XXIX Sur les navires de la flotte immigrante, on mourait beaucoup, mais pas tellement plus, si l'on y songe, que dans les villages u Gange décimés par les guerres, les épidémies, les famines et les inondations.
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
XXX
Le
Vendredi saint,enfin d’après-midi, M. JeanPerret,secrétaire d’ÉtatauxAffaires étrangères etconseiller privédu
président delaRépublique, seprésenta aupalais del’Élysée etfut immédiatement introduitauprèsduPrésident.
Le
Président étaitseuldans sonbureau.
Apparemment, ilne faisait rien,quefumer lecigare enbuvant unwhisky légerà
petites gorgées gourmandes.
Prèsdelui, surune table basse, s’entassaient lesdépêches qu’unaidedecamp luiapportait de
quart d’heure enquart d’heure, certainspassages soulignés detraits rouges.
Posésurlamême table,untransistor diffusait
en sourdine le Requiem de
Mozart.
— Asseyez-vous, monsieurPerret,ditlePrésident.
Onpourrait imaginer queletemps presse etque lesminutes noussont
comptées pourprendre desmilliers dedécisions.
Sij’écoutais lesaffolés demon cabinet ettous cesgrands nerveux qui
composent mongouvernement, c’estexactement àcela quej’occuperais montemps, sansmême m’apercevoir qu’ils’enfuit
irrémédiablement.
Or,iln’en estrien.
Uneseule décision suffiraetde nombreuses heuresnousenséparent encore.Je
suppose quedans l’histoire dumonde, nombreux furentleschefs d’État quivécurent desexpériences semblablesetne se
sentirent jamaisaussicalmes etpeu surmenés qu’avantdeprononcer lemot fatidique de« guerre ».
Celaenglobe tantde
choses etengage tantdedestins quelaportée enest aubout ducompte plusphilosophique quemorale etmatérielle.
Iln’y a
pas plus dépouillé quecemot-là, sil’on abien saisi l’essentiel.
Vousvoyez quenous avons letemps.
Jevous propose
d’écouter lesinformations ensemble.Ellesnenous apprendront rien,évidemment, àvous comme àmoi.
(D’une main
négligente, ilmontrait lepaquet dedépêches, prèsdelui.) Mais jevoudrais memettre danslapeau d’uncompatriote moyen
qui serend compte brusquement, aprèssixsemaines dedélire humanitaire, quesonweek-end dePâques estcomplètement
saboté, etqui commence mêmeàsoupçonner quesesautres week-ends sontmenacés etque lavie neressemblera plus
jamais àce qu’elle étaitauparavant.
Jeveux recevoir lechoc, moiaussi, comme leplus obscur demes électeurs.
Etcomme
il va devenir nécessaire quejem’adresse aupeuple, probablement dimanche,aumoins, aprèscela,peut-être trouverai-je le
ton juste ? Vousremarquerez qu’onnageenplein Mozart, depuiscematin.
Cela signifie queJean Orelle vientdecomprendre.
Unemagnifique propriétédansleMidi, aubord delamer, enplein dans
la zone menacée, cesont deschoses quidonnent àréfléchir.
Nesoyons pasinjustes.
Jel’ai reçu toutàl’heure.
C’estun
homme bouleversé.
— Je l’aicroisé danslesalon gris,monsieur leprésident.
Nousavons parléquelque temps.Jene lereconnaissais plus.Des
idées folles ! saugrenues ! Lamobilisation généralesansarmes, avecfemmes etenfants ! Desbataillons pacifiques àdiriger
vers leMidi ! Laguerre nonviolente ! Ildélirait.
— Pauvre guérillerodistingué ! ditlePrésident.
Mettez-vous àsa place, combattant etesthète àla fois ! Dèsqu’éclatait
quelque partuneguerre delibération, ils’y précipitait.
Pendantcinquante ans,ils’est battu, souvent courageusement, bien
qu’on luiévitât deplus enplus lespostes tropexposés.
UnPrix Nobel estplus utile àla liberté vivantquemort.
Etpuis il
nous revenait, toujourspluscélèbre.
Ilécrivait deslivres magnifiques etse remettait àcourir lessalons, collectionner les
oeuvres d’artetrecevoir lesprivilégiés dansleschâteaux deses amies.
Unéquilibre rêvéoùils’épanouissait ! Maisvoilà
qu’il s’aperçoit quelemonde achangé etque lejeu n’est pluspossible.
Leguérillero neveut pastordre lecou àl’esthète.
À
la fin desavie, ilajugé cequi était essentiel.
Contrairement àla plupart desgens, jecrois quec’est danslavieillesse,
finalement, quel’homme s’accomplit, lorsqu’ildécouvre enfin,ettristement, lavérité.
PourJeanOrelle, c’estcequi vient
de seproduire.
J’aiquitté toutàl’heure unhomme profondément tristeetsincère, quiavait faitletour detout.
D’où ce
Requiem, sans
doute.
Maintenant qu’ils’estretrouvé purOccidental aprèsavoirempoisonné lesondes, onpeut luifaire
confiance : ilsoignera l’imagedemarque.
Berlins’étaitécroulé auxaccents deWagner.
AvecOrelle, cesera plus
distingué...
Dans lesilence quisuivit, onentendit unevoix faible :
« Dix-neuf heures,cinquante-neuf minutes,trentesecondes... » LePrésident sepencha ettourna l’undesboutons du
transistor :
— Vingt heures,zérominute.
Voicinosinformations.
D’aprèslesrenseignements assezconfus quinous parviennent de
différents paysdutiers monde, ilsemble quel’on assiste àla formation d’autresflottesd’émigrants.
Lesgouvernements de
ces pays sedéclarent impuissants àcontrôler desmouvements d’apparencespontanée.ÀDjakarta, notamment, capitalede
l’Indonésie, unefoule immense apris possession duport etde nombreux naviresétrangers ontétéoccupés pacifiquement.
Le gouvernement del’Australie, nationoccidentale laplus proche d’Indonésie, apublié unedéclaration oùlasituation, je
cite, estjugée danssoncontexte commeexcessivement grave.ÀManille, auxPhilippines, lapolice n’apuempêcher
l’envahissement parlafoule detrois paquebots decroisière, dontlepaquebot géantfrançais Normandie, dont
les
passagers ontétérecueillis dansleshôtels delaville.
ÀAlger, àTunis etàCasablanca, desfoules immenses sedirigent
vers leport.
ÀConakry, enAfrique, Karachi, auPakistan, etde nouveau àCalcutta, lesquais sontmonopolisés pardes
groupes depopulation évaluésàplusieurs dizainesdemilliers depersonnes quicampent surplace sansbutapparent.
À
Londres enfin,oùles travailleurs enprovenance duCommonwealth sontaunombre dehuit cent mille, onapprenait àdix-
huit heures qu’uncomité dit« Non European Commonwealth Committee »appelleàmanifester pacifiquement lundimatin
pour réclamer, jecite, lacitoyenneté britannique, ledroit devote etledroit àl’estime, l’égalitédessalaires, del’emploi, du
logement, desloisirs etdes avantages sociaux.Legouvernement britanniquen’aencore publié, àcette heure, aucun
commentaire...
— J’espère qu’ontrouve aussidesPapous, àLondres, ditlePrésident, mezzavoce.J’aimerais bienvoirça,unPapou
citoyen britannique !
— ...
Ainsi quenous l’avions annoncé dansnotre flashdequinze heures, l’armada deladernière chanceafranchi ledétroit.
»
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