Votre devoir est de rester parmi votre peuple
Publié le 29/03/2014
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« Votre devoir est de rester parmi votre peuple «, répondit-il.
« J’ai trop souvent entendu parler de devoir, s’écria-t-elle. Mais ne suis-je pas de la maison d’Eorl, vierge guerrière et non nourrice sèche ? J’ai assez longtemps veillé sur des pieds chancelants. Puisqu’ils ne chancellent plus, semble-t-il, ne puis-je maintenant vivre ma vie comme je l’entends ? «
« Peu de gens peuvent le faire avec honneur, répondit-il. Mais quant à vous, Madame, n’avez-vous point accepté la charge de gouverner le peuple jusqu’au retour de son seigneur ? Si vous n’aviez pas été choisie, quelque maréchal ou capitaine aurait été établi dans la même fonction, et il ne pourrait quitter sa charge, qu’il en soit las ou non. «
« Serai-je toujours choisie ? dit-elle amèrement. Serai-je toujours laissée derrière quand les Cavaliers partent, pour m’occuper de la maison tandis qu’ils acquerront du renom et trouveront de la nourriture et des lits à leur retour ? «
« Un temps peut venir bientôt où nul ne reviendra, dit-il. La valeur sans renom sera alors nécessaire car personne ne se rappellera les exploits accomplis dans l’ultime défense de vos demeures. Les exploits ne sont pas moins vaillants pour n’être pas loués. «
Et elle répondit : « Toutes vos paroles n’ont d’autre but que de dire : vous êtes une femme et votre rôle est dans la maison. Mais quand les hommes seront morts au combat et à l’honneur, vous pourrez brûler dans la maison, car les hommes n’en auront plus besoin. Mais je suis de la maison d’Eorl et non pas une servante. Je puis monter à cheval et manier l’épée, et je ne crains ni la souffrance ni la mort. «
« Que craignez-vous, Madame ? « demanda-t-il.
« Une cage, répondit-elle. Rester derrière des barreaux, jusqu’à ce que l’habitude de la vieillesse les accepte et que tout espoir d’accomplir de hauts faits soit passé sans possibilité de rappel ni de désir. «
« Et pourtant vous me conseilliez de ne pas m’aventurer sur la route que j’ai choisie, en raison du péril qu’elle présente ? «
« C’est l’avis qu’une personne peut donner à une autre, dit-elle. Je ne vous conseille cependant pas de fuir le péril, mais d’aller au combat là où votre épée peut gagner du renom et la victoire. Je n’aime pas voir écarter inutilement une chose grande et excellente. «
« Ni moi non plus, dit-il. C’est pourquoi je vous dis, Madame : Restez ! Car vous n’avez rien à faire dans le Sud. «
« Ces autres qui vous accompagnent non plus. Ils n’y vont que parce qu’ils ne voudraient pas être séparés de vous parce qu’ils vous aiment. «
Elle se détourna alors et disparut dans la nuit.
La lumière du jour était apparue dans le ciel, mais le soleil n’était pas encore levé au-dessus des hautes crêtes de l’Est quand Aragorn s’apprêta au départ. Sa compagnie était déjà à cheval, et il allait sauter en selle quand la Dame Eowyn vint lui dire adieu. Elle était vêtue en cavalière et ceinte d’une épée. Elle avait à la main une coupe, elle la porta à ses lèvres et but une gorgée, leur souhaitant bonne chance, puis elle tendit la coupe à Aragorn, qui but et dit : « Adieu, Dame de Rohan ! Je bois à la prospérité de votre Maison, à la vôtre et à celle de tout votre peuple. Dites ceci à votre frère : au-delà des ombres, nous nous rencontrerons tous de nouveau ! «
Gimli et Legolas, qui se trouvaient tout à côté, crurent voir alors qu’elle pleurait, et chez quelqu’un d’aussi ferme et fier ces larmes paraissaient d’autant plus douloureuses. Mais elle dit : « Vous voulez partir, Aragorn ? «
« Oui «, dit-il.
« Ne voulez-vous pas alors me permettre de me joindre à cette compagnie, comme je l’ai demandé ? «
« Non, Madame, dit-il. Car cela, je ne pourrais l’accorder sans l’agrément du roi et de votre frère, et ils ne reviendront que demain. Mais je compte à présent chaque heure, voire chaque minute. Adieu ! «
Elle tomba alors à genoux, s’écriant : « Je vous en supplie ! «
« Non, Madame «, dit-il et, la prenant par la main, il la releva. Puis il lui baisa la main, sauta en selle et partit sans se retourner, et seuls ceux qui le connaissaient bien et étaient près de lui virent la douleur dont il était saisi.
Mais Eowyn se tint immobile comme une figure taillée dans la pierre, les mains crispées à ses côtés, et elle les observa jusqu’à ce qu’ils disparussent dans les ombres sous le noir Dwimorberg, la Montagne Hantée, dans laquelle se trouvait la Porte des Morts. Quand elle les eut perdus de vue, elle se retourna et regagna son logis en trébuchant comme une aveugle. Mais aucun des siens ne vit cette séparation, car la peur les tenait cachés et ils ne voulurent pas sortir avant que le jour ne fût levé et que les étrangers ne fussent partis.
Et certains disaient : « Ce sont des êtres elfiques. Qu’ils aillent là où ils sont chez eux, dans les endroits ténébreux, et qu’ils ne reviennent jamais. Les temps sont déjà assez néfastes. «
La lumière était encore grise tandis qu’ils chevauchaient, car le soleil n’avait pas encore grimpé par-dessus les crêtes noires de la Montagne Hantée qui se dressait devant eux. Une impression de crainte les saisit comme ils passaient entre les rangées d’anciennes pierres et arrivaient ainsi au Dimholt. Là, dans l’obscurité d’arbres noirs que Legolas lui-même ne put longtemps supporter, ils trouvèrent un creux ouvert à la racine de la montagne et, en plein dans leur chemin, se dressait comme un doigt du destin une grande pierre isolée.
« Mon sang se glace «, dit Gimli, mais les autres demeurèrent silencieux, et sa voix alla mourir à ses pieds sur les aiguilles de pin humides. Les chevaux refusèrent de passer la pierre menaçante, jusqu’à ce que les cavaliers missent pied à terre pour les mener à la bride. Ils finirent par arriver ainsi au fond du ravin, et là s’élevait un mur de rocher vertical, et dans ce mur la Porte Ténébreuse s’ouvrait devant eux comme la bouche de la nuit. Des signes et des figures, trop effacés pour être déchiffrables, étaient gravés au-dessus de la vaste arche, et la crainte s’en échappait comme une vapeur grise.
La compagnie fit halte, et il n’y avait pas un coeur qui ne défaillît, à part ceux de Legolas et des Elfes, à qui les spectres des Hommes n’inspirent aucune terreur.
« C’est là une porte néfaste, dit Halbarad, et ma mort est inscrite au-delà. J’oserai néanmoins la franchir, mais aucun cheval ne voudra entrer. «
« Mais il nous faut pourtant y aller, et les chevaux doivent donc en faire autant, dit Aragorn. Car si jamais nous franchissons ces ténèbres, de nombreuses lieues s’étendent au-delà, et chaque heure perdue en ce lieu rapprochera le triomphe de Sauron. Suivez-moi ! «
Aragorn se mit alors en tête et la force de sa volonté était telle en cette heure que tous les Dunedain et leurs chevaux le suivirent. Et, de fait, l’amour que les chevaux des Rôdeurs portaient à leurs cavaliers était si grand qu’ils étaient prêts à affronter même la terreur de la Porte si le coeur de leur maître était ferme tandis qu’il marchait à côté d’eux. Mais Arod, le cheval de Rohan, refusa la voie, et il se tint suant et tremblant d’une peur qui faisait peine à voir. Legolas posa alors la main sur les yeux de l’animal et chanta certaines paroles qui s’élevèrent avec douceur dans l’obscurité, le cheval se laissa enfin mener, et Legolas franchit la porte. Et Gimli le Nain resta alors tout seul.
Ses genoux s’entrechoquaient et il était en colère contre lui-même.
« Voici bien une chose inouïe ! dit-il. Un Elfe accepte d’aller sous terre, et un Nain ne l’ose pas ! « Sur quoi, il plongea à l’intérieur. Mais il lui sembla traîner des pieds de plomb sur le seuil, et aussitôt il fut pris de cécité, même lui, Gimli le fils de Gloïn qui avait marché sans crainte dans maints lieux profonds du monde.
Aragorn avait apporté des torches de Dunharrow, et maintenant, il marchait en tête, en brandissant une bien haut, et Elladan allait en queue avec une autre, tandis que Gimli, tout trébuchant, s’efforçait de le rattraper. Il ne voyait rien d’autre que la faible flamme des torches, mais si la compagnie s’arrêtait, il lui semblait entendre tout autour de lui un murmure sans fin, un murmure de paroles en une langue qu’il n’avait jamais entendue auparavant.
Rien n’assaillit la compagnie, ni ne s’opposa à son passage, et pourtant la peur envahissait toujours davantage le Nain à mesure qu’il avançait : surtout du fait qu’il savait à présent qu’il n’y avait plus aucune possibilité de retourner en arrière, tous les chemins étaient remplis par une armée invisible qui suivait dans les ténèbres.
Ainsi passa un temps que Gimli n’aurait pu évaluer, jusqu’au moment où se présenta à lui une vision dont le souvenir devait lui être à jamais pénible. La route était large, pour autant qu’il en pût juger, mais alors la compagnie tomba soudain sur un grand espace vide, et il n’y avait plus de murs de part ni d’autre. La peur lui pesait à tel point qu’il pouvait à peine marcher. À quelque distance sur la gauche, quelque chose scintilla dans l’obscurité à l’approche de la torche d’Aragorn. Puis celui-ci fit halte et alla voir ce que se pouvait bien être.
« Ne ressent-il aucune crainte ? murmura le Nain. Dans toute autre caverne, Gimli le fils de Gloïn aurait été le premier à courir vers le reflet de l’or. Mais pas ici ! Qu’il demeure là ! «
Il s’approcha néanmoins, et il vit Aragorn s’agenouiller, tandis qu’Elladan élevait les deux torches. Devant lui se trouvaient les ossements d’un homme de grande stature. Il avait été revêtu de mailles, et son harnois était encore intact, car l’air de la caverne était aussi sec que la poussière, et son haubert était doré. Sa ceinture était d’or et de grenats, et le casque qui recouvrait son crâne, face contre terre, était enrichi d’or. Il était tombé près du mur opposé de la caverne, comme on pouvait maintenant le voir, et devant lui se trouvait une porte de pierre solidement assujettie : les os de ses doigts étaient encore agrippés aux fentes. Une épée ébréchée et brisée gisait
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