Enfers (les)
Enfers (les)
Les Anciens ont toujours admis le principe de l’immortalité de l’âme, mais sur la nature de l'au-delà et sur ses représentations se sont multipliées les variantes, suivant les époques et suivant les auteurs.
• L’autre monde
Pour Homère et pour Hésiode, l’autre monde n’est qu’un lieu d’impuissance et de résignation. En revanche, les Tragiques, au ve siècle, reconnaissent aux âmes des morts une influence possible sur le destin des vivants; ce sont de véritables divinités (les Romains les honoreront sous le nom de mânes), qu’il s’agit de prier comme telles.
Platon fait état d'une discrimination dans le traitement réservé aux âmes, qui implique les notions de jugement et d’expiation. Après la mort, l’âme comparaît devant le tribunal des dieux ou de leurs représentants: Minos, Éaque et Rhadamante. En fonction de la vie qu’elle a menée, elle se voit aiguillée soit à droite, vers le séjour lumineux des justes — les plus justes bénéficiant de la plus vive lumière —, soit à gauche, vers le monde ténébreux des réprouvés: dans ce lieu de souffrance, les châtiments sont gradués selon la gravité des fautes ; sauf exception pour les forfaits jugés inexpiables, les peines infligées sont seulement temporaires. Au bout de mille ans passés dans les Enfers, les âmes se réincarnent. Elles ont le choix de leur future enveloppe charnelle, mais avant de la pénétrer elles devront boire l’eau du Léthé, le fleuve d’oubli. Celles qui auront bu avec modération conserveront dans leur nouvelle vie terrestre un souvenir des expériences vécues et auront le souci de s’améliorer lors de chaque réincarnation. C’est pour aider les mortels dans cette quête de perfection, qui doit aboutir à assurer définitivement à chacun la félicité dans l’au-delà, qu’ont été institués les mystères. Dans les doctrines orphiques, les Enfers interviennent comme séjour nécessaire d’expiation entre deux réincarnations, cela jusqu’à ce que l’âme, intégralement purifiée, puisse gagner le ciel et vivre son éternité parmi les dieux. En revanche, les croyances pythagoriciennes, fondées sur la notion de métempsycose, transmigration des âmes d’une espèce dans l’autre, n’ont nul besoin d’admettre l’existence des Enfers.
• Géographie des Enfers
La représentation topographique des Enfers diffère évidemment selon la conception qu’on s’en fait. Pour Homère, c’est un lieu sans discrimination, mais qui se situe soit à la surface soit dans les profondeurs de la terre. Dans l’Odyssée, où la terre est conçue comme un disque cerné par le fleuve Océan, le royaume des ombres est placé aux extrémités du cercle, au pays des Cimmériens, là où règnent en permanence la nuit et le brouillard. De nombreux héros se voient ainsi transportés après leur mort dans les régions septentrionales, au-delà de la Thrace ou du Pont-Euxin. C’est également aux extrémités du monde qu’Hésiode situe la dernière demeure des héros, l’île des Bienheureux.
Dans l’Iliade au contraire, le séjour des morts ou Érèbe se trouve caché à l’intérieur du globe, à mi-chemin entre la voûte du ciel, où règnent les Olympiens, et le Tartare, où sont enfermés les dieux déchus. De nombreux chemins (cavernes, lacs) s’ouvrent à la surface de la terre pour y conduire. C’est un lieu de ténèbres (sens du mot Érèbe) auquel on accède par une allée de saules et de peupliers au bout de laquelle veille le monstrueux chien Cerbère, pourvu de trois têtes. Les fleuves Achéron, Pyriphlégéton, Cocyte, Styx entourent de leurs méandres la résidence des âmes, qui vivent là d’une existence fantomatique, triste et diminuée. Toutefois, quelques criminels notoires, traités à part, subissent sans rémission imaginable, des supplices exemplaires: Tityos, Tantale, Sisyphe et les Danaïdes.
La séparation ultérieurement admise des bons et des méchants entraîne à une topographie des Enfers opposant le Tartare des criminels aux champs Élysées des justes. Aristophane dans Les Grenouilles, puis plus tard Lucien donnent des lieux une description dont les auteurs ne s’éloigneront guère par la suite1. Il s’agit d’abord de traverser l’Achéron. Le hideux nocher Charon, moyennant le prix du passage, transporte les âmes sur sa barque à travers les eaux marécageuses. Au débarcadère surgit entre deux colonnes de diamant la gigantesque porte gardée par le chien Cerbère. Une prairie d’asphodèles entoure le tribunal devant lequel les âmes, une à une, comparaissent. Les justes sont regroupés sur les pelouses fleuries qui bordent lé palais d’Hadès et de Perséphone, les criminels livrés aux horreurs du Tartare. Une troisième catégorie de résidents, ceux qui ne sont jugés ni criminels ni tout à fait justes, vont errer dans une région intermédiaire, que Virgile décrira comme sombre et lugubre et où il distingue les enfants morts en bas âge, les hommes injustement condamnés, les suicidés, les femmes victimes de l’amour et les héros tombés à la guerre.