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Une vie l'indispensable ; il parla longuement des restaurants à prix moyens dont il désigna deux ou trois fréquentés par des femmes ; et il indiqua l'hôtel de Normandie où il descendait lui-même, auprès de la gare du chemin de fer.

Publié le 11/04/2014

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Une vie l'indispensable ; il parla longuement des restaurants à prix moyens dont il désigna deux ou trois fréquentés par des femmes ; et il indiqua l'hôtel de Normandie où il descendait lui-même, auprès de la gare du chemin de fer. On pouvait s'y présenter de sa part. Depuis six ans, ces chemins de fer dont on parlait partout fonctionnaient entre Paris et Le Havre. Mais Jeanne, obsédée de chagrin, n'avait pas encore vu ces voitures à vapeur qui révolutionnaient tout le pays. Cependant Paul ne répondait pas. Elle attendit huit jours, puis quinze jours, allant chaque matin sur la route au-devant du facteur qu'elle abordait en frémissant : " Vous n'avez rien pour moi, père Malandain ? " Et l'homme répondait toujours de sa voix enrouée par les intempéries des saisons : " Encore rien c'te fois, ma bonne dame. " C'était cette femme assurément qui empêchait Paul de répondre ! Jeanne alors résolut de partir tout de suite. Elle voulait prendre Rosalie avec elle, mais la bonne refusa de la suivre pour ne pas augmenter les frais de voyage. Elle ne permit pas d'ailleurs à sa maîtresse d'emporter plus de trois cents francs : " S'il vous en faut d'autres, vous m'écrirez donc, et j'irai chez le notaire pour qu'il vous fasse parvenir ça. Si je vous en donne plus, c'est M. Paul qui l'empochera. " Et, un matin de décembre, elles montèrent dans la carriole de Denis Lecoq qui vint les chercher pour les conduire à la gare, Rosalie faisant jusque-là la conduite à sa maîtresse. Elles prirent d'abord des renseignements sur le prix des billets, puis, quand tout fut réglé et la malle enregistrée, elles attendirent devant ces lignes de fer, cherchant à comprendre comment manoeuvrait cette chose, si préoccupées de ce mystère qu'elles ne pensaient plus aux tristes raisons du voyage. Enfin, un sifflement lointain leur fit tourner la tête, et elles aperçurent une machine noire qui grandissait. Cela arriva avec un bruit terrible, passa devant elles en traînant une longue chaîne de petites maisons roulantes ; et un employé ayant ouvert une porte, Jeanne embrassa Rosalie en pleurant et monta dans une de ces cases. Rosalie, émue, criait : " Au revoir, madame ; bon voyage, à bientôt ! Au revoir, ma fille. " Un coup de sifflet partit encore, et tout le chapelet de voitures se remit à rouler doucement d'abord, puis plus vite, puis avec une rapidité effrayante. Dans le compartiment où se trouvait Jeanne, deux messieurs dormaient adossés à deux coins. Elle regardait passer les campagnes, les arbres, les fermes, les villages, effarée de cette vitesse, se sentant prise dans une vie nouvelle, emportée dans un monde nouveau qui n'était plus le sien, celui de sa tranquille jeunesse et de sa vie monotone. Le soir venait, lorsque le train entra dans Paris. 12 123 Une vie Un commissionnaire prit la malle de Jeanne ; et elle le suivit effarée, bousculée, inhabile à passer dans la foule remuante, courant presque derrière l'homme dans la crainte de le perdre de vue. Quand elle fut dans le bureau de l'hôtel, elle s'empressa d'annoncer : " Je vous suis recommandée par M. Roussel. " La patronne, une énorme femme sérieuse, assise à son bureau, demanda : " Qui ça, M. Roussel ? " Jeanne interdite reprit : " Mais le notaire de Goderville, qui descend chez vous tous les ans. " La grosse dame déclara : " C'est possible. Je ne le connais pas. Vous voulez une chambre ? Oui, madame. " Et un garçon, prenant son bagage, monta l'escalier devant elle. Elle se sentait le coeur serré. Elle s'assit devant une petite table et demanda qu'on lui montât un bouillon avec une aile de poulet. Elle n'avait rien pris depuis l'aurore. Elle mangea tristement à la lueur d'une bougie, songeant à mille choses, se rappelant son passage en cette même ville au retour de son voyage de noces, les premiers signes du caractère de Julien, apparus lors de ce séjour à Paris. Mais elle était jeune alors, et confiante et vaillante. Maintenant, elle se sentait vieille, embarrassée, craintive même, faible et troublée pour un rien. Quand elle eut fini son repas, elle se mit à la fenêtre et regarda la rue pleine de monde. Elle avait envie de sortir, et n'osait point. Elle allait infailliblement se perdre, pensait-elle. Elle se coucha ; et souffla sa lumière. Mais le bruit, cette sensation d'une ville inconnue, et le trouble du voyage la tenaient éveillée. Les heures s'écoulaient. Les rumeurs du dehors s'apaisaient peu à peu sans qu'elle pût dormir, énervée par ce demi-repos des grandes villes. Elle était habituée à ce calme et profond sommeil des champs, qui engourdit tout, les hommes, les bêtes et les plantes ; et elle sentait maintenant, autour d'elle, toute une agitation mystérieuse. Des voix presque insaisissables lui parvenaient comme si elles eussent glissé dans les murs de l'hôtel. Parfois un plancher craquait, une porte se fermait, une sonnette tintait. Tout à coup, vers deux heures du matin, alors qu'elle commençait à s'assoupir, une femme poussa des cris dans une chambre voisine ; Jeanne s'assit brusquement dans son lit ; puis elle crut entendre un rire d'homme. Alors, à mesure qu'approchait le jour, la pensée de Paul l'envahit ; et elle s'habilla dès que le crépuscule parut. Il habitait rue du Sauvage, dans la Cité. Elle voulut s'y rendre à pied pour obéir aux recommandations d'économie de Rosalie. Il faisait beau ; l'air froid piquait la chair ; des gens pressés couraient sur les trottoirs. Elle allait le plus vite possible, suivant une rue indiquée au bout de laquelle elle devait tourner à droite, puis à gauche ; puis arrivée sur une place, il lui faudrait s'informer à nouveau. Elle ne trouva pas la place et se renseigna auprès d'un boulanger qui lui donna des indications différentes. Elle repartit, s'égara, erra, suivit d'autres conseils, se perdit tout à fait. 12 124

« Un commissionnaire prit la malle de Jeanne ; et elle le suivit effarée, bousculée, inhabile à passer dans la foule remuante, courant presque derrière l'homme dans la crainte de le perdre de vue.

Quand elle fut dans le bureau de l'hôtel, elle s'empressa d'annoncer : " Je vous suis recommandée par M.

Roussel.

" La patronne, une énorme femme sérieuse, assise à son bureau, demanda : " Qui ça, M.

Roussel ? " Jeanne interdite reprit : " Mais le notaire de Goderville, qui descend chez vous tous les ans.

" La grosse dame déclara : " C'est possible.

Je ne le connais pas.

Vous voulez une chambre ? \24 Oui, madame.

" Et un garçon, prenant son bagage, monta l'escalier devant elle.

Elle se sentait le coeur serré.

Elle s'assit devant une petite table et demanda qu'on lui montât un bouillon avec une aile de poulet.

Elle n'avait rien pris depuis l'aurore.

Elle mangea tristement à la lueur d'une bougie, songeant à mille choses, se rappelant son passage en cette même ville au retour de son voyage de noces, les premiers signes du caractère de Julien, apparus lors de ce séjour à Paris.

Mais elle était jeune alors, et confiante et vaillante.

Maintenant, elle se sentait vieille, embarrassée, craintive même, faible et troublée pour un rien.

Quand elle eut fini son repas, elle se mit à la fenêtre et regarda la rue pleine de monde.

Elle avait envie de sortir, et n'osait point.

Elle allait infailliblement se perdre, pensait-elle.

Elle se coucha ; et souffla sa lumière.

Mais le bruit, cette sensation d'une ville inconnue, et le trouble du voyage la tenaient éveillée.

Les heures s'écoulaient.

Les rumeurs du dehors s'apaisaient peu à peu sans qu'elle pût dormir, énervée par ce demi-repos des grandes villes.

Elle était habituée à ce calme et profond sommeil des champs, qui engourdit tout, les hommes, les bêtes et les plantes ; et elle sentait maintenant, autour d'elle, toute une agitation mystérieuse.

Des voix presque insaisissables lui parvenaient comme si elles eussent glissé dans les murs de l'hôtel.

Parfois un plancher craquait, une porte se fermait, une sonnette tintait.

Tout à coup, vers deux heures du matin, alors qu'elle commençait à s'assoupir, une femme poussa des cris dans une chambre voisine ; Jeanne s'assit brusquement dans son lit ; puis elle crut entendre un rire d'homme.

Alors, à mesure qu'approchait le jour, la pensée de Paul l'envahit ; et elle s'habilla dès que le crépuscule parut.

Il habitait rue du Sauvage, dans la Cité.

Elle voulut s'y rendre à pied pour obéir aux recommandations d'économie de Rosalie.

Il faisait beau ; l'air froid piquait la chair ; des gens pressés couraient sur les trottoirs. Elle allait le plus vite possible, suivant une rue indiquée au bout de laquelle elle devait tourner à droite, puis à gauche ; puis arrivée sur une place, il lui faudrait s'informer à nouveau.

Elle ne trouva pas la place et se renseigna auprès d'un boulanger qui lui donna des indications différentes.

Elle repartit, s'égara, erra, suivit d'autres conseils, se perdit tout à fait.

Une vie 12 124. »

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