Une vie Peu à peu, cependant, son regret des contrées lointaines s'affaiblit.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
sur les portières des véhicules.
Enfin, un matin de décembre, vers la fin du déjeuner, on vit un individu ouvrir la barrière et s'avancer dans le
chemin droit.
Il portait une boîte sur son dos.
C'était Bataille.
On le fit entrer dans la salle et on lui servit à manger comme s'il eût été un monsieur, car sa spécialité, ses
rapports incessants avec toute l'aristocratie du département, sa connaissance des armoiries, des termes
consacrés, des emblèmes, en avaient fait une sorte d'homme-blason à qui les gentilshommes serraient la
main.
On fit apporter aussitôt un crayon et du papier et, pendant qu'il mangeait, le baron et Julien esquissèrent leurs
écussons écartelés.
La baronne, toute secouée dès qu'il s'agissait de ces choses, donnait son avis ; et Jeanne
elle-même prenait part à la discussion comme si quelque mystérieux intérêt se fût soudain éveillé en elle.
Bataille, tout en déjeunant, indiquait son opinion, prenait parfois le crayon, traçait un projet, citait des
exemples, décrivait toutes les voitures seigneuriales de la contrée, semblait apporter avec lui, dans son esprit,
dans sa voix même, une sorte d'atmosphère de noblesse.
C'était un petit homme à cheveux gris et ras, aux mains souillées de couleurs, et qui sentait l'essence.
Il avait
eu autrefois, disait-on, une vilaine affaire de moeurs ; mais la considération générale de toutes les familles
titrées avait depuis longtemps effacé cette tache.
Dès qu'il eut fini son café, on le conduisit sous la remise et on enleva la toile cirée qui recouvrait la voiture.
Bataille l'examina, puis il se prononça gravement sur les dimensions qu'il croyait nécessaires de donner à son
dessin ; et, après un nouvel échange d'idées, il se mit à la besogne.
Malgré le froid, la baronne fit apporter un siège afin de le regarder travailler ; puis elle demanda une
chaufferette pour ses pieds qui se glaçaient : et elle se mit tranquillement à causer avec le peintre,
l'interrogeant sur des alliances qu'elle ignorait, sur les morts et les naissances nouvelles, complétant par ses
renseignements l'arbre des généalogies qu'elle portait en sa mémoire.
Julien était demeuré près de sa belle-mère, à cheval sur une chaise.
Il fumait sa pipe, crachait par terre,
écoutait, et suivait de l'oeil la mise en couleur de sa noblesse.
Bientôt, le père Simon, qui se rendait au potager avec sa bêche sur l'épaule, s'arrêta lui-même pour
considérer le travail ; et l'arrivée de Bataille ayant pénétré dans les deux fermes, les deux fermières ne
tardèrent point à se présenter.
Elles s'extasiaient debout aux deux côtés de la baronne, répétant : " Faut
d'l'adresse tout d'même pour fignoler ces machines-là.
"
Les écussons des deux portières ne purent être terminés que le lendemain, vers onze heures.
Tout le monde
aussitôt fut présent ; et on tira la calèche dehors pour mieux juger.
C'était parfait.
On complimenta Bataille qui repartit avec sa boîte accrochée au dos.
Et le baron, sa femme,
Jeanne et Julien tombèrent d'accord sur ce point que le peintre était un garçon de grands moyens qui, si les
circonstances l'avaient permis, serait devenu, sans aucun doute, un artiste,
Mais, par mesure d'économie, Julien avait accompli des réformes, qui nécessitaient des modifications
nouvelles.
Le vieux cocher était devenu jardinier, le vicomte se chargeant de conduire lui-même et ayant vendu les
carrossiers pour n'avoir plus à payer leur nourriture.
Une vie
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