Éleusis
Quand la déesse Déméter parcourut la Grèce à la recherche de sa fille Coré enlevée à son insu par son oncle Pluton, elle s’arrêta à Éleusis (ce nom signifie la venue, à rapprocher du mot chrétien l’avent, du latin adventum). Là, elle reçut l’hospitalité du roi Céléos. En témoignage de reconnaissance, elle devait révéler au fils du roi, Triptolème, les secrets de l’agriculture (une célèbre stèle trouvée à Éleusis et conservée au musée d’Athènes — attribuée à Phidias — montre la déesse et sa fille entourant le jeune prince) et c’est dans la plaine d’Éleusis qu’eurent lieu les premiers semis et la première récolte de blé.
Pour perpétuer le souvenir de ce don précieux, le roi de Thrace Eumolpos instituera à Éleusis le culte de Déméter. Ce culte retiendra le double visage de la déesse: son caractère agraire d’une part, sa nature de mère, d’autre part, ramenant au jour sa fille disparue dans les ténèbres de l’Hadès. Les rites pratiqués solliciteront l'appui de la déesse afin d’obtenir aussi bien la fertilité du sol qu’un au-delà de félicité pour ses fidèles.
C’est traditionnellement un descendant d’Eumolpos qui assurera parmi les prêtres de Déméter la fonction la plus élevée d’« hiérophante » (révélateur de choses sacrées).
Les cérémonies se déroulaient tant à Éleusis qu’à Athènes (les deux villes ne sont distantes que de 20 km), et en deux temps :
— en février, les « Petits Mystères » commémoraient le retour de Coré-Perséphone: à Agra, faubourg d’Athènes, sur les rives de l’ilissos avait lieu la première instruction des candidats à l’initiation, les « mystes » ;
— en septembre, les « Grands Mystères » comprenaient des processions entre les deux villes: d’abord, les éphèbes transportaient du temple de Déméter à Éleusis vers l’Éleusinion d’Athènes les « objets sacrés » (hiéra), dont la nature nous est demeurée inconnue. A la fin des solennités les objets retournaient en grande pompe à Éleusis, accompagnés par la statue d’Iacchos (nom mystique de Dionysos), dont le culte a été de bonne heure associé à celui de Déméter (la vigne et le blé étant les symboles mêmes de la nourriture des hommes).
Entre-temps, se sont déroulés des rites de purification dans la mer (les fidèles entraînant avec eux des porcelets, qui seront sacrifiés par la suite), des représentations de drames sacrés, rappelant la légende de Déméter et celle de Dionysos, et notamment, devant les seuls initiés — les « voyants » — les noces de Zeus et de Déméter (union du ciel et de la terre), reconstituées par l’hiérophante et la prêtresse de Déméter.
Les autres activités auxquelles participaient les fidèles — en particulier un long parcours à tâtons dans l’obscurité, de plus en plus affolant, qui s’achevait par le retour à la lumière apaisante — ne nous sont pas connus dans le détail, les initiés ayant tenu leur engagement d’en garder le secret.
Ce secret commençait dès l'accès à l’enclos sacré d’Éleusis : les premiers portiques étaient disposés de façon que le regard ne pût pénétrer à l’intérieur. Le profane qui aurait enfreint l'interdiction d’entrer était passible de mort. Là se trouvait une grotte par laquelle on parvenait aux Enfers. La voie sacrée, desservant les divers sanctuaires construits dans l’enclos et dominés par le temple de Déméter, conduisait à l’immense salle d’initiation dans laquelle trois mille personnes avaient leur place.