Une vie Puis, comme il fallait quelqu'un pour tenir les bêtes quand les maîtres seraient descendus, il avait fait un petit domestique d'un jeune vacher nommé Marius.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
cette pensée douloureuse les obsédait, et ils aimaient mieux se taire tristement que de toucher à ce sujet
pénible.
Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules
noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d'un chien-loup hurlant,
qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture.
Un gars
en sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue
gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l'équipage, et retirait gauchement sa casquette,
laissant voir ses cheveux plats collés au crâne.
Et, entre chaque ferme, les plaines recommençaient avec d'autres fermes, au loin de place en place.
Enfin, on pénétra dans une grande avenue de sapins aboutissant à la route.
Les ornières boueuses et profondes
faisaient se pencher la calèche et pousser des cris à petite mère.
Au bout de l'avenue, une barrière blanche
était fermée ; Marius courut l'ouvrir et on contourna un immense gazon pour arriver, par un chemin arrondi,
devant un haut, vaste et triste bâtiment dont les volets étaient clos.
La porte du milieu soudain s'ouvrit ; et un vieux domestique paralysé, vêtu d'un gilet rouge rayé de noir que
recouvrait en partie son tablier de service, descendit à petits pas obliques les marches du perron.
Il prit le nom
des visiteurs et les introduisit dans un spacieux salon dont il ouvrit péniblement les persiennes toujours
fermées.
Les meubles étaient voilés de housses, la pendule et les candélabres enveloppés de linge blanc ; et
un air moisi, un air d'autrefois, glacé, humide, semblait imprégner les poumons, le coeur et la peau de
tristesse.
Tout le monde s'assit et on attendit.
Quelques pas entendus dans le corridor au-dessus annonçaient un
empressement inaccoutumé.
Les châtelains surpris s'habillaient au plus vite.
Ce fut long.
Une sonnette tinta
plusieurs fois.
D'autres pas descendirent un escalier, puis remontèrent.
La baronne, saisie par le froid pénétrant, éternuait coup sur coup.
Julien marchait de long en large.
Jeanne,
morne, restait assise auprès de sa mère.
Et le baron, adossé au marbre de la cheminée, demeurait le front bas.
Enfin, une des hautes portes tourna, découvrant le vicomte et la vicomtesse de Briseville.
Ils étaient tous les
deux petits, maigrelets, sautillants, sans âge appréciable, cérémonieux et embarrassés.
La femme en robe de
soie ramagée, coiffée d'un petit bonnet douairière à rubans, parlait vite de sa voix aigrelette.
Le mari serré dans une redingote pompeuse saluait avec un ploiement des genoux.
Son nez, ses yeux, ses
dents déchaussées, ses cheveux qu'on aurait dits enduits de cire et son beau vêtement d'apparat luisaient
comme luisent les choses dont on prend grand soin.
Après les premiers compliments de bienvenue et les politesses de voisinage, personne ne trouva plus rien à
dire.
Alors on se félicita de part et d'autre sans raison.
On continuerait, espérait-on des deux côtés, ces
excellentes relations.
C'était une ressource de se voir quand on habitait toute l'année la campagne.
Et l'atmosphère glaciale du salon pénétrait les os, enrouait les gorges.
La baronne toussait maintenant sans
avoir cessé tout à fait d'éternuer.
Alors le baron donna le signal du départ.
Les Briseville insistèrent.
"
Comment ? si vite ? Restez donc encore un peu.
" Mais Jeanne s'était levée malgré les signes de Julien qui
trouvait trop courte la visite.
On voulut sonner le domestique pour faire avancer la voiture.
La sonnette ne marchait plus.
Le maître du
logis se précipita, puis vint annoncer qu'on avait mis les chevaux à l'écurie.
Une vie
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