Max Beckmann
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Comptant parmi les plus grands peintres allemands du XXème siècle, Max Beckmann reçut une formation à l’Ecole d’Art de Weimar, de 1900 à 1903, puis à Paris, où il s’intéressa à Cézanne, Van Gogh et aux impressionnistes. La culture post-impressionniste apparaît précisément comme une dominante de l’activité initiale de Beckmann, comme cela ressort de son tableau intitulé Enfants sur la mer de 1905 (Schlossmuseum, Weimar). Le peintre semble en outre fasciné par l’art de la Renaissance, qu’il put étudier durant les mois passés à Florence en 1906-1907 et qui joua un rôle fondamental dans la formation de Beckmann, à la fois pour le choix des sujets et pour son style respectueux de la tradition de la perspective (La Bataille, Musée Ludwig, Cologne). L’expérience dramatique de la guerre poussa cependant Beckmann à s’orienter vers l’expressionnisme exaspéré à travers un réalisme cru que l’on retrouve notamment dans la peinture d’Otto Dix (La Nuit, 1918-1919, Kunstsammlung, Düsseldorf ; Le Rêve, 1921, Museum of Modern Art, St. Louis). Avec Dix et George Grosz, Beckmann participe au mouvement de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité), exposant ses œuvres à Mannheim en 1925. La même année, l’artiste obtint une chaire au Stadtisches Kunstinstitut à Francfort, charge qu’il dut quitter en 1933 lorsque sa peinture fut déclarée “dégénérée”. S’étant alors installé à Berlin, Beckmann exécuta le triptyque intitulé Départ (1932-1935, Museum of Modern Art, New York), œuvre influencée par la philosophie orientale, à laquelle fit suite, en 1945, un autre triptyque au sujet allégorique, La mouche aveugle (coll. Beckmann, New York). Après avoir vécu aux Pays-Bas durant la guerre, le peintre s’installa aux Etats-Unis en 1947 pour enseigner à la Washington University de St. Louis.
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L’évolution du parcours artistique de Beckmann apparaît noueuse et complexe. L’artiste fut en effet capable de passer, en quelques années, de l’impressionnisme au classicisme et de l’expressionnisme au naturalisme de la Neue Sachlichkeit. Les œuvres réalisées par le maître allemand tout de suite après la guerre sont particulièrement célèbres ; c’est l’époque qui voit se définir le langage artistique personnel de Beckmann, caractérisé par une grande force d’expression qui puise notamment dans la tradition figurative de la fin du gothique allemand. La perfection des formes et la perte d’unité de la perspective permettent de saisir un certain intérêt pour le cubisme, supplanté par la suite par des figures plus souples qui se rattachent au classicisme qui déferle sur l’Europe au début des années 1920. Avec un regard sans pitié, le peintre décrit des aspects de la vie sociale et utilise la peinture comme un instrument d’opposition politique, accordant les caractères expressifs à une description minutieuse des réalités communes aussi aux autres artistes du mouvement de la Neue Sachlichkeit. L’activité du maître fut assez prolifique : en plus de la peinture, il produisit entre autres de nombreux dessins et gravures.
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Ce portrait a été peint par le peintre allemand Max Beckmann entre 1932 et 1934. Il représente la deuxième femme de l’artiste, Mathilde von Kaulbach, surnommée Quappi, un des sujets favoris de Beckmann. C’est une œuvre de la maturité de l’artiste, exécutée pendant les années d’adhésion au mouvement artistique de la Nouvelle objectivité. Le sens marqué du coloris qui caractérise le tableau signale la continuité avec les œuvres de jeunesse peintes sous l’influence des maîtres de l’expressionnisme.
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Le titre Quappi en rose est dû à la teinte du vêtement de la femme, qui dénote la forte sensibilité de Beckmann pour la couleur.
Le rose prédomine également sur le fond du tableau, tandis que les légères touches de bleu reprennent la couleur de la housse du fauteuil sur lequel Quappi est assise.
Bien que recourant à une facture sommaire et rapide, le peintre s’attarde avec plaisir sur les détails décoratifs de l’habillement, comme les colliers et le chapeau à la mode, mais aussi sur les ongles vernis des mains fuselées et élégantes.
Une facture plus soignée caractérise le visage de la femme, dont les grands yeux clairs ressortent nettement.
La rondeur des joues et l’incarnat sont rendus par de délicats glissements d’ombre et de lumière qui mettent en évidence la blancheur du teint de la jeune femme.
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La figure de Quappi est vue de face, même si son léger déhanchement et la tache sombre de la jupe laissent deviner que ses jambes sont tournées vers la gauche.
La direction du regard, légèrement tourné vers la droite, va dans le sens inverse.
La verticalité de la figure, accentuée aussi par l’allongement des doigts minces, est soulignée par la bande longitudinale qui coupe le fond noir sur la droite.
L’agencement de l’espace, qui ne semble pas intéresser l’artiste dans cette toile, est donné par la superposition de plans différents.
Les dégradés plus marqués au niveau de la courbure du fauteuil ou encore des jambes de la femme accentuent la consistance plastique des solides.
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Max Beckmann est un artiste d’une envergure morale exceptionnelle, au grand talent artistique, qui, en méditant sur les horreurs de la guerre et sur la précarité de la condition humaine, trouve l’impulsion la plus vive de sa peinture.
Le rendu minutieux du visage, de même que l’attitude naturelle et quotidienne de la femme représentée tandis qu’elle fume, révèlent des affinités avec le réalisme des peintres du mouvement de la Nouvelle Objectivité, tels qu’Otto Dix et George Grosz, avec qui Beckmann partagea également l’attitude critique impitoyable à l’égard des moeurs de la société contemporaine.
D’autre part, les couleurs chaudes et pâteuses révèle l’importance de la composante expressionniste dans l’art de Beckmann, ainsi que la connaissance des œuvres de Van Gogh, étudiées à l’occasion d’un voyage à Paris au début du siècle.