Devoir de Philosophie

Victor HUGO (1802-1885). Le dedans du désespoir. (Livre II, « La chute », chapitre 7.) Les Misérables (Ire partie).

Publié le 22/03/2011

Extrait du document

hugo

Jean Valjean, orphelin très tôt, avait pris en charge les sept enfants de sa sœur, devenue veuve. Un soir, pour les nourrir, il vola un pain et fut condamné à cinq ans de galères. Il ne sortit du bagne qu'au bout de dix-neuf ans, en raison de quatre tentatives d'évasion. Dans le passage suivant, Victor Hugo évoque l'état d'esprit de Jean Valjean à sa sortie du bagne. A le voir, il semblait occupé à regarder continuellement quelque chose de terrible.

Il était absorbé en effet. A travers les perceptions maladives d'une nature incomplète et d'une intelligence accablée, il sentait confusément qu'une chose monstrueuse était sur lui. Dans cette pénombre obscure et « blafarde où il rampait, chaque fois qu'il tournait le cou et qu'il essayait d'élever son regard, il voyait, avec une terreur mêlée de rage, s'échafauder, s'étager et monter à perte de vue au-dessus de lui, avec des escarpements horribles, une sorte d'entassement effrayant de choses, de lois, de préjugés, d'hommes et de faits, dont les contours lui échappaient, dont la masse l'épouvantait, et qui n'était autre chose que cette prodigieuse pyramide que nous appelons la civilisation. Il distinguait çà et là dans cet ensemble fourmillant et difforme, tantôt près de lui, tantôt loin et sur des plateaux inaccessibles, quelque groupe, quelque détail vivement éclairé, ici l'argousin1 et son bâton, ici le gendarme et son sabre, là-bas l'archevêque mitré, tout en haut, dans une sorte de soleil, l'empereur couronné et éblouissant. Il lui semblait que ces splendeurs lointaines, loin de dissiper sa nuit, la rendaient plus funèbre et plus noire. Tout cela, lois, préjugés, faits, hommes, choses, allait et venait au-dessus de lui, selon le mouvement compliqué et mystérieux que Dieu imprime à la civilisation, marchant sur lui et l'écrasant avec je ne sais quoi de paisible dans la cruauté et d'inexorable dans l'indifférence. Âmes tombées au fond de l'infortune possible, malheureux hommes perdus au plus bas de ces limbes2 où l'on ne regarde plus, les réprouvés de la loi sentent peser de tout son poids sur leur tête cette société humaine, si formidable pour qui est dehors, si effroyable pour qui est dessous. Dans cette situation, Jean Valjean songeait, et quelle pouvait être la nature de sa rêverie ? Si le grain de mil sous la meule avait des pensées, il penserait sans doute ce que pensait Jean Valjean. Toutes ces choses, réalités pleines de spectres, fantasmagories pleines de réalités, avaient fini par lui créer une sorte d'état intérieur presque inexprimable. Vous ferez de cette page un commentaire composé. Par une analyse précise du texte (composition, vocabulaire, mouvement des images, etc.), vous pourrez, par exemple, étudier comment Victor Hugo suggère l'état d'esprit du bagnard et propose une vision de la société. 1. Argousin : surveillant autrefois chargé, dans les bagnes, de la garde des forçats. 2. Limbes : a) Région mal définie. b) Séjour des âmes avant la Rédemption.   

Liens utiles