A la recherche du temps perdu Marcel PROUST 1913-1927 Folio
Vaste composition romanesque en sept parties: I. Du côté de chez Swann (1913) ; II. A l’ombre des jeunes filles en fleurs (1918); III. Le Côté de Guermantes (1920-1921); IV. Sodome et Gomorrhe (1921-1922) ; V. La Prisonnière (1923) ; VI. Albertine disparue (1925); VII. Le Temps retrouvé (1927).
Proust y transpose l’expérience de sa vie dans une autobiographie fictive. Il avait d’abord essayé d’autres modes d’expression : le roman traditionnel, avec Jean Santeuil (écrit entre 1896 et 1904, publié en 1952) où le héros, présenté comme le .double d’un écrivain, est peint à la troisième personne, et l’essai, avec Contre Sainte-Beuve (autre œuvre posthume, composée vers 1908, publiée en 1954) où, s’adressant à sa mère, il réfute la méthode du célèbre critique qui prétendait expliquer l’œuvre par l’homme. Dans cet important essai, Proust développe, à propos de la création artistique, des idées qui sont reprises dans A la recherche du temps perdu. Pour rester fidèle à une distinction qui lui est chère, celle de la vie et de l’œuvre, il ne faudra jamais oublier que le Je adopté par Proust dans son œuvre définitive est un Je romanesque.
Cette œuvre si vaste est rigoureusement bâtie. La vie racontée se divise en deux périodes, l’une très longue qui est celle des tâtonnements et des désillusions du narrateur devant qui l’existence se dépouille peu à peu de ses prestiges; l’autre, réduite à une journée, où il découvre le sens de sa destinée, qui est de fixer, par le moyen de l’art littéraire, le temps passé et perdu que des associations affectives (pavés inégaux, serviette empesée) lui restituent parfois en lui apportant une impression de félicité que ne lui procurent jamais le présent ni la mémoire volontaire (Le Temps retrouvé, ch. III, matinée Guermantes). Le roman apparaît ainsi, au dernier volume, comme l’accomplissement de la quête décidée ce jour-là.
Sa quête porte d’abord sur le temps de ses vacances à Combray, tout entières resurgies un jour où il trempait dans une tasse de thé une petite madeleine comme lui en offrait alors sa tante Léonie, dans sa chambre de valétudinaire ; temps merveilleux de l’enfance, dominé par le souvenir de sa grand-mère, de la cuisinière Françoise, de son anxiété les soirs où la visite du voisin Swann le privait du baiser de sa mère, des promenades du côté de Méséglise et du côté de Guermantes (Du côté de chez Swann). Puis est venu le temps de la découverte du monde et de la société, des voyages tant désirés à Balbec ou Venise, des plaisirs mondains, de l’amour, des «intermittences», c’est-à-dire des irrégularités, de la vie du cœur (à propos de la mort de sa grand-mère, ou de son amour pour Gilberte Swann ou Albertine), des souffrances de la passion jalouse (à propos d’Albertine) et de la dégradation de tout plaisir. Le narrateur est alors prisonnier de fausses richesses incapables de satisfaire son besoin de bonheur et d’absolu, et ne sait pas encore se fixer une tâche précise, malgré son désir d’écrire, bien qu’il pressente la valeur de l’art que le peintre Elstir, le musicien Vinteuil et l’écrivain Bergotte l’aident à découvrir. L’exemple de Swann dont les expériences préfigurent les siennes n’a pris qu’ultérieurement sa signification pour lui : ce mondain élégant et intelligent, amateur d’art éclairé, use sa vie de façon stérile et s’éprend d’une demi-mondaine, Odette de Crécy, pour ne retirer bientôt que souffrance de cet amour vite désenchanté dont une sonate de Vinteuil lui rappelle douloureusement les. souvenirs heureux (Un amour de Swann, dans Du côté de chez Swann).
Cette analyse d’un itinéraire spirituel se double d’une fresque sociale d’inspiration balzacienne. Elle est limitée aux milieux mondains autour de 1900, mais fortement dessinée : salon bourgeois des Verdurin, hôtel particulier de la demi-mondaine Odette de Crécy, plage de Balbec avec ses jeunes filles en fleurs et le jeune dandy Robert de Saint-Loup, neveu de l’étonnant baron de Charlus, soirées à l’Opéra, milieu aristocratique de là duchesse de Guermantes. La Recherche constitue une chronique satirique dont on a comparé la verve à celle de Saint-Simon (Mémoires).
Cependant, le mérite de Proust est surtout dans sa façon d’explorer le domaine des impressions et des sentiments au. moyen d’un langage imagé et sinueux qui tantôt se fait analytique, tantôt emprunte ses ressources à la poésie.
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