Une vie Ils gagnèrent Livourne, visitèrent Florence, Gênes, toute la Corniche.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
nerveux, allait et venait.
Puis, pendant qu'on déchargeait les bagages, le voyage fut raconté devant le feu du salon.
Les paroles
abondantes coulaient des lèvres de Jeanne ; et tout fut dit, tout, en une demi-heure, sauf peut-être quelques
petits détails oubliés dans ce récit rapide.
Puis la jeune femme alla défaire ses paquets.
Rosalie, tout émue aussi, l'aidait.
Quand ce fut fini, quand le
linge, les robes, les objets de toilette eurent été mis en place, la petite bonne quitta sa maîtresse ; et Jeanne, un
peu lasse, s'assit.
Elle se demanda ce qu'elle allait faire maintenant, cherchant une occupation pour son esprit, une besogne
pour ses mains.
Elle n'avait point envie de redescendre au salon auprès de sa mère qui sommeillait ; et elle
songeait à une promenade, mais la campagne semblait si triste qu'elle sentait en son coeur, rien qu'à la
regarder par la fenêtre, une pesanteur de mélancolie.
Alors elle s'aperçut qu'elle n'avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire.
Toute sa jeunesse au couvent avait
été préoccupée de l'avenir, affairée de songeries.
La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce
temps-là, ses heures sans qu'elle les sentît passer.
Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions
étaient écloses, son attente d'amour se trouvait tout de suite accomplie.
L'homme espéré, rencontré, aimé,
épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l'emportait dans ses bras
sans la laisser réfléchir à rien.
Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux
espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l'inconnu.
Oui, c'était fini d'attendre.
Alors plus rien à faire, aujourd'hui, ni demain ni jamais.
Elle sentait tout cela vaguement à une certaine
désillusion, à un affaissement de ses rêves.
Elle se leva et vint coller son front aux vitres froides.
Puis, après avoir regardé quelque temps le ciel où
roulaient des nuages sombres, elle se décida à sortir.
Étaient-ce la même campagne, la même herbe, les mêmes arbres qu'au mois de mai ? Qu'étaient donc
devenues la gaieté ensoleillée des feuilles, et la poésie verte du gazon où flambaient les pissenlits, où
saignaient les coquelicots, où rayonnaient les marguerites, où frétillaient, comme au bout de fils invisibles,
les fantasques papillons jaunes ? Et cette griserie de l'air chargé de vie, d'arômes, d'atomes fécondants
n'existait plus.
Les avenues détrempées par les continuelles averses d'automne s'allongeaient, couvertes d'un épais tapis de
feuilles mortes, sous la maigreur grelottante des peupliers presque nus.
Les branches grêles tremblaient au
vent, agitaient encore quelque feuillage prêt à s'égrener dans l'espace.
Et sans cesse, tout le long du jour,
comme une pluie incessante et triste à faire pleurer, ces dernières feuilles, toutes jaunes maintenant, pareilles
à de larges sous d'or, se détachaient, tournoyaient, voltigeaient et tombaient.
Elle alla jusqu'au bosquet.
Il était lamentable comme la chambre d'un mourant.
La muraille verte, qui séparait
et faisait secrètes les gentilles allées sinueuses, s'était éparpillée.
Les arbustes emmêlés, comme une dentelle
de bois fin, heurtaient les unes aux autres leurs maigres branches ; et le murmure des feuilles tombées et
sèches que la brise poussait, remuait, amoncelait en tas par endroits, semblait un douloureux soupir d'agonie.
De tout petits oiseaux sautaient de place en place avec un léger cri frileux, cherchant un abri.
Une vie
6 42.
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