Une vie soleil.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Toutes les légères marques grimpaient sur la peinture à des intervalles inégaux ; et des chiffres tracés au canif
indiquaient les âges, les mois, et la croissance de son fils.
Tantôt c'était l'écriture du baron, plus grande, tantôt
la sienne, plus petite, tantôt celle de tante Lison, un peu tremblée.
Et il lui sembla que l'enfant d'autrefois était
là, devant elle, avec ses cheveux blonds, collant son petit front contre le mur pour qu'on mesurât sa taille.
Le baron criait : " Jeanne, il a grandi d'un centimètre depuis six semaines.
"
Elle se mit à baiser le lambris, avec une frénésie d'amour.
Mais on l'appelait au-dehors.
C'était la voix de Rosalie : " Madame Jeanne, madame Jeanne, on vous attend
pour déjeuner.
" Elle sortit, perdant la tête.
Et elle ne comprenait plus rien de ce qu'on lui disait.
Elle mangea
des choses qu'on lui servit, écouta parler sans savoir de quoi, causa sans doute avec les fermiers qui
s'informaient de sa santé, se laissa embrasser, embrassa elle-même des joues qu'on lui tendait, et elle remonta
dans la voiture.
Quand elle perdit de vue, à travers les arbres, la haute toiture du château, elle eut dans la poitrine un
déchirement horrible.
Elle sentait en son coeur qu'elle venait de dire adieu pour toujours à sa maison.
On s'en revint à Batteville.
Au moment où elle allait rentrer dans sa nouvelle demeure, elle aperçut quelque chose de blanc sous la porte ;
c'était une lettre que le facteur avait glissée là en son absence.
Elle reconnut aussitôt qu'elle venait de Paul, et
l'ouvrit, tremblant d'angoisse.
Il disait :
" Ma chère maman, je ne t'ai pas écrit plus tôt parce que je ne voulais pas te faire faire à Paris un voyage
inutile, devant moi-même aller te voir incessamment.
Je suis à l'heure présente sous le coup d'un grand
malheur et dans une grande difficulté.
Ma femme est mourante après avoir accouché d'une petite fille, voici
trois jours ; et je n'ai pas le sou.
Je ne sais que faire de l'enfant que ma concierge élève au biberon comme elle
peut, mais j'ai peur de la perdre.
Ne pourrais-tu t'en charger ? Je ne sais absolument que faire et je n'ai pas
d'argent pour la mettre en nourrice.
Réponds poste pour poste.
" Ton fils qui t'aime,
" PAUL.
"
Jeanne s'affaissa sur une chaise, ayant à peine la force d'appeler Rosalie.
Quand la bonne fut là, elles relurent
la lettre ensemble, puis demeurèrent silencieuses, l'une en face de l'autre, longtemps.
Rosalie, enfin, parla : " J'vas aller chercher la petite moi, madame.
On ne peut pas la laisser comme ça.
"
Jeanne répondit : " Va, ma fille.
"
Elles se turent encore, puis la bonne reprit : " Mettez votre chapeau, madame, et puis allons à Goderville chez
le notaire.
Si l'autre va mourir, faut que M.
Paul l'épouse, pour la petite, plus tard.
"
Et Jeanne, sans répondre un mot, mit son chapeau.
Une joie profonde et inavouable inondait son coeur, une
joie perfide qu'elle voulait cacher à tout prix, une de ces joies abominables dont on rougit, mais dont on jouit
ardemment dans le secret mystérieux de l'âme : la maîtresse de son fils allait mourir.
Le notaire donna à la bonne des indications détaillées qu'elle se fit répéter plusieurs fois ; puis, sûre de ne pas
commettre d'erreur, elle déclara : " Ne craignez rien, je m'en charge maintenant.
" Une vie
12 132.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Sa vie chercha désespérément à basculer au-delà de sa ligne d'ombre, mais une force supérieure la retenait. Paul Ohl, Soleil noir : le roman de la Conquête, Québec Amérique
- Le Soleil : L'ASTRE DE VIE
- Vous commenterez ces réflexions d'André Malraux (Les voix du silence). « Ce que voient en l'art ceux qui lui sont étrangers, c'est un moyen de fixer les instants émouvants de la vie ou de les imaginer. Ils sont ainsi conduits à confondre fiction et roman, représentation et peinture... Et il est vrai que les plus grands arts font naître une émotion très haute: ce qui n'est pas vrai, c'est qu'ils le fassent nécessairement en représentant ce qui le suscite dans la vie. L'émotion éprouvée
- Le théâtre n'est pas le pays du réel ; il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l'or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C'est le pays du vrai : il y a des coeurs humains sur la scène, des coeurs humains dans la coulisse, des coeurs humains dans la salle. Victor Hugo, Post-Scriptum de ma vie. Vous expliquerez et commenterez cette double affirmation. Vous pourriez, par exem
- THÈME 1 : La Terre, la vie et l’organisation du vivant Thème 1A : Transmission, variation et expression du patrimoine génétique Chapitre 1 : Les divisions cellulaires, transmission du programme génétique chez les eucaryotes