Voyage de J.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Comme ledict peuple de jour en jour nous apportoient du poisson &de ce quilz avoyent a noz navires,
&comme par l'advertissement de Taignoagny &Dom Agaya ledict peuple se retira de venir &comme il y eut
aucun discort entre nous &eulx.
Et despuis de jour en aultre venoit ledict peuple a noz navires & apportoient force anguilles &aultres poissons
pour avoir de nostre marchandise, de quoy leur estoit baille cousteaulx, allaisnes, patenostres &aultres menues
choses dont se contentoient fort; mais nous aperceusmes que les deux meschans que avions apportez leur
disoient & donnoient a entendre que ce que nous leur baillons ne valloit riens & quilz auroient aussi tost des
hachotz comme des cousteaulx pour ce quilz nous bailloient, nonobstant que le cappitaine leur eust faict
beaucoup de presens &si ne cessoient a toutes heures de demander audict capitaine.
Lequel fut adverti par ung
seigneur de la ville de Hagonchenda quil se donnast garde de Donnaconna &desdicts deux meschans &quilz
estoient agoinda qui est a dire traitres.
Et aussi en fut adverty par aucuns dudit Canada, &aussi que nous
apperceusmes de leur malice parce quilz voulloient retirer les trois enfans que ledict Donnacona avoit donnez
audict cappitaine, &de faict firent fuyr la plus grande des filles du navire.
Apres laquelle ainsi fuye fist le
cappitaine prandre garde es aultres.
Et par l'advertissement desdicts Taignoagny &Dom Agaya, se abstenoient
&depportoient de venir avec nous quatre ou cinq jours, sinon aulcuns qui venoient en grand paour & crainte.
Comment le cappitaine doubtant quilz ne songassent aucune trahison fist renforcer le fort &comment ils
vindrent parlementer avecques luy &la rendition de la fille qui sen est fuye.
Voyant la malice deulx, doubtant quils ne songeassent aucune trahison & venir avecques ung amast de gens
sur nous, le capitaine fit renforcer le fort tout a lentour de groz fossez larges &profondz avec porte a
pont-leviz &renffort de pans de boys au contraire des premiers.
Et fut ordonne pour le guet de la nuyt pour le
temps advenir cinquante hommes a quatre quars &a chascun changement desdicts quars les trompettes
sonnans ce qui fut faict selong ladicte ordonnance.
Et lesdicts Donnacona Taignoagny &Dom Agaya estans
advertiz dudict renffort &de la bonne garde &guet que lon faisoit furent courroucez destre en la male grace du
cappitaine &envoyerent par plusieurs fois de leurs gens faignant quilz feussent dailleurs pour veoir si on leur
feroit desplaisir desquelz on ne tint compte &nen fut faict ny monstre aucun semblant.
Et y vindrent lesdicts
Donnacona Taignoagny, Dom Agaya & aultres plusieurs fois parler audict cappitaine une riviere entre d'eulx,
demandant audict cappitaine sil estoit marry &pourquoy il nalloit a Canada les veoir.
Et ledict cappitaine leur
respondit quilz nestoient que traitres &meschans ainsi que on luy avoit rapporte, & aussi quil avoit apperceu
en plusieurs sortes comme de navoir tins promesse de aller a Hochelaga &de avoir retire la fille que on luy
avoit donnee, &aultres mauvais tours quil leur nomma; mais pour tout ce que silz voulloient estre gens de bien
&oublyer leur malle volunte, quil leur pardonnoit &quilz vinssent seurement a bort faire bonne chere comme
pardevant.
Desquelles parolles remercierent ledict cappitaine & luy promisrent quilz luy rendroient la fille qui
sen estoit fuye, dedans trois jours.
Et le quatriesme jour de novembre Dom Agaia accompaigne de six aultres
dict cappitaine que le seigneur Donnacona estoit alle par le pays sercher ladicte fille &que le lendemain elle
luy seroit par luy amenee.
Et oultre dit que Taignoagny estoit fort malade &quil prioit le cappitaine lui
envoyer ung peu de sel &de pain, ce que fist ledict cappitaine, lequel luy manda que cestoit Jhesu qui estoit
marry contre luy pour les maulvais tours quil avoit cuyde jouer.
Et le lendemain ledict Donnacona, Taignoagny, Dom Agaya &plusieurs aultres vindrent &amenerent ladicte
fille, la representant audict cappitaine lequel nen tint compte &dit quil nen voulloit point &qu'ils la
remmenassent.
A quoy respondirent faisant leur excuse quilz ne luy avoient pas conseille sen aller ains quelle
sen estoit allee parce que les paiges lavoient battue ainsi quelle leur avoit dict, &prioient de rechief le
cappitaine de la reprendre, &eulx mesmes la menerent jusques au navire.
Apres lesquelles choses le
cappitaine commanda apporter pain &vin &les festoya, puis prindrent conge les ungs des aultres.
Et despuis
sont allez &venuz a noz navires &nous a leur demourance en aussi grand amour que pardevant.
Voyage de J.
Cartier au Canada
NOTES VARIANTES, CORRECTIONS ET ADDITIONS 56.
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