Une vie Il fallut attendre.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Mais le baron, la tête sortie entre les deux : " Eh, que m'importe ! on n'est pas brutal à ce point.
" Julien se
fâchait de nouveau : " Laissez-moi tranquille, s'il vous plaît, cela ne vous regarde pas ! " et il levait encore la
main ; mais son beau-père la saisit brusquement et l'abaissa avec tant de force qu'il la heurta contre le bois du
siège, et il cria si violemment : " Si vous ne cessez pas, je descends et je saurai bien vous arrêter, moi ! " que
le vicomte se calma soudain, et, haussant les épaules sans répondre, il fouetta les bêtes qui partirent au grand
trot.
Les deux femmes, livides, ne remuaient point, et on entendait distinctement les coups pesants du coeur de la
baronne.
Au dîner Julien fut plus charmant que de coutume, comme si rien ne s'était passé.
Jeanne, son père et Mme
Adélaïde, qui oubliaient vite en leur sereine bienveillance, attendris de le voir aimable, se laissaient aller à la
gaieté avec la sensation de bien-être des convalescents ; et, comme Jeanne reparlait des Briseville, son mari
lui-même plaisanta, mais il ajouta bien vite : " C'est égal, ils ont grand air.
"
On ne fit point d'autres visites, chacun craignant de raviver la question Marius.
Il fut seulement décidé qu'on
enverrait aux voisins des cartes au jour de l'an, et qu'on attendrait, pour aller les voir, les premiers jours tièdes
du printemps prochain.
La Noël vint.
On eut à dîner le curé, le maire et sa femme.
On les invita de nouveau pour le jour de l'an.
Ce
furent les seules distractions qui rompirent le monotone enchaînement des jours.
Père et petite mère devaient quitter les Peuples le 9 janvier ; Jeanne les voulait retenir, mais Julien ne s'y
prêtait guère, et le baron, devant la froideur grandissante de son gendre, fit venir de Rouen une chaise de
poste.
La veille de leur départ, les paquets étant finis, comme il faisait une claire gelée, Jeanne et son père se
résolurent à descendre jusqu'à Yport où ils n'avaient point été depuis le retour de Corse.
Ils traversèrent le bois qu'elle avait parcouru le jour de son mariage, toute mêlée à celui dont elle devenait
pour toujours la compagne, le bois où elle avait reçu sa première caresse, tressailli du premier frisson,
pressenti cet amour sensuel qu'elle ne devait connaître enfin que dans le vallon sauvage d'Ota, auprès de la
source où ils avaient bu, mêlant leurs baisers à l'eau.
Plus de feuilles, plus d'herbes grimpantes, rien que le bruit des branches, et cette rumeur sèche qu'ont en hiver
les taillis dépouillés.
Ils entrèrent dans le petit village.
Les rues vides, silencieuses, gardaient une odeur de mer, de varech et de
poisson.
Les vastes filets tannés séchaient toujours, accrochés devant les portes ou bien étendus sur le galet.
La mer grise et froide avec son éternelle et grondante écume commençait à descendre, découvrant vers
Fécamp les rochers verdâtres au pied des falaises.
Et le long de la plage les grosses barques échouées sur le
flanc semblaient de vastes poissons morts.
Le soir tombait et les pêcheurs s'en venaient par groupes au perret,
marchant lourdement, avec leurs grandes bottes marines, le cou enveloppé de laine, un litre d'eau-de-vie
d'une main, la lanterne du bateau de l'autre.
Longtemps ils tournèrent autour des embarcations inclinées ; ils
mettaient à bord, avec la lenteur normande, leurs filets, leurs bouées, un gros pain, un pot de beurre, un verre
et la bouteille de trois-six.
Puis ils poussaient vers l'eau la barque redressée qui dévalait à grand bruit sur le
galet, fendait l'écume, montait sur la vague, se balançait quelques instants, ouvrait ses ailes brunes et
disparaissait dans la nuit avec son petit feu au bout du mât.
Et les grandes femmes des matelots dont les dures carcasses saillaient sous les robes minces, restées jusqu'au
départ du dernier pêcheur, rentraient dans le village assoupi, troublant de leurs voix criardes le lourd sommeil Une vie
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