l'existence de Dieu. L'acte de penser par lequel il saisit son existence est le doute. Or, le doute est une imperfection. Il se connaît donc comme imparfait. Mais cette idée d'imperfection n'est concevable que parce qu'il a l'idée de la perfection. Quelle est la cause de cette idée ? S'il y a dans la cause autant de réalité que dans l'effet, c'est que son idée du parfait implique un être parfait : Dieu lui-même, qui — ainsi — existe.
Si un être imparfait a cependant l'idée de parfait, c'est qu'il n'est pas l'auteur de sa propre existence. Sinon, il se serait donné toutes les qualités. Il doit donc bien exister un Dieu,auteur de notre être et de l'idée de parfait qui nous occupe. De là, il déduit la perfection de Dieu. Dieu n'a aucun défaut. Tout ce qui est dépend de lui. Sans lui, rien ne saurait subsister un seul moment.
Si l'existence de Dieu est établie, Descartes peut tourner sa pensée vers les choses extérieures qu'elle avait mises en doute avec tout le reste. Toujours avec le critère de ce qui se conçoit clairement et distinctement, Descartes rencontre l'étendue géométrique et les théorèmes que nous démontrons. Cela lui suggère une nouvelle preuve de l'existence de Dieu. La certitude des démonstrations géométriques tient au fait qu'on les conçoit évidemment. Or, si l'on examine l'idée d'un être parfait, on découvre que l'existence y est comprise aussi nécessairement que n'importe quelle propriété du triangle dans l'idée du triangle. Donc, Dieu existe.
Si l'on est assuré de cette certitude, l'existence du monde extérieur peut être déduite sans difficulté. Si Dieu est parfait, il est aussi véridique. Si nos idées claires et distinctes étaient fausses, cela signifierait qu'Il nous trompe. Ce n'est pas possible. C'est à nous seulement qu'il convient de rester attentifs pour ne pas être victimes de sensations confuses ou d'illusions. Nous sommes sûrs de ne pas commettre d'erreur en affirmant que l'étendue géométrique existe. C'est la seule chose du monde que nous puissions percevoir clairement et distinctement.

5. Ordre des questions de physique.. Le mouvement du coeur.

La différence qu'il y a entre notre âme et celle des bêtes.
De sa métaphysique, Descartes tire une chaîne de vérités de physique. Il résume brièvement le Traité du monde. A partir du problème central de la lumière, il a ordonné tout ce qu'il pense savoir du soleil qui la produit, des cieux qui la transmettent, de la Terre et des planètes qui la reflètent et de l'homme qui en est spectateur. La nature peut donc être expliquée en faisant exclusivement appel aux principes de l'étendue géométrique. Même les lois du mouvement se déduisent de la perfection divine. Les doctes débattent de la formation du monde. Il est possible que les choses se soient passées autrement que ne le dit Descartes, mais il est persuadé que Dieu aurait pu créer le monde selon ce procédé génétique.
Descartes aborde la question du mouvement du coeur. Il soutient que le coeur est un organe chaud. Le sang qui tombe dans les ventricules s'y dilate brusquement, produit ainsi la diastole et détermine le pouls en s'échappant dans les artères. Le coeur retombe alors sur lui-même pendant la systole, reçoit à nouveau du sang... Le processus recommence. Tout s'explique donc mécaniquement. La chaleur animale est ainsi le produit d'une mécanique. Les animaux peuvent donc être considérés comme de simples automates.
Cela dit, il s'en déduit que les animaux n'ont pas d'âme. La preuve, c'est qu'ils sont dépourvus de raison car ils ne parlent pas. C'est la grande différence entre eux et l'homme. Le plus sot des hommes parle tandis que le plus intelligent des animaux ne parle pas. Les animaux sont donc bien des automates perfectionnés. Cette analyse a l'avantage de détruire l'argument des libertins contre l'immortalité de l'âme, qui disait: «Si l'âme de l'homme est immortelle, qu'en est-il de celle des animaux ? » Le travail philosophique de Descartes va même plus loin : il montre l'indépendance de l'âme et du corps.

6. Quelles choses sont requises pour aller plus avant en la recherche de la nature. Les raisons qui l'ont fait écrire.

Si Descartes n'a pas publié le Traité du monde, c'est à cause de la condamnation de Galilée. Il se demande s'il doit ou non publier ses travaux. Il hésite et fait partager à ses lecteurs les arguments positifs ou négatifs.
Ce qui l'encouragerait : il a l'impression d'avoir découvert une science capable d'améliorer le sort de l'humanité, en rendant l'homme maître et possesseur de la nature et en ouvrant la voie d'une médecine mathématique. Cependant, pour mener ce projet à bien, il faudrait encore beaucoup d'expériences (ce qui signifie des hommes et de l'argent disponibles).
Ce qui le décourage : travailler au bien des hommes risque de compromettre un bien plus grand encore, sa tranquillité. S'il publie, il va devoir s'affronter à tous ses contradicteurs. Il pense que les disputes sont stériles et qu'elles l'épuisent. Quant aux expériences, le problème de la diffusion et de l'exploitation des résultats se pose.
Ne pouvant se décider entre les arguments pour et contre, il a coupé la poire en deux : il a publié les Essais et le Discours. Ceux qui le liront pourraient l'encourager à aller plus loin. Il ne recherche pas un emploi, mais le plein usage de sa liberté.

Commentaire

On sait que ses lecteurs ne furent guère encourageants de son vivant.
Les Essais

Aujourd'hui, le succès du Discours, à présent le texte le plus connu de Descartes (il a eu de très nombreuses éditions séparées) a fait un peu oublier que ce texte était une présentation d'autres textes, les Essais, auxquels les contemporains de Descartes s'intéressèrent d'abord, comme le rappelle G. Rodis-Lewis.
Ainsi la Dioptrique, par diverses comparaisons se corrigeant l'une l'autre, explique la transmission instantanée de la lumière par la pression de petites boules. Leur tournoiement, dans les Météores, rendra compte des couleurs. Descartes énonce la loi de la réfraction, décrit le mécanisme de la vision comme une lunette, et le secours que les lunettes apportent à la vision. Une « géométrie naturelle » règle les perceptions à distance : seuls les jugements que nous y joignons sont erronés. Les Météores expliquent tout ce qui nous étonne. Les comètes sont du domaine de l'astronomie. La Géométrie unit les opérations arithmétiques (toutes représentables par les théorèmes de Thalès et de Pythagore) à la continuité des lignes : elle ordonne la progression des équations et des courbes, telle qu'à chaque point correspond une valeur précise, calculée à partir des coordonnées « cartésiennes ».

Méthode et métaphysique

Le Discours de la méthode (1637) s'inscrit à la jonction de deux textes. Les Regulae qui conçoivent la méthode dès 1627-28 et les Méditations (1641) qui fondent une métaphysique définitive. Cette double élaboration d'une méthode et d'une métaphysique pose une difficulté que Jean-Luc Marion formule ainsi : « Quelles relations croisées la méthode et la métaphysique entretiennent-elles l'une avec l'autre ? » Cette question peut se décomposer : l'instauration de la méthode exerce-t elle ou suppose-t-elle déjà une métaphysique ? L'accomplissement de la métaphysique a-t-il été atteint suivant une méthode ? Bref, méthode et métaphysique se succèdent-elles simplement comme deux moments autonomes de la pensée cartésienne ? Se chevauchent-elles ? Se recoupent-elles ? J.-L. Marion a répondu positivement à ces questions.
Mais il va plus loin en montrant qu'entre les Regulae, donc la méthode, et les Méditations, donc la métaphysique, intervient, moyen terme logique et chronologique, le Discours de la méthode. Ce texte est un discours tenu par la méthode sur la métaphysique qui dès lors apparaît comme un domaine sujet à son empire (à côté de la géométrie ou de la physique). Cependant, peut-on traiter selon la même méthode d'objets scientifiques et d'objets métaphysiques ? La quatrième partie du Discours suit-elle les mêmes principes méthodologiques que les cinquième et sixième parties ? Ou encore : quelles sont les variations qui existent entre la métaphysique cartésienne énoncée suivant la méthode (1637) et la métaphysique énoncée pour elle-même (1641) ?
Un certain nombre d'auteurs comme E. Gilson ont expliqué le Discours par les Méditations, texte ultérieur, plus élaboré et qui donnerait donc la clé du Discours. J.-L. Marion fait remarquer cependant que cette option de conciliation par continuité souffre d'une faiblesse : celle de ne pas suffisamment prendre en compte les différences entre les textes de 1637 et 1641, notamment sur la question de l'erreur. Les Méditations font intervenir un « malin génie » qui pousse le philosophe à l'erreur alors que le Discours se contente d'expliquer l'erreur par une faute d'attention de celui qui met en action la méthode. L'idée de F. Alquié, reprise par J.-L. Marion, est qu'en 1637, Descartes n'est pas en possession de sa métaphysique définitive. En effet, il ne met en doute que le sensible, alors qu'en 1641, il poussera le doute jusqu'aux choses intellectuelles. Le « cogito » est plus solidement arrimé dans le second texte.
Cette discussion est intéressante parce qu'elle invite le lecteur à se faire lui-même une idée en confrontant les deux textes. Notre propre hésitation au moment de choisir l'un des deux textes comme le plus représentatif de la pensée cartésienne venait aussi de cette difficulté. Pour notre part, l'intérêt du Discours est d'être présenté comme un cheminement dans la pensée. Le lecteur est invité à suivre l'auteur dans la production de sa propre pensée. L'idéal, de ce point de vue, aurait été que le Discours, sorte d'autobiographie intellectuelle, ait été écrit le dernier. Or, nous avons déjà rencontré cette difficulté chez Augustin, l'oeuvre autobiographique semble faire le point à un moment donné pour permettre un nouveau départ. La Cité de Dieu survient longtemps après les Confessions. Les Méditations font, elles aussi, un saut par rapport au Discours.

Augustin et Descartes

Cette évocation d'Augustin à propos de Descartes est d'autant plus importante qu'un certain nombre de contemporains et de lecteurs ultérieurs de Descartes lui ont et se sont demandé s'il n'avait pas puisé son « Je pense, donc je suis » chez Augustin. Celui-ci propose en effet, dans le livre XI (ch. 26) de La Cité de Dieu, de déduire l'existence de la pensée. Dès 1637, Mersenne a noté l'analogie entre le cogito de Descartes et ce passage de saint Augustin. Descartes, lui-même, a nié connaître cette pensée chez Augustin : « Vous m'apprenez les endroits de saint Augustin qui peuvent servir pour autoriser mes opinions », écrit-il au Père Mesland en 1644. Mais avant lui, plusieurs personnes lui avaient déjà posé la question. En même temps, il niera que son système puisse être assimilé à la pensée augustinienne.
Depuis, les historiens de la pensée n'ont cessé de se demander pourquoi Descartes n'a jamais reconnu avoir été directement influencé par les écrits de l'auteur des Confessions. Geneviève Rodis-Lewis, quant à elle, pense que « loin d'avoir pu recueillir l'écho d'un augustinisme ambiant, Descartes aurait permis à ses contemporains de retrouver l'originalité métaphysique du penseur d'Hippone, dans ses affinités avec la démarche cartésienne. » Ce qui vient appuyer cette hypothèse, c'est le fait que la seconde moitié du XVII siècle verra une alliance entre l'augustinisme et le cartésianisme, mais strictement limitée aux perspectives du dernier système.
D'une manière plus générale, on peut remarquer là la constance du questionnement philosophique. L'évolution philosophique peut se décrire moins comme une nouveauté des questions que comme la nouveauté de leur agencement les unes par rapport aux autres.
La question de Dieu, centrale dans les Confessions ou La Cité de Dieu, est toujours très présente chez Descartes. Pourtant, il y a chez Descartes un retournement logique. Chez Augustin, c'est de Dieu que l'on déduit la pensée et la réalité, alors que chez Descartes, il s'agit de fonder l'existence de Dieu sur une déduction logique et rationnelle.

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