Les Bonnes Jean GENET 1947
Dans cette brève pièce en un acte, Genet développe une action symbolique qui traduit la difficulté d’être soi. C’est son problème permanent. Enfant trouvé, placé à dix ans dans une maison de correction, resté prisonnier de ses premières années, il a tenté dans toute son œuvre littéraire de récupérer sa personnalité et de vaincre l’impossibilité d’une existence authentique — drame exemplaire comme le montre Sartre dans une importante étude intitulée Saint Genet, comédien et martyr (1952).
Pour incarner la difficulté d’être, Genet a choisi deux bonnes, Claire et sa sœur Solange, qui, pendant l’absence de leur patronne, incapables d’exister indépendamment de celle-ci, miment les rapports dans lesquels elles se sentent emprisonnées par elle. Claire tient le rôle de la patronne, Solange celui de Claire dans ses fonctions de bonne, et toutes leurs paroles expriment à la fois la haine et la fascination que leur inspire Madame. Mais ce psychodrame révèle aussi la rivalité qui oppose les bonnes entre elles, parce que Solange aime le garçon laitier, parce que Claire a écrit des lettres anonymes pour dénoncer Monsieur à la police. De l’insulte, Solange est sur le point de passer à la violence physique quand sonne un réveille-matin réglé sur le retour de Madame. Tout en s’employant à ranger, les bonnes continuent de s’affronter à titre personnel, et Claire accuse Solange d’avoir essayé de tuer Madame : «Ne nie pas. Je t’ai vue. [...] Quand nous accomplissons la cérémonie, je protège mon cou. C’est moi que tu vises à travers Madame...». Au retour de leur patronne, la parodie précédente se trouve jouée au naturel : la nouvelle de la libération de Monsieur aidant, Claire, qui craint une enquête sur les lettres anonymes, tente de faire boire à Madame du tilleul additionné de gardénal, mais Madame s’échappe pour rejoindre Monsieur.
Alors le jeu initial reprend et Solange met si bien en scène l’assassinat de Madame que sa sœur l’oblige à lui faire boire le tilleul empoisonné.
Les rapports du jeu et de l’être, le pouvoir magique du théâtre trouvent ici une figuration provocante qui anticipe sur les recherches théâtrales contemporaines (cf. Beckett, Ionesco).