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XL Ce n'est pas assez de révéler ; il faut encore que la révélation soit entière et claire.

Publié le 29/06/2013

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XL Ce n'est pas assez de révéler ; il faut encore que la révélation soit entière et claire. Il est une sorte d'obscurité que l'on pourrait définir l'affectation des grands Maîtres. C'est un voile qu'ils se plaisent à tirer entre le peuple et la Nature. Sans le respect qu'on doit aux noms célèbres, je dirais que telle est l'obscurité qui 137 règne dans quelques ouvrages de Stahl * et dans les Principes mathématiques de Newton. Ces livres ne demandaient qu'à être entendus pour être estimés ce qu'ils valent, et il n'en eût pas coûté plus d'un mois à leurs auteurs pour les rendre clairs ; ce mois eût épargné trois ans de travail et d'épuisement à mille bons esprits. Voilà donc à peu près trois mille ans de perdus pour autre chose. Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les Philosophes marchent en avant ; approchons le peuple du point où en sont les Philosophes. Diront-ils qu'il est des ouvrages qu'on ne mettra jamais à la portée du commun des esprits ? S'ils le disent, ils montreront seulement qu'ils ignorent ce que peuvent la bonne méthode et la longue habitude. S'il était permis à quelques auteurs d'être obscurs, dût-on m'accuser de faire ici mon apologie, j'oserais dire que c'est aux seuls Métaphysiciens proprement dits. Les grandes abstractions ne comportent qu'une lueur sombre. L'acte de la généralisation tend à dépouiller les concepts de tout ce qu'ils ont de sensible. À mesure que cet acte s'avance, les spectres corporels s'évanouissent ; les notions se retirent peu à peu de l'imagination vers l'entendement ; et les idées deviennent purement intellectuelles. Alors le Philosophe spéculatif ressemble à celui qui regarde du haut de ces montagnes dont les sommets se perdent dans les nues : les objets de la plaine ont disparu devant lui ; il ne lui reste plus que le spectacle de ses pensées, et que la * Le Specimen Becherianum ; la Zimotechnie ; les Trecenta. Voyez l'article CHYMIE vol. 4 de l' Encyclopédie. conscience de la hauteur à laquelle il s'est élevé, et où il n'est peut-être pas donné à tous de le suivre et de respirer. XLI La Nature n'a-t-elle pas assez de son voile, sans le doubler encore de celui du mystère ? n'est-ce pas assez des difficultés de l'art ? Ouvrez l'ouvrage de Franklin 138 ; feuilletez les livres des Chimistes, et vous verrez combien l'art expérimental exige de vues, d'imagination, de sagacité, de ressources : lisez-les attentivement, parce que s'il est possible d'apprendre en combien de manières une expérience se retourne, c'est là que vous l'apprendrez. Si au défaut de génie, vous avez besoin d'un moyen technique qui vous dirige, ayez sous les yeux une table des qualités qu'on a reconnues jusqu'à présent dans la matière ; voyez entre ces qualités celles qui peuvent convenir à la substance que vous voulez mettre en expérience, assurez-vous qu'elles y sont ; tâchez ensuite d'en connaître la quantité ; cette quantité se mesurera presque toujours par un instrument où l'application uniforme d'une partie analogue à la substance, pourra se faire, sans interruption et sans reste, jusqu'à l'entière exhaustion 139 de la qualité. Quant à l'existence, elle ne se constatera que par des moyens qui ne se suggèrent pas. Mais si l'on n'apprend point comment il faut chercher, c'est quelque chose du moins que de savoir ce qu'on cherche. Au reste ceux qui seront forcés de s'avouer à eux-mêmes leur stérilité, soit par une impossibilité bien éprouvée de rien découvrir, soit par une envie secrète qu'ils porteront aux découvertes des autres, le chagrin involontaire qu'ils en ressentiront, et les petites manoeuvres qu'ils mettraient volontiers en usage pour en partager l'honneur ; ceux-là feront bien d'abandonner une science qu'ils cultivent sans avantage pour elle, et sans gloire pour eux. XLII Quand on a formé dans sa tête un de ces systèmes qui demandent à être vérifiés par l'expérience, il ne faut ni s'y attacher opiniâtrement, ni l'abandonner avec légèreté. On pense quelquefois de ses conjectures qu'elles sont fausses, quand on n'a pas pris les mesures convenables pour les trouver vraies. L'opiniâtreté a même ici moins d'inconvénient que l'excès opposé. À force de multiplier les essais, si l'on ne rencontre pas ce que l'on cherche, il peut arriver qu'on rencontre mieux. Jamais le temps qu'on emploie à interroger la Nature n'est entièrement perdu. Il faut mesurer sa constance sur le degré de l'analogie 140. Les idées absolument bizarres ne méritent qu'un premier essai. Il faut accorder quelque chose de plus à celles qui ont de la vraisemblance ; et ne renoncer, que quand on est épuisé, à celles qui promettent une découverte importante. Il semble qu'on n'ait guère besoin de préceptes là-dessus. On s'attache naturellement aux recherches à proportion de l'intérêt qu'on y prend. XLIII Comme les systèmes dont il s'agit ne sont appuyés que sur des idées vagues, des soupçons légers, des analogies trompeuses, et même, puisqu'il le faut dire, sur des chimères que l'esprit échauffé prend facilement pour des vues, il n'en faut abandonner aucun sans auparavant l'avoir fait passer par l'épreuve de l'Inversion 141. En philosophie purement rationnelle, la vérité est assez souvent l'extrême opposé de l'erreur ; de même en Philosophie expérimentale, ce ne sera pas l'expérience qu'on aura tentée, ce sera son contraire qui produira le phénomène qu'on attendait. E faut regarder principalement aux deux points diamétralement opposés. Ainsi dans la seconde de nos rêveries, après avoir couvert l'équateur du globe électrique et découvert les pôles, il faudra couvrir les pôles et laisser l'équateur à découvert 142 ; et comme il importe de

« conscience de la hauteur à laquelle il s'est élevé, et où il n'est peut-être pas donné à tous de le suivre et de res- pirer.

XLI La Nature n'a-t-elle pas assez de son voile, sans le doubler encore de celui du mystère ? n'est-ce pas assez des difficultés de l'art ? Ouvrez l'ouvrage de Franklin 138 ; feuilletez les livres des Chimistes, et vous verrez combien l'art expérimental exige de vues, d'imagination, de sagacité, de ressources : lisez-les attentivement, parce que s'il est possible d'apprendre en combien de manières une expérience se retourne, c'est là que vous l'apprendrez.

Si au défaut de génie, vous avez besoin d'un moyen technique qui vous dirige, ayez sous les yeux une table des qualités qu'on a reconnues jusqu'à présent dans la matière ; voyez entre ces qualités celles qui peuvent convenir à la substance que vous voulez mettre en expérience, assurez-vous qu'elles y sont ; tâchez ensuite d'en connaître la quantité ; cette quantité se mesurera presque toujours par un instrument où l'application uniforme d'une partie analogue à la substance, pourra se faire, sans interruption et sans reste, jusqu'à l'entière exhaustion 139 de la qualité.

Quant à l'existence, elle ne se constatera que par des moyens qui ne se suggèrent pas.

Mais si l'on n'apprend point comment il faut chercher, c'est quelque chose du moins que de savoir ce qu'on cherche.

Au reste ceux qui seront forcés de s'avouer à eux-mêmes leur stérilité, soit par une impossibilité bien éprouvée de rien découvrir, soit par une envie secrète qu'ils porteront aux découvertes des autres, le chagrin involontaire qu'ils en ressentiront, et les petites manoeuvres qu'ils mettraient volontiers en usage pour en partager l'honneur ; ceux-là feront bien d'abandonner une science qu'ils cultivent sans avan- tage pour elle, et sans gloire pour eux.. »

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