Une vie Elle continuait : " Il y a toujours un moment où il faut se séparer, parce que les vieux et les jeunes ne sont pas faits pour rester ensemble.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
La vue d'une marguerite blottie dans une touffe d'herbe, d'un rayon de soleil glissant entre les feuilles, d'une
flaque d'eau dans une ornière où se mirait le bleu du ciel, la remuait, l'attendrissait, la bouleversait en lui
redonnant des sensations lointaines, comme l'écho de ses émotions de jeune fille, quand elle rêvait par la
campagne.
Elle avait frémi des mêmes secousses, savouré cette douceur et cette griserie troublante des jours tièdes,
quand elle attendait l'avenir.
Elle retrouvait tout cela maintenant que l'avenir était clos.
Elle en jouissait
encore dans son coeur ; mais elle en souffrait en même temps, comme si la joie éternelle du monde réveillé en
pénétrant sa peau séchée, son sang refroidi, son âme accablée, n'y pouvait plus jeter qu'un charme affaibli et
douloureux.
Il lui semblait aussi que quelque chose était un peu changé partout autour d'elle.
Le soleil devait être un peu
moins chaud que dans sa jeunesse, le ciel un peu moins bleu, l'herbe un peu moins verte ; et les fleurs, plus
pâles et moins odorantes, n'enivraient plus tout à fait autant.
Dans certains jours, cependant, un tel bien-être de vie la pénétrait, qu'elle se reprenait à rêvasser, à espérer, à
attendre ; car peut-on, malgré la rigueur acharnée du sort, ne pas espérer toujours, quand il fait beau ?
Elle allait, elle allait devant elle, pendant des heures et des heures, comme fouettée par l'excitation de son
âme.
Et parfois elle s'arrêtait tout à coup, et s'asseyait au bord de la route pour réfléchir à des choses tristes.
Pourquoi n'avait-elle pas été aimée comme d'autres ? Pourquoi n'avait-elle pas même connu les simples
bonheurs d'une existence calme ?
Et parfois encore elle oubliait un moment qu'elle était vieille, qu'il n'y avait plus rien devant elle, hors
quelques ans lugubres et solitaires, que toute sa route était parcourue ; et elle bâtissait, comme jadis, à seize
ans, des projets doux à son coeur ; elle combinait des bouts d'avenir charmants.
Puis la dure sensation du réel
tombait sur elle ; elle se relevait courbaturée comme sous la chute d'un poids qui lui aurait cassé les reins ; et
elle reprenait plus lentement le chemin de sa demeure en murmurant : " Oh ! vieille folle ! vieille folle ! "
Rosalie maintenant lui répétait à tout moment : " Mais restez donc tranquille, madame, qu'est-ce que vous
avez à vous émouver comme ça ? "
Et Jeanne répondait tristement : " Que veux-tu, je suis comme " Massacre " aux derniers jours.
"
La bonne, un matin, entra plus tôt dans sa chambre, et déposant sur sa table de nuit le bol de café au lait : "
Allons, buvez vite, Denis est devant la porte qui nous attend.
Nous allons aux Peuples parce que j'ai affaire
là-bas.
"
Jeanne crut qu'elle allait s'évanouir tant elle se sentit émue ; et elle s'habilla en tremblant d'émotion, effarée et
défaillante à la pensée de revoir sa chère maison.
Un ciel radieux s'étalait sur le monde ; et le bidet, pris de gaietés, faisait parfois un temps de galop.
Quand on
entra dans la commune d'Étouvent, Jeanne sentit qu'elle respirait avec peine tant sa poitrine palpitait ; et
quand elle aperçut les piliers de brique de la barrière, elle dit à voix basse deux ou trois fois, et malgré elle : "
Oh ! oh ! oh ! " comme devant les choses qui révolutionnent le coeur.
On détela la carriole chez les Couillard ; puis, pendant que Rosalie et son fils allaient à leurs affaires, les
fermiers offrirent à Jeanne de faire un tour au château, les maîtres étant absents, et on lui donna les clefs.
Elle partit seule, et, lorsqu'elle fut devant le vieux manoir du côté de la mer, elle s'arrêta pour le regarder.
Rien n'était changé au-dehors.
Le vaste bâtiment grisâtre avait ce jour-là sur ses murs ternis des sourires de Une vie
12 130.
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