Une vie surabondance de douleur lui étant venue à cette pensée, elle s'affaissa dans ses draps et pleura frénétiquement.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
8
Rosalie avait quitté la maison et Jeanne accomplissait la période de sa grossesse douloureuse.
Elle ne se
sentait au coeur aucun plaisir à se savoir mère, trop de chagrins l'avaient accablée.
Elle attendait son enfant
sans curiosité, courbée encore sous des appréhensions de malheurs indéfinis.
Le printemps était venu tout doucement.
Les arbres nus frémissaient sous la brise encore fraîche, mais dans
l'herbe humide des fossés, où pourrissaient les feuilles de l'automne, les primevères jaunes commençaient à se
montrer.
De toute la plaine, des cours de ferme, des champs détrempés, s'élevait une senteur d'humidité,
comme un goût de fermentation.
Et une foule de petites pointes vertes sortaient de la terre brune et luisaient
aux rayons du soleil.
Une grosse femme, bâtie en forteresse, remplaçait Rosalie et soutenait la baronne dans ses promenades
monotones tout le long de son allée, où la trace de son pied plus lourd restait sans cesse humide et boueuse.
Petit père donnait le bras à Jeanne alourdie maintenant et toujours souffrante ; et tante Lison inquiète, affairée
de l'événement prochain, lui tenait la main de l'autre côté, toute troublée de ce mystère qu'elle ne devait
jamais connaître.
Ils allaient tous ainsi sans guère parler, pendant des heures, tandis que Julien parcourait le pays à cheval, ce
goût nouveau l'ayant envahi subitement.
Rien ne vint plus troubler leur vie morne.
Le baron, sa femme et le vicomte firent une visite aux Fourville que
Julien semblait déjà connaître beaucoup, sans qu'on s'expliquât au juste comment.
Une autre visite de
cérémonie fut échangée avec les Briseville, toujours cachés en leur manoir dormant.
Un après-midi, vers quatre heures, comme deux cavaliers, l'homme et la femme, entraient au trot dans la
cour précédant le château, Julien, très animé, pénétra dans la chambre de Jeanne.
" Vite, vite, descends.
Voici
les Fourville.
Ils viennent en voisins, tout simplement, sachant ton état.
Dis que je suis sorti, mais que je vais
rentrer.
Je fais un bout de toilette.
"
Jeanne, étonnée, descendit.
Une jeune femme pâle, jolie, avec une figure douloureuse, des yeux exaltés, et
des cheveux d'un blond mat comme s'ils n'avaient jamais été caressés d'un rayon de soleil, présenta
tranquillement son mari, une sorte de géant, de croque-mitaine à grandes moustaches rousses.
Puis elle
ajouta : " Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer M.
de Lamare.
Nous savons par lui combien
vous êtes souffrante ; et nous n'avons pas voulu tarder davantage à venir vous voir en voisins, sans cérémonie
du tout.
Vous le voyez, d'ailleurs, nous sommes à cheval.
J'ai eu, en outre, l'autre jour, le plaisir de recevoir la
visite de Mme votre mère et du baron.
"
Elle parlait avec une aisance infinie, familière et distinguée.
Jeanne fut séduite et l'adora tout de suite.
" Voici
une amie ", pensa-t-elle.
Le comte de Fourville, au contraire, semblait un ours entré dans un salon.
Quand il fut assis, il posa son
chapeau sur la chaise voisine, hésita quelque temps sur ce qu'il ferait de ses mains, les appuya sur ses genoux,
sur les bras de son fauteuil, puis enfin croisa les doigts comme pour une prière.
Tout à coup, Julien entra.
Jeanne stupéfaite ne le reconnaissait plus.
Il s'était rasé.
Il était beau, élégant et
séduisant comme aux jours de leurs fiançailles.
Il serra la patte velue du comte qui sembla réveillé par sa
venue, et baisa la main de la comtesse dont la joue d'ivoire rosit un peu, et dont les paupières eurent un
tressaillement.
Une vie
8 66.
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