Delphes
Peu de temps après sa naissance dans l’île de Délos, Apollon, tout armé par les soins d’Héphaïstos, entreprit de parcourir la Grèce afin de se choisir un lieu où serait établi son sanctuaire. C’est ainsi qu’il élut un site en Phocide, au flanc du Parnasse, l’un des plus impressionnants du pays à la fois par sa majesté et son mystère, entouré de trois côtés par de hautes montagnes, le quatrième donnant sur la vallée verdoyante et sur la mer. Ce lieu était reconnu comme le centre même de l’univers, le point où s’étaient rencontrés deux aigles, lâchés par Zeus en même temps, l’un de l’est, l’autre de l’ouest. Là s’était manifesté jadis le plus ancien oracle du monde, bien commun de la Terre et de Poséidon ; tombé depuis en désuétude, il continuait cependant à bénéficier de la garde d’un dragon. Comme la lumière triomphe de l’ombre, Apollon tua le monstre et le laissa se putréfier au soleil (le verbe pourrir se dit en grec: pytho), puis il s’appropria l’oracle du lieu dès lors appelé Pytho. En l’honneur du serpent Python, sa victime, Apollon Pythien institua les Jeux pythiques. La prêtresse chargée de proférer l’oracle du dieu, juchée sur un trépied suspendu, se nommera la Pythie. Un jour, décidant de requérir les occupants d’un navire crétois pour en faire les servants de son culte, Apollon se précipita à leur rencontre sous l’apparence d’un dauphin (en grec: delphis), et c’est ainsi que le site de Pytho changea son nom contre celui de Delphes. (Une autre explication fait remonter l’étymologie au mot delphys, qui signifie: matrice.)
La tradition attribuait à Amphictyon, fils de Deucalion et de Pyrrha, la fondation de la confédération (ou amphictyonie) qui prit la charge du sanctuaire. Il s’agissait d’une association groupant les peuples « habitant autour » de Delphes (c’est le sens du mot amphictyonie), dont les représentants administraient le centre religieux, géraient le trésor, organisaient les cérémonies, les fêtes artistiques et les jeux sportifs, Delphes disposant pour cela d’un théâtre et d’un stade. Le sanctuaire de Delphes, ouvert à tous, devait devenir le lieu le plus fréquenté de tous les peuples de l'Antiquité, hellènes comme barbares. Ex-voto somptueux, trophées, statues (le fameux Aurige), chapelles de marbre s’accumulèrent par milliers au cours des siècles de part et d’autre de la Voie sacrée conduisant de terrasse en terrasse au monumental temple d’Apollon.
Celui-ci, décoré de couleurs vives, se détachait sur les falaises à pic ruisselantes de soleil que les Grecs nommaient Phédriades (resplendissantes). Il comprenait une salle d’attente pour les consultants, la pièce secrète où siégeait la Pythie (inspirée par la source Cassotis) et le sanctuaire proprement dit. Ce dernier proposait dès l’entrée aux fidèles les maximes de la sagesse: « Connais-toi toi-même » et « Rien de trop ». Il abritait, outre la statue du dieu, une pierre conique qui passait pour être le nombril de l’univers (omphalos). Une autre pierre que l'on vénérait à Delphes était celle que Rhéa avait présentée au vorace Cronos à la place de Zeus et que celui-ci avait transportée ici, une fois que son père l’eut rejetée, afin de l’exposer à la reconnaissance publique.
L’oracle de Delphes exerça sur le monde grec une influence considérable, qu’il intervînt dans les affaires intérieures des cités ou dans les conflits entre États: partisan d’un conservatisme aristocratique, il s’opposa constamment aussi bien aux démocraties qu’aux tyrannies, n’oubliant jamais cependant de se ranger du côté qui lui paraissait le plus fort.
Le dernier oracle de Delphes devait être prononcé à l’adresse de l’empereur romain Julien. On en connaît les termes:
La riche demeure est tombée
Et Phœbos n’a plus de foyer,
De laurier prophétique
Ni de source chantante,
Car l’eau a cessé de parler.
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